Alors que le taux de chômage en France poursuit sa baisse (7,2 % au quatrième trimestre 2022), les difficultés de recrutement dans certaines filières dites en tension restent très marquées. Cette tendance nationale revêt une importance particulière sur le territoire du Nord, qui connaît un taux de chômage structurellement supérieur à la moyenne nationale (9,4 %).
L’Institut Montaigne a souhaité s’emparer de cette problématique et a centré son analyse sur la Métropole Européenne de Lille (MEL) en cherchant répondre à l’enjeu suivant : comment favoriser l’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi dans la MEL et tendre vers le plein-emploi, au service d’un développement économique et social bénéficiant à l’ensemble de son territoire et de sa population ?
Forte d’1,2 millions d’habitants répartis parmi un ensemble de 95 communes, la MEL recouvre un territoire à la fois rural et urbain. Concentrant en son sein de nombreuses entreprises et acteurs (publics ou privés) de l’emploi et de la formation professionnelle, et une proximité géographique stratégique avec le bassin d’emploi belge, la MEL est au cœur du développement économique du département du Nord et de la région des Hauts-de-France, et représente 25 % de l’emploi régional.
Initiée par l’Institut Montaigne en lien étroit avec Entreprises et Cités, cette étude a réuni, pendant plus d’un an, plus d’une centaine d’acteurs économiques, politiques, académiques et associatifs du territoire qui se sont engagés collectivement à mener une réflexion sur les enjeux de l’emploi dans la MEL. Cette démarche a permis d’identifier les principaux freins d’appariement sur le marché du travail, et de proposer plusieurs recommandations concrètes agissant à la fois sur l’offre, la demande et la gouvernance de l’emploi sur le territoire. Parmi les recommandations proposées à l’échelle locale, certaines peuvent construire des solutions à l’échelle nationale.
Elle a également permis de produire un outil inédit : une cartographie non exhaustive de l’ensemble des acteurs et dispositifs intervenant sur le territoire en matière d’emploi, d’insertion professionnelle et de création d’activités (plus de 480 acteurs recensés), permettant de donner à voir le dynamisme des dispositifs et projets d’accompagnement et de réfléchir à la coordination des structures de l’emploi, leur bon fonctionnement ainsi qu’aux manques et doublons sur le territoire.
Dynamiser l'offre d'emploi en anticipant l'avenir et en valorisant l'économie sociale et solidaire
Renforcer l’attractivité de l’emploi par la promotion d’une identité industrielle et la création d’emplois à plus forte valeur ajoutée
La région des Hauts-de-France a connu des vagues successives de désindustrialisation à partir des années 1960. Ces crises ont été suivies de restructurations de l’économie locale, et de reconversions des industries vers des activités tertiaires. Aujourd’hui, le territoire est largement tertiarisé, mais la création d’emplois reste insuffisante et plus de trois fois inférieure à la croissance de la population active .
Le tissu économique local est tourné vers des activités à faible valeur ajoutée avec des plus faibles niveaux de rémunération (l’administration publique, l’action sociale, l’enseignement et la santé représentent 15,3 % des établissements tandis que le commerce, les transports et les services divers représentent 73 %). L’attractivité de l’emploi s’en retrouve ainsi dégradée, et le territoire peine à retenir les jeunes diplômés et à attirer les demandeurs d’emploi les plus qualifiés.
Si le territoire a fortement diversifié ses activités économiques (économie marchande, grande distribution, textile, agroalimentaire, santé et pharmaceutique, assurance, mécanique…), il n’existe pas de spécialisation ni d’identité économique propre. Alors que la culture industrielle y est particulièrement affirmée, la MEL ne semble pas totalement assumer son identité industrielle. Or, affirmer une telle spécialisation territoriale pourrait grandement contribuer à renforcer l’attractivité de l’emploi.
Anticiper l’évolution des métiers et des compétences et faire émerger une stratégie territoriale de l’emploi
Alors que 57,9 % des projets de recrutement sont qualifiés de difficiles dans le bassin d’emploi lillois, l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi s’explique par l’inadéquation des compétences, le manque de main d'œuvre et des conditions de travail peu attractives, créant de fortes tensions de recrutement dans certaines filières. De même, la diversification des activités économiques a fait émerger des besoins en compétences nouveaux, qui n’ont pas été suffisamment anticipés et manquent encore aujourd’hui de vision prospective (ingénieurs et cadres pour accompagner le développement de l’industrie, professionnels du soin dans le secteur du service à la personne).
Si des espaces existent pour permettre aux acteurs d’échanger autour des problématiques et tensions de recrutement, ceux-ci gagneraient à être davantage structurés, afin de penser une véritable stratégie territoriale de l’emploi permettant d’agir collectivement pour mobiliser les compétences, créer des passerelles entre les secteurs d’activités, réfléchir aux conditions de travail, ou encore mieux anticiper les métiers d’avenir.
Favoriser la création d’offres d’emploi dans les Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville (QPV) et valoriser l’économie sociale et solidaire comme solution face au chômage
Le versant Roubaix-Tourcoing, qui concentre une partie des Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville (QPV), possède près de 4 fois moins d’offres d’emploi que dans le reste de la MEL. Cependant, le faible nombre de création d’offres masque l’existence d’activités de l’économie informelle (garages de rue, cantines de quartier, garde d’enfant…). Elles se distinguent de la délinquance en ce qu’elles sont légales par nature mais s’organisent en dehors de tout cadre juridique. Le plus souvent exercées par des publics “invisibles”, elles fournissent des services d’utilité sociale à bas prix pour les habitants des quartiers. Ces activités sont à valoriser dans un cadre légal pour les fonctions sociales qu’elles remplissent et pour les compétences qu’elles permettent de développer aux personnes les exerçant.
Parallèlement, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) revêt une importance particulière dans la MEL et dans les QPV, qui s’est développé en réponse aux mêmes besoins sociaux. Or, il gagnerait à être davantage structuré et valorisé pour être identifié comme un secteur pourvoyeur d’emplois et de compétences.
Ainsi, aux côtés des acteurs de l’économie classique, ces alternatives représentent de puissants leviers d’emploi et des réponses à la situation du chômage, notamment pour les populations les plus marginalisées.
Agir massivement sur l'orientation professionnelle pour mieux préparer les demandeurs d'emploi
La situation des demandeurs d’emploi est marquée par de nombreuses fragilités structurelles, et certaines catégories de population sont particulièrement marginalisées. C’est notamment le cas des jeunes, une population importante dans la MEL (35,1 % de jeunes de moins de 25 ans contre 29,7 % dans la Métropole d’Aix-Marseille-Provence par exemple). Ainsi, le taux de chômage s’élève à 34,5 % pour les 15-24 ans et 19,5 % des 15-29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.
Cette plus forte prégnance du chômage chez les jeunes, et notamment les jeunes issus des QPV, peut s’expliquer par un moindre niveau de qualification (24,5 % de la population ne détient aucun diplôme), et par la précarité éducative (dans le QPV de Roubaix-Tourcoing, le taux de retard en classe de 6ème est de 17,4 % contre 7 % pour l’Académie de Lille).
Or, le niveau de qualification constitue l’un des premiers déterminants de l’insertion. Il s’avère que dans la MEL, il existe une forte inadéquation entre offre d’emploi et formation. Par exemple, à l'échelle du département du Nord, si 17 % des demandeurs d’emploi détiennent un niveau inférieur au CAP-BEP, seules 4 % des offres d’emploi correspondent à ce niveau de qualifications. Cette situation peut s’expliquer en grande partie par les difficultés d’orientation professionnelle, en particulier chez les jeunes issus de familles ayant connu plusieurs générations d’exclusion du fait de la désindustrialisation. Il semble donc urgent d’agir en priorité pour l’orientation des jeunes vers les métiers d’avenir.
Recommandation n°5 : Mettre en œuvre une politique volontariste pour orienter les jeunes vers les filières en tension, en agissant sur l’information et les représentations des métiers d’avenir.
Simplifier et mieux coordonner la gouvernance des politiques de l'emploi
Renforcer la coordination des politiques de l’emploi en intégrant le transfrontalier
Le territoire de la MEL se caractérise par un fort degré d’intervention publique, à la fois nationale et locale, en matière d’emploi. Il en résulte un nombre important d’acteurs mobilisés en faveur de l’emploi sur le territoire (nationaux, locaux, associatifs, structures de l’ESS…), mais dont le manque de coordination et la superposition des périmètres d’intervention et des compétences affectent la lisibilité des services proposés pour les demandeurs d’emploi comme pour les employeurs.
Dans ce cadre, a été mis en place il y a 30 ans et renforcé en 2014, le Service Public de l’Emploi Local (SPEL), une instance de coordination co-pilotée au niveau de l’arrondissement de la MEL par la sous-préfecture de Roubaix et un conseiller régional. Il réunit un ensemble d’acteurs mobilisés pour l’emploi, l’orientation et la formation professionnelle. Il s’organise en groupes de travail thématiques qui commencent à porter leurs fruits. Cependant, cette gouvernance n’apparaît pas toujours adaptée à la réalité du terrain : le SPEL n’inclut pas encore tous les acteurs pertinents et n’est pas identifié par tous comme l’acteur de référence en matière de gouvernance des politiques de l’emploi. L’articulation autour de l’arrondissement ne semble pas la plus opérationnelle en ce qu’il s’agit d’un périmètre figé contrairement à celui du bassin d’emploi qui est évolutif. Il s’agit donc de conforter le SPEL dans son rôle de coordination en renforçant sa structure et ses missions.
Le positionnement géographique de la MEL appelle à mettre en œuvre des politiques de l’emploi plus intégrées entre les bassins d’emploi de part et d’autre de la frontière belge. La Flandre représente un bassin d’emploi particulièrement dynamique (taux de chômage de 5,1 %) où les entreprises rencontrent des difficultés de recrutement importantes. Si des actions ont été mises en œuvre, il convient d’aller plus loin et de porter pleinement ces questions dans le cadre de la nouvelle gouvernance proposée.
Repenser le pilotage et l’évaluation des actions en faveur de l’emploi
Les acteurs de l’emploi ont besoin de données plus fines pour piloter plus efficacement les politiques de l’emploi et faire remonter à l’instance de coordination (le SPEL) l’ensemble des données sur l’emploi. En effet, ces données sont perfectibles, puisqu’elles ne sont disponibles que pour le niveau infra départemental. Or, le territoire se caractérise par des difficultés structurelles, concentrées dans des zones géographiques circonscrites et sur des publics ciblés. À cet égard, la situation de l’emploi ne peut être durablement améliorée que si elle fait l’objet d’un suivi fin, précis et régulier.
Enfin, les acteurs de l’emploi fondent leurs interventions essentiellement sur des bilans quantitatifs qui se focalisent sur le volume des bénéficiaires et non sur une évaluation qualitative systémique de ces interventions. De même, les modalités d’attribution de financements par appels à projets contribuent à une logique de saupoudrage des financements publics, sans garantie que les projets les plus innovants soient identifiés, évalués, et durablement soutenus afin de pouvoir essaimer les bonnes pratiques. Le manque d’évaluation freine donc l’essaimage des actions les plus efficaces.