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Note
Juillet 2021

China Trends #9
Une Chine décarbonée est-elle possible ?

Auteurs
François Godement
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

François Godement est Expert Résident principal et Conseiller spécial – Asie et États-Unis à l’Institut Montaigne. Il est également Nonresident Senior Fellow du Carnegie Endowment for International Peace et assistait le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français en tant que consultant externe  jusqu'à l'été 2024.

Viviana Zhu
Analyste Chine - Anciennement Research Fellow - programme Asie, Institut Montaigne

Viviana Zhu était Research Fellow à l'Institut Montaigne jusqu'en janvier 2023. Avant cela, elle était coordinatrice du programme Asie à l’European Council on Foreign Relations (ECFR)

Ce numéro de China Trends s’intéresse aux objectifs de décarbonation de l'économie chinoise, déjà passés en revue par l’Institut Montaigne il y a quelques semaines. Les trois contributeurs de ce numéro ont chacun choisi un angle au sein des débats qui animent les experts et commentateurs chinois. Viviana Zhu, chargée d’études Asie à l’Institut Montaigne et rédactrice en chef de China Trends, analyse la manière dont sont appréhendés les moyens d'atteindre l’objectif, fixé par Xi Jinping, de neutralité carbone d’ici à 2060. Byford Tsang, Senior Policy Adviser du think tank E3G, se penche sur la question du charbon et des énergies fossiles. Enfin, Stephen Minas, Associate Professor à la School of Transnational Law de l’université de Pékin et Senior Research Fellow au Transnational Law Institute du King’s College London, explore l’état de la diplomatie climatique chinoise. Ce numéro est introduit par François Godement, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne. 

 

Une certaine ambiguïté

Les sources sur lesquelles s’appuie notre numéro signalent une sorte de malaise, ou tout du moins une certaine ambiguïté parmi les experts et les défenseurs de la diplomatie publique de la Chine. On peut le comprendre : tout objectif fixé par le Président Xi Jinping devient par essence incontestable. Mais, de façon assez judicieuse, le Président chinois qualifie aussi la trajectoire pour atteindre ces objectifs de "bataille difficile". Les commentateurs chinois se doivent donc d’inclure dans leurs analyses l’évocation des difficultés qu’impliquera cette bataille - sans pour autant aller jusqu’à mettre en doute le caractère réaliste des objectifs d’ensemble. Après tout, il y a aussi des raisons d’être optimiste : certaines évolutions qui pourraient se produire en Chine - sinon avant 2030, du moins avant 2060 - sous l’effet des innovations technologiques, de la restructuration de ce qui devrait alors être une économie avancée ou d’un changement radical dans la demande d’énergie avec une population plus réduite, pourraient rendre ces objectifs plus atteignables.

Des réserves réalistes

Pourtant, les experts chinois formulent des réserves, même si c’est plus ou moins ouvertement. L’une d’elles revient à affirmer que la croissance économique ne doit pas être négligée au profit du contrôle des émissions. On ne trouvera pas en tous cas en Chine de partisans de la "décroissance", ce refrain à la mode propre aux vieilles sociétés industrialisées… Admettons toutefois qu’une population chinoise sur le déclin dès les prochaines années, ainsi que l’achèvement de l’urbanisation massive qui a caractérisé la Chine ces dernières décennies, pourraient constituer des éléments de réponse au défi des émissions. Là où le bât blesse, c’est qu’au moins dans un avenir proche, la croissance chinoise rimera avec charbon, acier, ciment, aluminium et produits pétrochimiques, en raison d’un secteur de la construction exceptionnellement prédominant. Même une part de la mobilité électrique atteignant 100 % dans les transports ne compenserait pas cette réalité.

Verdissement et diplomatie publique chinoise

Si ces commentateurs cherchent à se persuader que la réduction des émissions relève d’une tendance mondiale inévitable et que le contrôle de ces émissions sera porteur de croissance, on note aussi l’argument en filigrane selon lequel la Chine ne pourra faire autrement que de s’en tenir à un degré supérieur d’émissions de CO2. La diplomatie climatique de la Chine, comme le montre ce China Trends, combine rigidité traditionnelle et efforts d’adaptation aux requêtes internationales. À la rubrique de cette rigidité, on trouve le droit à polluer, découlant directement du fait que d’autres ont pollué avant la Chine. Cet argument moral exempte la diplomatie chinoise de toute culpabilité, bien que l’échelle actuelle des émissions chinoises de CO2 écrase celle de tous ses prédécesseurs dans l’histoire. Mais sous la rubrique de l’adaptation aux exigences internationales, on trouve le fait que la Chine cherche à jouer un rôle d’inspirateur dans la "civilisation écologique". On ne peut nier que le pays est parvenu à développer ce qui est désormais le plus grand secteur d’énergies alternatives au monde et que sa diplomatie publique est à l’avant-garde de la sémantique du verdissement.

La décarbonation, un objectif parmi d’autres

C’est principalement la pleine conscience qu’ils ont de la structure actuelle de l’économie chinoise qui gêne nombre d’experts et de commentateurs. Nous ne pouvons les blâmer qu’avec un brin d’hypocrisie : au regard, dans les économies très avancées, de la difficulté à mettre en œuvre une transition verte dans le secteur du logement et de la construction, de la place que l’agriculture tient encore dans les émissions et des combats qui opposent toujours les partisans de telle ou telle source d’énergie, on comprend bien que toute transition énergétique implique et mobilise la société tout entière. 

La capacité tant vantée de la Chine à surmonter la résistance des groupes sociaux grâce à l’autoritarisme a ses limites. Les secteurs économiques qui défendent le statu quo s’avèrent être les piliers de l’État-parti, et l’édification d’une société "modérément prospère" est l’atout clé que le Parti communiste chinois brandit à destination de la population. On entend souvent, de la part des observateurs étrangers, l’argument selon lequel la transition verte en Chine est aussi pour elle un enjeu vital, dans un pays qui, représentant 30 % des émissions mondiales et avec une grande sensibilité à la pollution et au changement climatique, serait à la fois le coupable et la victime directe de sa trajectoire intensive en CO2. En Chine comme ailleurs, cet argument repose sur l’hypothèse d’un processus de décision rationnel. Mais d’importants inconvénients de court terme, les problèmes d’ajustement et la question des perdants de cette transition pèsent tout autant dans l’équation. 

Il faut espérer que ce débat s’épanouira en Chine, car ce n’est qu’en transformant l’ensemble de la structure économique que les objectifs 30/60 (pic des émissions d’ici à 2030, neutralité carbone d’ici 2060) deviendront réalistes.


Téléchargez la version complète en anglais au lien ci-dessous.

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