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Note d'éclairage
Juin 2024

[Législatives 2024]
Européennes, législatives : les élections et la dissolution vues d'ailleurs

Auteur
Bernard Chappedelaine
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Après des études de sciences politiques et de langue et civilisation russes, Bernard Chappedelaine est entré en 1985 au Quai d’Orsay où il a effectué toute sa carrière. À l’administration centrale, il a notamment eu à traiter de crises majeures (ex-Yougoslavie en 1992-4 ; Irak en 2003-7). À l’étranger, il a travaillé et exercé des responsabilités dans les sections politiques de nos ambassades (Ankara, Berlin, Londres, Moscou, Tel Aviv), il a également été chef du service de presse en Allemagne et en Russie.

Dans le cadre de l’opération spéciale Législatives 2024, l’Institut Montaigne examine les conséquences de l’élection sur l'avenir de l'influence française en Europe et dans le monde. Quels sont les motifs de la dissolution de l’Assemblée nationale ? Quels rapprochements peuvent être établis entre les situations française et allemande, où les majorités ont toutes deux essuyé une sévère défaite le 9 juin ? Dans cet affaiblissement du tandem franco-allemand, Giorgia Meloni va-t-elle encore monter en puissance ? Comment pourraient évoluer les positions à l’égard de la Russie et de l’Ukraine et comment les analystes perçoivent-ils les possibles évolutions de la situation économique ? Bernard Chappedelaine analyse les résultats des élections européennes et la perception de la dissolution au prisme de l’étranger.

"Une défaite cuisante pour le Président français" : comme toute la presse internationale, l'agence DPA constate l'échec sévère subi par le parti "Renaissance" le 9 juin, à l'élection du Parlement européen. Ce revers, observe le Washington Post, s'inscrit dans le contexte d'une montée des partis populistes et anti-immigration sur le continent européen. Il est vrai aussi, relève la LSE sur son blog, que les élections européennes connaissent traditionnellement une faible participation et revêtent un caractère protestataire, les électeurs utilisant leur vote pour sanctionner leur gouvernement. Les motivations des citoyens européens sont largement similaires, estime die Welt: on y retrouve la crainte des conséquences d'une immigration de masse en provenance de pays musulmans, la peur du déclin économique et de la montée de la criminalité, le souhait de mesures protectionnistes pour répondre à ces défis globaux, préoccupations auxquelles le quotidien ajoute une mauvaise compréhension de l'importance du rôle que joue actuellement l'Ukraine pour défendre la liberté de l'Europe face à la Russie. À l'issue de ce scrutin, la situation politique au sein de l’UE est contrastée. Dans certains États-membres, les partis illibéraux perdent du terrain, par exemple en Pologne et en Hongrie. Globalement, le glissement à droite dans la composition de l'organe législatif européen est limité, les groupes centraux (PPE, S&D), dont la coopération est déterminante pour faire adopter les textes, conservent pour l'essentiel leurs positions. Le Parti populaire européen, le groupe des Socialistes et Démocrates et les Libéraux de "Renew" disposent toujours d'une majorité nette (plus de 400 sièges sur 720), souligne une étude du Center for european reform (CER). Dans les grands pays fondateurs de la construction européenne (Allemagne, France, Italie), les partis d'extrême-droite réalisent toutefois de bons scores au détriment des libéraux et des écologistes, relève une note de Chatham house, autre think-tank britannique.

Un pari risqué de la part d’Emmanuel Macron

Jamais auparavant, le résultat d'une élection européenne n'avait eu autant d'impact sur la politique nationale d'un État-membre, note le Tagesspiegel, à propos de la décision "sans précédent" du Président Macron, annoncée le soir même du scrutin, de dissoudre l'Assemblée nationale et de convoquer de nouvelles élections législatives. Cette initiative rappelle à Politico la tentative de David Cameron de réduire au silence son aile eurosceptique en proposant en 2013 l'organisation d'un référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'UE, qui aboutit en 2016 au Brexit. Il n'est pas exclu que le portrait d'Emmanuel Macron prenne place dans la "galerie des ancêtres", des dirigeants politiques qui "se sont tirés une balle dans le pied", voire qui se sont fait "hara-kiri", note der Standard. Les commentateurs sont en effet unanimes à considérer que la "prise de risque" du président de la République, qualifiée de "coup de poker" par le Tagesspiegel, constitue un "énorme pari", comme l’écrit le Guardian. Emmanuel Macron veut une clarification de la situation politique, geste "courageux", mais aussi "aventureux", le journal berlinois juge peu probable que les électeurs accordent au parti présidentiel une majorité confortable, et il n’exclut pas, dans le pire scénario, sa démission et des élections présidentielles anticipées. Le CER se veut plus optimiste sur les perspectives électorales du parti présidentiel. Emmanuel Macron était frustré par le statu quo et l'incapacité de son gouvernement minoritaire à faire adopter des textes législatifs, expliquent les auteurs de l'étude. Certes, le parti "Renaissance" a subi une défaite, mais seulement un électeur sur deux a voté le 9 juin, pour beaucoup d'entre eux, il s'agissait d'adresser un avertissement au gouvernement. La participation devrait être nettement plus élevée aux élections législatives et l'enjeu sera plus important, car leur résultat aura un impact direct sur la vie des électeurs.

Il n'en reste pas moins que, selon le Spectator, "Macron a pris un risque immense", car, depuis les élections législatives de 2022, qui ont fait du "Rassemblement national" le deuxième parti après "Renaissance", l’audience du RN n’a fait que croître. La popularité d'Emmanuel Macron est en baisse constante et le "front républicain", qui a empêché jusqu'à présent l'arrivée au pouvoir de M. Le Pen, a presque disparu, observe le Guardian. La situation actuelle ne laisse pas d'être paradoxale, observe le Merkur. En 2017, l'ambition affichée d'Emmanuel Macron était "d'entrer dans les manuels d'histoire comme celui qui a empêché l'ascension de M. Le Pen et son parti", or il risque aujourd'hui de leur servir de tremplin. Le RN s'est servi des problèmes migratoires et de la guerre en Ukraine pour attiser les craintes des Français, estime la Wirtschaftswoche. Quand Emmanuel Macron parle de l'envoi de troupes sur le sol ukrainien et de frappes en territoire russe, il inquiète non seulement le chancelier Scholz, mais également sa population, lasse des opérations extérieures en Afrique, et qui redoute d'être entraînée dans la guerre en Ukraine, ce qui alimente le vote en faveur du RN, affirme l’hebdomadaire économique. Si le président de la République est conduit à nommer Jordan Bardella premier ministre, il escompte sans doute que le RN sera décrédibilisé après deux ans et demi au gouvernement, avance le Guardian. C'est aussi le calcul que prête Stern à Emmanuel Macron. Ses prérogatives seront sans doute restreintes en cas de cohabitation, mais un gouvernement dirigé par le RN ne pourra plus se contenter de s'opposer et de faire des promesses, il devra, pour la première fois, produire des résultats concrets. De plus, une bonne partie de son programme n'est pas réaliste et certaines propositions ne sont pas conformes à la constitution, remarque l'hebdomadaire allemand. Si le Président reste en place jusqu'en 2027, il devra composer avec un gouvernement et une majorité parlementaire qui ont fait campagne contre ses réformes du marché du travail, qui sont à l'opposé de ses convictions en faveur d'une UE forte et unie et qui se montrent hostiles à ses initiatives pour venir en aide à l'Ukraine face à l'agression russe.

L’affaiblissement du duo franco-allemand

Le paradoxe est que la mise en garde d'Emmanuel Macron ("l'Europe peut mourir") n'a pas eu beaucoup d'effet dans son propre pays, constate le Handelsblatt. Alors qu'il revendique un leadership sur la scène européenne, sur le plan interne, il est sous une pression croissante. Les populistes sont loin de disposer d'une majorité au Parlement européen, mais la voix de la France est affaiblie par le revers subi par Emmanuel Macron et par la faiblesse numérique des délégations ("Désir d'Europe", Verts, LR) qui vont la représenter à Strasbourg, alors qu'au contraire l'influence du groupe ID, qui rassemble une partie des élus d’extrême-droite, va augmenter grâce à l'élection de nombreux députés du RN, note une étude de la Konrad Adenauer Stiftung (KAS), inquiète de voir les trois grands pays fondateurs de la construction européenne être gagnés par l'euroscepticisme. Le renforcement de ce courant hostile à l'UE et l'incapacité de partis comme "Les Républicains" à résister de manière crédible à cette pression d'extrême-droite et à se comporter comme des formations responsables ne va pas faciliter la coopération avec la France, estime la KAS, proche de la CDU. Les adversaires de l'UE ne vont pas manquer d'utiliser cette situation pour présenter le Parlement européen comme une institution, dominée par l'Allemagne, qui néglige les intérêts français. Dans ce contexte, la décision d'E. Macron provoque un "tremblement de terre politique non seulement en France, mais dans toute l'Europe", s'inquiète Vorwärts. Le résultat des élections législatives en France, en cas de victoire de M. Le Pen, pourrait créer "une onde de choc à travers l'UE, comme on n'en a pas connu depuis le Brexit", écrit aussi la FAZ. Certes, une évolution "à l’italienne" n'est pas exclue, ajoute le quotidien de Francfort, mais, à la différence de Giorgia Meloni, en France, M. Le Pen ne semble pas vouloir faire preuve de flexibilité ni être désireuse de rechercher des compromis. Plus que le Parlement, c'est le Conseil qui pourrait être le lieu de blocage et d'instabilité, soulignent le CER et la FAZ.

Le résultat de l’élection du Parlement européen peut apparaître comme un "non-événement" dans la mesure où le pouvoir demeure pour l’essentiel au centre et que les gains de l’extrême-droite sont limités, impression fallacieuse, selon The Spectator, cette stabilité ne doit pas dissimuler"l’affaiblissement dramatique des deux principaux moteurs de toute la politique européenne : Berlin et Paris". À l'issue de l'élection des 6 et 9 juin, le projet européen apparaît plus fragile qu'il ne l'a été depuis une décennie, en raison des gains importants réalisés par l'extrême-droite et les partis eurosceptiques en France et en Allemagne, ses deux piliers, relève Mariam Lau, interrogée par le Guardian. La coalition au pouvoir à Berlin subit en effet, note la journaliste allemande, une "défaite écrasante", aucun gouvernement, ces dernières années, n'a été aussi impopulaire, et dimanche, dès l'annonce des résultats, on a entendu les premiers appels invitant Olaf Scholz à suivre l'exemple d'Emmanuel Macron et à organiser un vote de confiance au Bundestag, scénario très peu probable, souligne Mariam Lau, qui estime néanmoins que le cœur de l'Europe apparaît décidément bien fragile. Or, après leurs revers électoraux, un leadership est attendu de la part de la France et de l'Allemagne pour affronter les menaces que représentent pour l'UE l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'urgence climatique, le retard économique pris vis-à-vis des États-Unis et de la Chine, estime aussi Rosa Balfour dans les colonnes du quotidien britannique. Après le discours prononcé par Emmanuel Macron de la Sorbonne et sa visite d'État en Allemagne, la fondation Konrad Adenauer appelle le tandem franco-allemand à traduire en initiatives concrètes les idées émises et à adopter une approche et une stratégie communes, en particulier en matière de défense et de sécurité, de compétitivité et d'innovation, de réformes internes et d'élargissement. Pour ne pas laisser le champ libre aux ennemis de l'UE et de la coopération franco-allemande, souligne la KAS, une action urgente est nécessaire. Le désaveu subi par la coalition berlinoise nécessiterait un retour aux urnes, hypothèse peu probable, compte tenu de la culture politique allemande, pense également The Spectator avec le risque que, jusqu'aux prochaines élections législatives fédérales prévues à l'automne 2025, Olaf Scholz se transforme en "canard boiteux" sans ambitions et sans initiatives dans l’ère nouvelle qui émerge, dans laquelle c'est le hard power qui importe. "Six canards boiteux et Giorgia Meloni", c'est ainsi que Politico présente les participants au sommet du G7, réuni à la mi-juin à Borgo Egnazia sous présidence italienne.

Le "moment Meloni" ?

Emmanuel Macron a toujours fait preuve d'une extraordinaire confiance en soi, mais actuellement celle-ci se transforme visiblement en hybris, affirme Timothy Garton Ash à propos du "pari considérable" que constitue la dissolution de l'Assemblée nationale. Mais, l'historien britannique constate aussi que la situation est "à peine moins préoccupante en Allemagne" où Olaf Scholz et les Sociaux-démocrates sont, d'après lui, tentés par une politique d'appeasement à l'égard de la Russie. L'Ukraine pourrait être la première victime de ce changement, alors qu'elle risque la défaite, qu'une victoire de Donald Trump dans quelques mois réduirait le soutien accordé par Washington à Kiev et diviserait sans doute les États membres de l’UE. Le résultat des élections européennes en France affaiblit en particulier Emmanuel Macron, devenu peut-être le partisan le plus engagé d'un soutien accéléré à l'Ukraine, note le Merkur. Compte tenu de leurs difficultés internes, il est difficile d'imaginer que Macron ou Scholz se montrent plus audacieux ces prochains mois dans leur position vis-à-vis de l'Ukraine, avance aussi The Spectator, qui rappelle qu'un sommet de l'OTAN se tiendra dans moins deux semaines à Washington. Malgré les prérogatives que la constitution reconnaît au président de la République en matière de politique étrangère et de défense, la marge de manœuvre d'Emmanuel Macron dans ces domaines sera limitée s'il n'obtient pas une majorité parlementaire. L'hebdomadaire britannique prête à Olaf Scholz, tenté de se présenter comme le "Chancelier de la paix", l’intention de se préparer à une victoire de Donald Trump et à une partition de l'Ukraine, perspective que refuse Emmanuel Macron, mais qu'il aura des difficultés à écarter, en particulier s'il doit cohabiter avec un gouvernement dominé par le RN. Christian Mölling souscrit largement à cette analyse, les partenaires de la France pourraient compenser l'assistance matérielle qu'elle fournit, mais Emmanuel Macron, qui a révisé son jugement sur Vladimir Poutine, est devenu un soutien actif de l'Ukraine, il lance des débats ("OTAN en état de mort cérébrale", envoi de troupes en Ukraine, etc…) et contraint ses partenaires à se positionner. L'UE a besoin de la France, qui joue le rôle de "boîte à idées", comme de l'Allemagne, qui conserve sa "mentalité d'épicier" ("Krämerseele"), explique l'expert de la DGAP.

"C'est le moment Meloni", car tous les autres chefs d'État et de gouvernement de ce club occidental sont affaiblis, observe Ivo Daalder, ancien ambassadeur des États-Unis à l'OTAN. Le bon résultat de la liste Fratelli d'Italia que conduisait G. Meloni à l'élection européenne contraste avec les revers électoraux d'Emmanuel Macron et d'Olaf Scholz et renforce sa main à Bruxelles, écrit aussi le Financial Times. La première ministre a exprimé sa fierté face à ce "résultat sensationnel" qui permettra à l'Italie de jouer un "rôle fondamental" dans les négociations européennes à venir, à commencer par l'attribution des principaux postes au sein de l'UE. Sa voix aura aussi plus de poids lors des débats sur l'immigration illégale et le green deal, estime le Washington Post. Depuis qu'elle est à la tête du gouvernement italien, Giorgi Meloni ne veut plus quitter l'UE, elle veut la contrôler, remarque Foreign Policy, elle manifeste un fort atlantisme et un attachement à l'OTAN, déploie ses bons offices pour convaincre Viktor Orbán d'accepter l'aide européenne à l'Ukraine. La FAZ salue la performance d'une Giorgia Meloni, actuellement "au septième ciel", qui gère avec habileté sa coalition, qu'elle a pu inscrire dans la durée, et qui, tout comme Angela Merkel (la "Mädchen" d'Helmut Kohl), a été sous-estimée. Le quotidien de Francfort doute cependant qu'elle puisse placer l'Italie à l'avant-garde des puissances européennes et faire de son pays un modèle d'avenir : "la stabilité politique est une chose, l'ambition réformatrice est autre chose". Or, écrit la FAZ, Giorgia Meloni veut éviter les conflits et "le courage de réformer lui fait défaut". Parmi les membres du G 7, l'Italie était en 2023 l’État le plus endetté (137 % du PIB), le pays qui a le déficit le plus important (7,4 % du PIB). Exemple des problèmes socio-économiques du pays, alors que des dizaines de milliers de jeunes Italiens quittent chaque année leur pays, les immigrés qui comblent le déficit de main d'œuvre sont mal intégrés, note le quotidien allemand.

Moscou se réjouit des revers électoraux d’E. Macron et d’O. Scholz tout en restant prudent

"La poussée de l'extrême droite en France et en Allemagne est un cadeau pour Vladimir Poutine", qui ne pourra être que "ravi par les nouvelles turbulences politiques de l'Europe", titre le Washington Post. Effectivement, note Alexandr Braterski, la classe politique russe a accueilli avec une évidente satisfaction les mauvais scores obtenus par les partis au pouvoir à Berlin et à Paris. Les présidents des deux chambres du Parlement se sont ouvertement réjouis des revers subis par Emmanuel Macron, "la honte de l'Europe" - comme le qualifie Viatcheslav Volodine - et par Olaf Scholz, qui ont tous deux "lamentablement échoué", et qui tentent de "s'accrocher au pouvoir", alors qu'ils devraient "cesser de se moquer de leur peuple", tirer les conséquences de leur échec et démissionner, selon le Président de la Douma. En Allemagne, remarque-t-il, le SPD a obtenu "le plus mauvais résultat de toute son histoire". La "cuisante défaite" d'Emmanuel Macron et d'Olaf Scholz est méritée pour Valentina Matvienko, la présidente de la chambre haute, elle confirme "l'inconsistance des responsables politiques nationaux et européens", qui ne pouvaient s'attendre à rien d'autre, puisque, "des années durant, ils ont ignoré les attentes réelles de leur population et de leur société" pour se "mettre à la remorque de Washington, exécuter ses ordres, renoncer à leur souveraineté". "Il semble que le dangereux virus de l'illégitimité commence à se répandre sur le continent européen", n’hésite pas à affirmer Valentina Matvienko. Politologue russe parmi les plus réputés, Fiodor Loukjanov explique la décision du président de la République de dissoudre le Parlement par la nécessité de trancher sur le fond les questions qui préoccupent "non pas l'élite du pays mais la masse de la population". "Esprit vif aux opinions élastiques, capable d'aller dans toutes les directions", Emmanuel Macron était la "réponse d’un establishment français, confronté à la perspective de l'arrivée au pouvoir d'alternatives politiques non souhaitables", il incarnait seulement "l'imitation du changement". En Allemagne, le scrutin européen donne une image peu flatteuse du gouvernement Scholz, devancé non seulement par la CDU/CSU, mais aussi par l'AfD, victime, selon lui, d'une "campagne agressive". Si l'équilibre des forces politiques au sein de l'UE est peu modifié, certains pays-clé, la France en premier lieu, connaissent des bouleversements, très désagréables pour l'establishment, conclut Fiodor Loukjanov.

Les échecs électoraux des formations pro-gouvernementales à Berlin et à Paris ont des causes différentes, juge Alexandr Braterski. La défaite d'Emmanuel Macron s'explique par une lassitude générale de l'électorat vis-à-vis de leur Président, tandis que la coalition allemande est critiquée pour ses échecs économiques. La "locomotive" de l'UE est en effet sérieusement affectée par la hausse des prix de l'énergie, une inflation élevée et par la défiance des acteurs économiques. "Les formations qui ont recueilli plus de voix que les partis de Macron et de Scholz ne sont pas des partisans de la Russie, ce sont des gens qui défendent la souveraineté de leur pays", avance pour sa part Marat Bachirov. Les électeurs ont sanctionné la politique économique mise en œuvre à Berlin et à Paris, affirme le politologue, qui prend pour exemple la délocalisation par BASF d'une partie de ses activités en Turquie et aux États-Unis. Une autre raison de l'échec électoral d'Emmanuel Macron et d'Olaf Scholz c'est, d'après Marat Bachirov, leur "politique agressive dans le conflit ukrainien". Les dirigeants français et allemands "ne cessent de relever la mise, ils obligent les Français à envoyer leurs armes pour attaquer notre territoire". Il serait inexact de considérer l'implication de leur pays en Ukraine comme la seule raison de leurs déboires, mais, observe Fiodor Loukjanov, le Président français a fait de l'Ukraine un de ses thèmes de campagne, afin de détourner l'attention de la situation interne et il est probable, selon le politologue, que "l'activisme guerrier" dont a fait preuve Emmanuel Macron, quand il évoque par exemple la possibilité du déploiement de troupes au sol, a inquiété l'opinion. En Allemagne, remarque encore Fiodor Loukjanov, la question des livraisons d'armes donne lieu à des controverses permanentes, le Chancelier se voit reprocher d'être trop timoré. Le résultat, admet-il, est ambigu, la CDU/CSU, qui compte de "vrais faucons", arrive en tête, tandis que l'AfD, hostile à la fourniture d'armes à Kiev, est en deuxième position.

L'opinion allemande n'apprécie guère le coût de l'aide à l'Ukraine, estime Nikolaï Topornine, enseignant au MGIMO, qui ne s'attend pas cependant à des élections anticipées en Allemagne. À Strasbourg et à Bruxelles, "il ne faut pas du tout escompter un changement d'orientation du Parlement européen à l'égard de la Russie. Il ne faut nourrir aucune illusion. Le "centre" politique va continuer à déterminer la politique de l'UE au cours des cinq prochaines années", estime cet expert. Ces dernières années, le Kremlin a misé activement sur les partis nationalistes de droite et sur les "eurosceptiques", dont les dirigeants ont été reçus au plus haut niveau à Moscou, rappelle Alexandr Braterski. De leur côté, rappelle-t-il, de nombreux responsables nationalistes ont exprimé leur sympathie au Président Poutine, mais ce soutien a pratiquement été réduit à néant après le début de "l'opération militaire spéciale" : beaucoup de dirigeants eurosceptiques, à l'instar de M. Le Pen, ayant condamné l'action militaire de la Russie en Ukraine. Une partie de la mouvance ultra-nationaliste est hostile à l'assistance militaire à Kiev et aux sanctions en vigueur contre la Russie mais, au sein du groupe politique conservateur du Parlement européen, certains partis comme Fratelli d'Italia et le PiS y sont en revanche favorables, relève l'agence russe RBK. C’est sans doute pourquoi, Ekaterina Entina, autre spécialiste des affaires européennes, opère une distinction au sein de la mouvance eurosceptique, elle prend en compte l’affirmation d’un courant d’ "euronationalistes", qui se distingue de ceux qui, il y a une décennie, se déclaraient hostiles à l'UE.

Les interrogations sur la politique financière du prochain gouvernement français

À moins de deux semaines du premier tour des élections législatives en France, les perspectives économiques et financières de la France retiennent l'attention des observateurs étrangers. Sans beaucoup de publicité, le premier ministre grec K. Mitsotakis a annoncé récemment qu'il avait l'intention de rembourser par anticipation un prêt d'urgence de 8 milliards€ contracté lors de la crise de la zone euro, rapporte le Financial Times. C'est la "bonne nouvelle", la mauvaise nouvelle, selon le journal, est qu'en mai Standard&Poor a dégradé la note de la dette souveraine de la France, décision à laquelle les marchés n'ont pas réagi, jusqu'à ce qu'Emmanuel Macron décide de convoquer de nouvelles élections, alors que, dans le même temps, les tractations en Allemagne pour parvenir à un accord sur le prochain budget n’ont toujours pas abouti, observe le quotidien britannique. Un nouveau risque surgit pour l'économie mondiale et il provient cette fois du cœur de l'Europe, s'inquiète Axios. La crise financière grecque ou un gouvernement d'extrême-droite en Hongrie ont une portée bien différente de l'arrivée au pouvoir dans un grand pays - si essentiel pour l'UE - d'un parti eurosceptique, observe le site d'information. Le scénario-cauchemar redouté rappelle à certains investisseurs celui enclenché par Liz Truss en 2022, qui avait conduit rapidement à sa chute spectaculaire.

Le FT s'inquiète des "fantaisies économiques de l'extrême droite et de l'extrême gauche", qui pourraient faire exploser le déficit budgétaire et la dette, conduire à une confrontation avec l'UE avec des conséquences négatives pour la zone euro. Malgré les résultats obtenus par Emmanuel Macron, en matière d'emploi et d'attractivité, et en dépit de la réforme des retraites, son bilan, s'agissant des finances publiques, est mitigé, estime le quotidien économique, le déficit budgétaire a atteint 5,5 % du PIB l'an dernier et la dette publique s’élève à 110 % du PIB. La France peut difficilement se permettre le "dangereux mix" de mesures concoctées par le RN et par le nouveau Front populaire. Le RN se situe en tête des intentions de vote, Jordan Bardella adopte un ton pragmatique, il reste toutefois difficile de savoir ce que, le cas échéant, le gouvernement qu'il dirigerait retiendra des propositions contenues dans le programme de Marine Le Pen en 2022 qui, selon le chiffrage de l’institut Montaigne, rappelle le FT, auraient creusé le déficit de plus de 100 milliards €. Malgré la dégradation de la note française et l'accroissement de l'écart ("spread") entre les rendements des obligations françaises et allemandes, qui a atteint son plus haut niveau depuis 2012, la dette française reste à ce jour très demandée. Néanmoins, estime le FT, beaucoup en France n'ont pas conscience des risques auxquels leur pays fait face aujourd’hui.

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