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Note d'éclairage
Juin 2024

[Législatives 2024]
Mise en œuvre des propositions du RN : quelles répercussions pour l'Europe ?

Auteur
Mathieu Duchâtel
Directeur des Études Internationales et Expert Résident

Mathieu Duchâtel est le directeur des études internationales de l’Institut Montaigne. Ses travaux portent notamment sur la sécurité économique et sur les questions stratégiques en Asie orientale. Mathieu Duchâtel est docteur en science politique de Sciences Po.

Politique énergétique, marché commun, immigration, pouvoirs respectifs de la Commission et des États membres, souverainetés nationale et européenne : quelles seraient les répercussions d’une mise en œuvre des propositions du Rassemblement National pour l’économie de la France et son influence en Europe ? Mathieu Duchâtel analyse le programme européen du RN.

Il n’est pas surprenant que le Rassemblement National n’ait pas daigné traduire en anglais sa "stratégie pour reprendre le contrôle" : il s’adresse aux électeurs français, et non à l’Europe. Alors que le RN pourrait gouverner la France et enverra 30 députés au Parlement européen, son programme pour l’UE mérite d’être pris au sérieux.

Il peut être résumé en quatre volets.

Une mobilisation émotionnelle

Tout d’abord, l’opposition à des tendances ou à des politiques qui n’existent pas, dans une recherche de mobilisation émotionnelle en tout point similaire à l’approche de la gauche radicale sur les mêmes thèmes. C’est le cas de l’opposition à la "marche forcée vers un super-État européen centralisé", le premier point mis en avant dans le programme. Le RN en donne pour exemple deux politiques européennes. La Commission se serait arrogé des "compétences de santé avec la crise du Covid" et des "compétences militaires" en réaction à la guerre russo-ukrainienne. De même sur le plan militaire, le RN s’oppose à la construction d’une armée européenne, et à la "dépossession de notre dissuasion nucléaire". Il serait donc temps de "transformer la Commission en un Secrétariat général du Conseil sans pouvoir décisionnaire ni initiative législative".

Sur ces sujets de santé publique et de défense, la Commission européenne sortante a certes agi, mais avec le soutien des États membres sans lesquels elle ne peut rien faire – ceux-ci ont en réalité gardé le contrôle. Les contrats d’achats de vaccin contre le Covid-19 ont été signés au nom des États Membres afin de bénéficier de la taille critique de l’UE dans les négociations avec les producteurs. En matière de défense, la Commission européenne, avec le Fonds européen de défense, la Facilité européenne pour la paix et les règlements plus récents (EDIRPA, qui récompense la coopération entre États Membres, et ASAP, qui vise à stimuler la production de munitions), n’est en mesure que d’organiser des acquisitions conjointes afin de soutenir les industries d’armement des États membres. Les évolutions les plus récentes, dans le contexte de la guerre en Ukraine, sont le résultat de la demande formelle des chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’UE, réunis à Versailles en mars 2022, de proposer des initiatives afin de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne. On est très loin d’une armée de l’UE, encore plus loin d’un super-État fédéral, et très proche au contraire de l’Europe intergouvernementale que le RN appelle de ses vœux.

Des mesures qui réinventent la roue

Ensuite, et c’est la deuxième catégorie d’arguments, le RN propose la mise en œuvre de politiques publiques qui sont déjà en place. C’est le cas du développement de coopérations industrielles sur les "grands projets d’avenir" tels que le cloud européen, l’hydrogène, la voiture propre, l’intelligence artificielle ou encore la défense. C’est aussi le cas d’Erasmus, des coopérations scientifiques (sans mention d’Horizon Europe), et de la défense et de la promotion des valeurs européennes, qui rappelle la nomination (à l’époque un peu controversée) dans la Commission sortante d’un "Commissaire pour la protection de notre mode de vie européen".

Ces idées pour bâtir une "Europe des projets à la carte" réinventent la roue puisque l’UE, à l’exception du commerce extérieur, compétence exclusive de la Commission, ne fonctionne que de cette manière.

Entre souverainisme européen et préférence nationale, un opportunisme paradoxal Il est à ce titre intéressant de souligner que le RN troque occasionnellement son souverainisme national pour des idées qui sont parfois vues comme relevant de ce "souverainisme européen" que le Parti agite par ailleurs comme épouvantail politique auprès d’électeurs qui souvent ne s’intéressent pas au fonctionnement des institutions européennes.

C’est par exemple le cas pour l’industrie d’armement, avec une politique visant à "privilégier l’acquisition d’armements européens" et la mise en place d’une "préférence européenne" afin de faciliter la production en Europe. C’est aussi le cas de la proposition visant à élargir les critères d’éligibilité aux aides d’État dans le cadre des Projets Importants d’Intérêt Commun Européen dans le domaine de l’IA.

C’est autour de cette tension entre préférence nationale et préférence européenne que se construisent les attaques du RN envers le marché unique européen et le commerce international – troisième catégorie de son programme pour l’UE. Le RN se fait l’avocat du "juste échange", par opposition au libre-échange. Il demande un moratoire sur la négociation de nouveaux accords de libre-échange. Aujourd’hui, des négociations sont notamment en cours avec l’Inde et l’Indonésie. Le RN feint de croire que la politique française est libre-échangiste, alors que les négociations avec l’Australie ont par exemple été bloquées par la France (avec l’Irlande et la Pologne) du fait de la mise en danger de certaines filières agricoles, comme la viande en France. Il ignore aussi le sujet de la facilitation de l’accès français et européens aux matériaux critiques par le commerce extérieur, un enjeu de résilience de diversification stratégique pourtant clef pour les industriels européens.

C’est toutefois sur la politique énergétique que le RN est le plus radical dans son approche souverainiste nationale. Le thème est lié à la fois au pouvoir d’achat des Français (il promet une baisse de 40 % du prix de l’électricité) et au décrochage de la croissance européenne par rapport à la croissance américaine, attribué surtout au coût de l’énergie. Le RN s’oppose à toute "ingérence européenne en matière de politique énergétique" et appelle à la "fin des règles absurdes du marché européen de l’énergie". Il estime qu’en s’en affranchissant, en s’appuyant surtout sur le nucléaire, sur le rejet de la libéralisation de l’hydroélectrique et sur une approche nationale des énergies renouvelables, la France retrouvera une compétitivité énergétique au sein de l’Europe.

Immigration et sécurité : un souverainisme national radical

En matière d’immigration et de sécurité intérieure, la marque de fabrique du RN depuis des décennies, le programme du RN, s’il était mis en œuvre, aboutirait à de fortes restrictions à la libre circulation des personnes au sein de l’UE, puisqu’elle ne s’appliquerait plus, au sein de l’espace Schengen, qu’aux ressortissants des pays membres. Le rétablissement d’une frontière nationale française se doublerait d’une "frontière extérieure européenne" renforcée, en autorisant Frontex à renvoyer les migrants illégaux. L’expulsion des "clandestins, des islamistes et des délinquants étrangers", quoique présente dans ce programme aux élections européennes, semble une mesure proposée dans le cadre national. Pour la rendre possible, le RN propose un "référendum en France pour réaffirmer la primauté de la Constitution française sur les décisions des juges européens en matière d’immigration".

On le voit, le programme du RN pour l’UE mêle des éléments de mobilisation émotionnelle agitant le spectre d’un super-État fédéral, des mesures présentées comme de bon sens mais qui sont déjà en place, un souverainisme national radical dans les domaines de l’énergie et de l’immigration, et des idées de souverainisme européen en rupture avec les origines idéologiques de ce mouvement.

Le RN pourra-t-il influencer le cours des politiques publiques européennes ? Son poids au Parlement sera négligeable. La majorité européenne est ailleurs et les députés RN sont par ailleurs parmi les plus absentéistes. En revanche, l’Europe pilotée par les gouvernements des États membres que le RN feint d’appeler de ses vœux pour rompre avec le fédéralisme est une réalité. Une rupture française avec les politiques européennes actuelles en matière d’immigration et d’énergie est donc possible si le RN entre au gouvernement. La question est : à quel coût pour l’économie de la France, et son influence en Europe.

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