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Introduction - François Godement
Comment échapper au piège des États-Unis ? - Mathieu Duchâtel
Une offensive de charme à l'égard de l'Union européenne ? Une posture de séduction sans changement de substance - Marcin Przychodniak
Nouvelles routes de la soie et Initiative pour le Développement Mondial : comparer ce qui est comparable - François Chimits et Francesca Ghiretti

À propos

China Trends est une publication trimestrielle en anglais du programme Asie de l’Institut Montaigne. Chaque numéro est consacré à un thème unique et cherche à comprendre la Chine en s’appuyant sur des sources en langue chinoise. À une époque où la Chine structure souvent l’agenda des discussions internationales, un retour aux sources de la langue chinoise et des débats politiques - lorsqu’ils existent - permet une compréhension plus fine des logiques qui sous-tendent les choix de politiques publiques de la Chine.

Introduction

François Godement, Conseiller pour l’Asie

Ces jours-ci, l’offensive mondiale de Xi Jinping se déploie sur tous les fronts, de la reprise de ses déplacements à l’étranger à la diplomatie publique de la Chine. Une Initiative pour la Sécurité Mondiale, une Initiative pour le Développement Mondial, et à présent une Initiative pour la Civilisation Mondiale : chargées en rhétorique, plus discrètes sur les contenus, ces offrandes au monde servent avant tout à élargir le champ d’action de ce qu’elle appelle son "pouvoir discursif" (话语权). Zheng Bijian, conseiller du PCC et par ailleurs promoteur du slogan d’une "ascension pacifique" de la Chine dans les années 2003-2004, semble avoir été aussi le premier à utiliser cette notion de pouvoir discursif. Hu Jintao, leader de la Chine de 2002 à 2012, a fait de cette notion un pré-requis pour faire progresser le soft power du pays. Xi Jinping s’est également approprié la notion, qu’il exprimera plus simplement en 2013 avec la nécessité de "bien raconter l’histoire de la Chine" (讲好中国故事). 

À un moment idéal pour son positionnement vis-à-vis de la guerre russe en Ukraine, la Chine se pose aussi en médiateur entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Après des efforts inaboutis en Birmanie (2016), la Chine veut aussi jouer le rôle de facilitateur pour le règlement des conflits dans la Corne de l’Afrique. Et bien évidemment, la proposition chinoise en douze points pour une solution à la "crise ukrainienne" est aussi un pas en avant pour la diplomatie chinoise. Prises ensemble, ces différentes initiatives indiquent clairement un changement par rapport à une diplomatie chinoise habituellement précautionneuse et lente, et à une habitude chinoise bien ancrée visant à décrire tout acte assertif de la Chine comme une simple réaction aux actions injustifiées de l’un ou l’autre acteur international.

Le poids croissant de la Chine dans l’économie mondiale, des décennies d’augmentations continues des dépenses militaires qui surpassent désormais le taux de croissance de son PIB, son apparente centralisation du pouvoir qui contraste avec la discorde politique au sein de bien des démocraties, sont les éléments qui accréditent l’idée selon laquelle Pékin est en passe de remodeler l’ordre international. Cela fait maintenant près d'un demi-siècle que la "montée en puissance de la Chine" nous fascine. À plusieurs reprises au cours de ces cinq décennies, des hypothèses ont été émises quant à la direction prise par la Chine. L’idée d’une convergence mondiale, fondée sur l'ouverture de son marché et les réformes économiques, s'est avérée erronée. Aujourd'hui, la diplomatie chinoise est soudain considérée comme passant d'un rôle passif à un rôle actif, avec la capacité de défier les États-Unis pour le leadership mondial. Toute réticence précédente - y compris la réticence bien connue de la Chine à assumer ses responsabilités - pourrait de ce fait être oubliée. La cour faite en priorité par la Chine aux pays dits du "Sud global" et sa traduction dans ce qui semble être un consensus anti-américain et anti-occidental impressionnent aussi le public.

La diplomatie chinoise est soudain considérée comme passant d'un rôle passif à un rôle actif, avec la capacité de défier les États-Unis pour le leadership mondial.

Mais il convient de regarder de plus près, en nous fondant sur deux observations principales. Premièrement, les capacités chinoises sont-elles véritablement à la hauteur de l’ombre projetée par Pékin sur la communauté internationale ? Deuxièmement, quels risques la Chine est-elle prête à prendre dans ses initiatives - en tant qu'adversaire défiant les démocraties occidentales, en tant que médiateur ou pacificateur, et en tant qu’ami des autocraties dans le besoin ? La réalité reste bien en deçà des affirmations et brosse un tableau différent : celui d'une puissance opportuniste qui utilise les faiblesses et les divergences du camp des démocraties tout en dénonçant ce qu'elle qualifie d’encerclement.

Sur le plan financier, la Chine accumule les excédents - mais en devises occidentales. Ce que l'on appelle le soft power de la Chine réside dans sa puissance commerciale et son rôle de prêteur financier. Mais elle peut difficilement se détacher du dollar ou forcer le remboursement de tous les prêts consentis, qui sont concentrés sur des pays en développement. Son influence sur ses débiteurs dépend aussi de ses propres recettes. Notre soif insatiable pour les produits chinois est sa principale source de richesse. Les gains qu’elle tire du commerce avec des pays comme la Russie ou ceux du Moyen-Orient, qu'elle domine certes sur le plan commercial, restent marginaux.
 
Sur le plan militaire, des décennies d'expansion budgétaire ne sont pas équivalentes à un déploiement opérationnel ou à l'expérience en matière de combat. La Chine excelle dans l'art des provocations calculées et du jeu avec les lignes rouges, pour changer petit à petit les règles du jeu. Elle peut compter sur la réticence des autres à s'engager dans des conflits. Elle fait commodément abstraction de cette retenue lorsqu'elle dénonce les sanctions comme étant presque comparables à un acte de guerre. Par contre, une partie de son programme de défense vise à atteindre une quasi-parité avec les États-Unis en termes d'armes nucléaires. On ne conquiert pas un territoire avec des armes nucléaires, mais on peut dissuader une intervention dans tout conflit, et c’est là que réside la poussée chinoise.

La Chine peut-elle être un arbitre ? Son rôle dans le compromis négocié entre l'Iran et l'Arabie saoudite donne en effet matière à réflexion. Mais ne nous limitons pas aux apparences. Dès les années 1980, Riyad achetait déjà des missiles moyenne portée à la Chine, et l'Iran a renforcé ses échanges avec la Chine depuis la guerre Iran-Irak. Les Saoudiens et les Iraniens discutaient déjà à Bagdad jusqu’à ce qu’un changement de gouvernement irakien rende cette localisation moins propice.

La Chine n'est traditionnellement pas un joueur prenant de grands risques, comme les limites constatées à sa relation avec Moscou le démontrent encore. Oui, la Chine soutient Poutine, au point que Xi souhaite ouvertement sa "réélection" : elle déroge ainsi pour la première fois à son principe sans cesse réaffirmé de non-ingérence étrangère dans les affaires intérieures d’un pays. L'amitié "sans limite" est de nouveau proclamée, de même qu'une litanie de plaintes allant de l'élargissement de l'OTAN aux déchets nucléaires présumés de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima. Mais rien n'est dit sur un soutien matériel à la Russie - relatif à des armes en particulier. L'affirmation précipitée de Poutine d’un accord sur le point d’être conclu concernant le gazoduc "Force de Sibérie 2" ne s’est pas vérifiée au cours de la visite. Joe Biden a donné acte à la Chine que des ventes d’armes à la Russie n’étaient pas détectées.

La Chine excelle dans l'art des provocations calculées et du jeu avec les lignes rouges, pour changer petit à petit les règles du jeu.

La Chine joue sa partition avec talent. L’évocation de la Charte onusienne et de ses normes ne coûte pas grand-chose, puisque l'ONU est paralysée sur la question ukrainienne par le droit de veto de la Russie et implicitement par la position chinoise au Conseil de sécurité . Le coût pour la Chine de son parti pris manifeste pour la Russie n'est pas énorme : l'Europe n'a pas de poids stratégique en Asie-Pacifique, au-delà d'initiatives isolées. Il est rationnel pour la Chine de prévoir que le souhait de nombreux Européens de mettre un terme à la guerre maintiendra la communication, sinon une entente désormais absente. Quant à la Russie  : "C'est dans les moments difficiles que l'on voit ses vrais amis", écrit Xi Jinping dans une publication russe. Même si, pour être juste, ces propos ont été tenus dans le contexte de la crise du Covid, ils témoignent également du sentiment que Pékin a bien le dessus sur la Russie. Enfin, Xi Jinping s'est lancé dans une série d’accusations contre les États-Unis, mais sans apparemment franchir la ligne rouge de livraisons d'armes substantielles. 

Comme c'est le cas avec les efforts déployés par la Chine à l'ONU depuis plusieurs années, l'offensive verbale de la Chine est incessante, à 360 degrés, et abonde de promesses de prospérité commune sous un seul toit, pour reprendre une antienne du Japon d’avant-guerre. Mais il n'y a pas une seule proposition visant à rendre les institutions internationales plus efficaces. Les règles contraignantes ne sont invoquées que lorsqu'elles limitent l’action de celles-ci. Les grandes propositions - la dernière en date étant la "Global Civilisation Initiative" - ne sont pas accompagnées de mesures concrètes : les Nouvelles routes de la soie se distinguent certes, mais il s'agit plus d'un programme commercial d'infrastructures que d'une avancée en termes d’aide au développement.

Il est rationnel pour la Chine de prévoir que le souhait de nombreux Européens de mettre un terme à la guerre maintiendra la communication, sinon une entente désormais absente.

La force de la Chine réside dans sa balance commerciale et la puissance financière qui en découle, à défaut d’une liberté de mouvement des capitaux. En creux, elle bénéficie des doutes sur l'engagement à long terme des États-Unis pour sauvegarder l'ordre international, et de la faiblesse collective de l'Europe : nous nous sommes mieux unis face à la guerre de la Russie que beaucoup ne l'avaient prédit, mais nous ne pouvons pas soutenir l’Ukraine autant qu'il le faudrait, et nos dirigeants politiques craignent une lassitude de l'opinion publique.

La Chine exploite intelligemment, et parfois avec audace, ces opportunités. Xi Jinping résume à nouveau la situation au moyen d’une de ses phrases favorites, cette fois-ci au bénéfice de Poutine  : une occasion comme il ne s’en produit qu’"une fois tous les 100 ans". Jusqu'à présent, les coûts comme les risques encourus sont faibles. Derrière les louanges de la charte de l’ONU, ce sont des coalitions entre "grands pays" - car la casuistique chinoise exclut le terme de « grande puissance » - qui sont recherchées face à des règles internationales affaiblies. Les régimes autoritaires peuvent se défendre contre le chaos mondial, alors que les démocraties ont besoin de règles. Dans une telle situation, la vulnérabilité de la Chine se situe au niveau commercial - au moins à cet égard, un grand exportateur a besoin de règles. C'est pourquoi notre addiction aux marchandises chinoises est la véritable assurance-vie de cette stratégie internationale low cost.

Comment échapper au piège des États-Unis ?

Un piège américain ? L'idée apparaît dans les cercles de discussion stratégique chinois. D'une part, elle résulte de l'observation chinoise des revers russes en Ukraine. D'autre part, elle consiste en une vision des actions américaines comme cherchant à provoquer une réaction excessive et un isolement de la Chine. Mathieu Duchâtel, directeur des études internationales à l'Institut Montaigne, se penche sur cette notion de piège dans les écrits des experts chinois. La recommandation qui en découle est que la politique étrangère chinoise devra essayer de contourner les pièges tendus et parvenir à s’étendre où que peut se faire.

Une offensive de charme à l'égard de l'Union européenne ? Une posture de séduction sans changement de substance

Une offensive de charme chinoise vers l'Europe malgré le penchant de Xi pour le partenariat stratégique sino-russe ? Marcin Przychodniak, du Polish Institute of International Affairs, affirme que la Chine a ajusté son discours sur l'Union européenne, mais qu'il y a peu de changement sur le fond. La reprise des réunions diplomatiques de haut niveau après le Congrès du Parti encourage les partisans européens d'un plus grand engagement diplomatique avec la Chine, mais les analyses chinoises suggèrent de ne pas s'éloigner de l'inflexibilité pour autant.

Nouvelles routes de la soie et Initiative pour le Développement Mondial : comparer ce qui est comparable

L’Initiative pour le Développement Mondial a-t-elle remplacé les Nouvelles routes de la soie ? François Chimits et Francesca Ghiretti, du bureau bruxellois de MERICS, passent en revue divers textes chinois sur cette question apparemment abstraite, qui a pourtant des conséquences importantes pour l'engagement de la Chine avec les pays en développement. Les analystes chinois voient les deux initiatives comme complémentaires plutôt que contradictoires, mais des questions subsistent quant à la nature de cette complémentarité.

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