Avec un vaste réseau routier de plus de 1 105 000 kilomètres, le second réseau ferré le plus long et le plus rapide d’Europe, 180 aéroports commerciaux et de grands ports maritimes, la France dispose d’un important patrimoine d’infrastructures de transport, composant essentiel du maillage territorial national et prérequis de la mobilité des citoyens.
Le secteur des transports constitue le premier poste d’émissions français, à l’origine de 29 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES). La réalité du changement climatique impose donc aujourd’hui de repenser stratégiquement et durablement les infrastructures de transport, qui doivent permettre et accompagner la décarbonation du secteur. En effet, malgré des engagements ambitieux pris à l’échelle nationale et concrétisés par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), la trajectoire actuelle en matière de réduction des GES n’est pas satisfaisante. Pour atteindre l’objectif européen d’une réduction de 55 % des émissions de GES à horizon 2030, il conviendra de baisser de 60 % les émissions du secteur des transports en moins de dix ans. Or, la mobilisation des solutions technologiques existantes ne sera pas suffisante au respect d’une telle cadence de décarbonation. Une véritable rupture est donc à opérer, et l’évolution des comportements de mobilité sera demain essentielle au respect de nos objectifs environnementaux dans le secteur des transports.
Dans cette optique, l’Institut Montaigne se concentrait au mois de décembre 2021 sur la décarbonation des mobilités du quotidien, dans un rapport intitulé Transports du quotidien : en route vers le sans carbone !. Ce travail proposait une série de leviers actionnables à court terme pour permettre d’engager une décarbonation efficace des usages de mobilité. De la même manière, le présent rapport s’attache à penser la refonte des politiques d’infrastructures de transport, en proposant une nouvelle approche centrée sur l’objectif de lutte contre le dérèglement climatique. Pour ce faire, toutes les dimensions de l’action publique en matière de transports devront être mobilisées - gouvernance, fiscalité, tarification, investissements et régulation - pour permettre d’envisager, à horizon 2050, l’atteinte de la neutralité carbone dans le secteur.
Face à la complexité des enjeux adressés par ce rapport, et en reconnaissant l’enjeu que représente la décarbonation du secteur des transports, certaines des propositions avancées par ce travail auront vocation à être approfondies ultérieurement, à l’occasion d’ateliers de travail qui se dérouleront en 2022. Les conclusions qui en découlent seront actualisées ci-dessous.
Le secteur des transports, clé de mobilité et d’organisation du territoire
La mobilité constitue un enjeu essentiel pour les Français, aussi bien dans leurs déplacements quotidiens que plus occasionnels. Le transport est un vecteur indispensable d’insertion économique sur le territoire, en cela qu’il est souvent clé à la pratique d’une activité professionnelle, d’études ou de loisirs. En moyenne, un Français se déplace ainsi 10 heures par semaine et parcourt 400 kilomètres, soit l’équivalent d’une journée et demie de travail et d’un trajet Paris-Nantes. Cette mobilité se trouve aujourd’hui largement dominée par l’automobile, utilisée pour 62,8 % des déplacements de moins de 80 kilomètres et pour 72,3 % des voyages. Et pour cause, près du quart de la population métropolitaine vit dans des territoires où la faible densité de population rend l’usage de l’automobile indispensable, ce qui met en péril la cohésion territoriale de notre pays.
En France, les enjeux de mobilité sont aussi intrinsèquement liés à la cohésion sociale. Le coût élevé de la mobilité, en particulier hors des centres métropolitains, divise les citoyens. Ainsi, près de 25 % du budget des ménages est absorbé par les déplacements habituels dans le grand périurbain francilien, et la voiture est un mode de déplacement du quotidien plus cher en un seul mois que 10 mois d’abonnement à un réseau de transport public à 60 euros par mois (avec 50 % de remboursement par l’employeur). Cette fracture est d’autant plus forte que l’augmentation de la vitesse de déplacement et la démocratisation de la voiture et de l’avion ont transformé nos modes de vie : à présent, les personnes privées de cette "hypermobilité" le vivent comme un déclassement.
Un secteur en retard en matière de lutte contre le changement climatique
Si le secteur des transports occupe une place prépondérante dans la vie des citoyens, il est aussi au centre de la lutte contre le dérèglement climatique. Et il accuse un sérieux retard. À rebours des secteurs de l’industrie, de l’immobilier ou de l’agriculture, il s’agit du seul secteur dont les émissions de GES n’ont pas baissé depuis 1990. Sur cette période, elles ont même augmenté de 10 %, voire de 14 % si l’on y inclut les émissions liées aux transports aérien et maritime internationaux.
Les investissements massifs dont ont bénéficié les transports en commun, de l’ordre de 90 milliards d’euros au cours des dix dernières années, n'auront pas suffit à enrayer ce phénomène. Ils ont pourtant bien permis une réduction du trafic automobile dans les centres-villes, mais au global leur impact est resté limité, les déplacements au sein des centres urbains ne représentant que 1 % des émissions de GES liées à la mobilité voyageurs. Les changements de comportement de mobilité observables ont été marginaux : entre 2008 et 2019, la part modale de la voiture n’est passée que de 64,8 % à 62,8 %.
La France est donc en retard par rapport aux objectifs fixés par la SNBC, mais aussi par rapport à ses voisins européens. En effet, la part des transports collectifs et des modes doux (vélo, marche à pied, etc.) est plus faible en France que dans les pays voisins. Ainsi, si le report modal patine encore dans l’Hexagone, la voiture ne représente déjà plus que 52 % des déplacements à l’échelle européenne.