AccueilExpressions par MontaigneVaccination dans le monde : comment convaincre les plus réticents ? L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.08/09/2021Vaccination dans le monde : comment convaincre les plus réticents ? Cohésion sociale Santé Société Action publiqueImprimerPARTAGERAuteur Laure Millet Experte Associée - Santé Auteur Angèle Malâtre-Lansac Déléguée générale de l'Alliance pour la santé mentale Le 12 juillet dernier, le président Emmanuel Macron annonçait la mise en place du pass sanitaire. Sa vocation est claire : inciter un maximum d’individus à se vacciner. Sa portée, quant à elle, est double : au niveau national, le pass doit permettre de limiter le risque épidémique et d’inciter à la vaccination, tout en maintenant ouverts de nombreux secteurs et activités. Au niveau international, il doit permettre un meilleur contrôle sanitaire aux frontières. À la suite de cette annonce, Doctolib a recensé 926 000 prises de rendez-vous de vaccination en une journée, un record. Plus de huit mois après le début de la campagne de vaccination et quelques semaines après la mise en place du pass sanitaire, quelles sont les stratégies adoptées par les autres pays ? Quelles bonnes pratiques peuvent nous inspirer ? Vaccination : carotte ou bâton ?Après des débuts poussifs liés principalement au nombre limité de doses reçues, la campagne vaccinale française a pris de l’ampleur un peu avant l’été, lorsque la vaccination a été ouverte à toutes les personnes de plus de 18 ans désireuses de se faire vacciner. Cependant, la France fait aujourd’hui face, comme de nombreux pays européens, à une diminution du nombre de vaccinations par jour (près de 700 000 fin juillet contre environ 400 000 fin août). De plus, les taux de couverture vaccinale restent extrêmement bas dans les territoires ultra-marins (autour de 20 % en Guadeloupe ou en Martinique). En cause, une hésitation vaccinale marquée voire une résistance chez certaines populations, ainsi que des difficultés à accéder à la vaccination notamment pour les populations les plus vulnérables et éloignées du système de soins. De nombreux pays font face à cette difficulté à inciter 30 à 40 % de la population restante à se faire vacciner. Pour relever ce défi, certains gouvernements locaux et nationaux ainsi que les entreprises ont fait preuve d’ingéniosité : organisation d’une loterie dans l'Ohio, promotions sur les VTC en Angleterre ou encore récompense d’un montant de 150 euros pour les jeunes Grecs vaccinés afin d'accélérer la campagne vaccinale en réaction à l’arrivée du variant Delta. En Chine et au Japon, c’est plutôt les bons d’achats et les tickets de loterie qui visent à inciter à la vaccination. D’autres pays asiatiques, comme la Corée, ont en revanche choisi des mesures un peu plus conventionnelles en implémentant des "congés vaccination", afin de permettre à la population active de se faire vacciner sans sacrifier de jours de vacances. De nombreuses entreprises américaines ont aussi récompensé leurs salariés vaccinés en leur offrant des congés payés sur le même modèle que la Corée, des chèques cadeaux ou encore des titres de transport.D’autres pays ont mis en place des mesures plus coercitives qui n’ont pas vocation à récompenser les vaccinés mais plutôt à inciter les plus réticents à se faire vacciner. C’est le cas de la France, avec la mise en place du pass sanitaire. Pour beaucoup, celui-ci fait même figure d’exemple, ayant contribué à faire passer le taux de vaccination de 55 % à 77 % en à peine un mois. Le pass sanitaire français n'est toutefois pas une exception en Europe. D’autres pays mettent en place des dispositifs similaires, comme l’Italie ou l’Allemagne. Les réactions varient significativement d’un pays à l’autre : si le pass sanitaire français fait l’objet de vifs débats, son équivalent danois le "Coronapass" a été rapidement accepté et mis en œuvre. Son succès a été tel qu'il a été suspendu le 1er septembre. Équivalent du pass sanitaire ?Obligations vaccinales ? (Si oui, préciser) JaponNonNonÉtats-UnisÀ la discrétion des ÉtatsÀ la discrétion des États (source)AllemagneOui (Règle des 3G - source)Non (source)IsraëlOui (Badge vert - source)NonRoyaume-UniOui (NHS Covid Pass), mais obligation à la discrétion de l’établissement (Source).Oui (personnes travaillant dans des structures de soins [care home workers] - source)ItalieOui (Green Pass)Oui, pour le personnel soignant (source), réflexion en cours pour l’élargir (source). D’autres publics comme les enseignants ne sont pas contraints de se vacciner mais doivent présenter un pass sanitaire valide pour travailler (source)FranceOui (Pass sanitaire)Oui (personnels des établissements de santé et médico-sociaux, aides à domicile, transports sanitaires, pompiers, étudiants en santé) - source)CanadaÀ la discrétion des provincesOui (employés fédéraux - source)ChiliOui (Pase de Mobilidad)Non (aucune information sur le calendrier de vaccination du pays).EspagneNon (source)Non (source)Données du 7 septembre 2021.Malgré l’indignation d’une partie de la population française face à une mesure jugée anti-démocratique, celle-ci paraît bien moins coercitive que certaines dispositions prises à l’étranger. La ville de Jakarta, capitale de l’Indonésie, a par exemple annoncé qu’elle condamnerait ceux qui refusent de se vacciner à une amende de près de 356 dollars. Le président philippin a quant à lui menacé les réticents au vaccin d’une peine de prison. Un équilibre délicat à trouver pour promouvoir la vaccination Plusieurs études en neurosciences ont examiné l’intérêt des stratégies punitives ou incitatives. Les neurosciences suggèrent que lorsqu'il s'agit de motiver une action, les récompenses peuvent être plus efficaces que les punitions. Et l'inverse est vrai lorsqu'il s'agit de dissuader les gens d'agir - dans ce cas, les punitions sont plus efficaces. On pourrait donc s’attendre à ce que les mesures incitatives soient visiblement plus efficaces que la coercition dans le cas de la vaccination contre le Covid-19. Dans les faits, cependant, leur effet reste difficilement mesurable. Selon une étude de l’Université de Californie à Los Angeles, si 1 Américain sur 3 se dit favorable à la vaccination contre 100 dollars, 20 % d'entre eux affirment qu’une telle récompense, au contraire, les dissuaderait de se rendre dans les centres. Le plus souvent, les pays ayant mis en place des mesures sévères et punitives ne sont pas des démocraties. Par ailleurs, beaucoup d'entre eux sont victimes de difficultés pour accéder au vaccin. Il est donc difficile d’évaluer l’efficacité de ces mesures sur la base de la proportion de personnes vaccinées dans ces pays.Au niveau européen, la comparaison pourrait être plus pertinente, le pass sanitaire étant la mesure la plus coercitive en vigueur sur le vieux continent depuis la fin des derniers confinements. Pourtant, les résultats n’en sont pas plus nets. Et pour cause, dans le top 10 des pays européens aux taux de vaccination les plus élevés, seuls le Danemark et la France ont un dispositif de pass sanitaire en place et ne sont respectivement qu’à la cinquième et neuvième position européenne. Malgré le bond enregistré dans l’hexagone en juillet, il semble difficile aujourd’hui de pouvoir généraliser sur l’efficacité du pass sanitaire à moyen terme.Pourcentage de la population partiellement (source) et totalement vaccinée (1, 2 ou 3 en fonction des vaccins et des personnes - source) selon les paysDonnées du 7 septembre 2021.Une politique de l’"aller vers" et de la pédagogie pour convaincre les plus réticentsPour augmenter le taux de vaccination, l’information sur l’efficacité des vaccins et la dangerosité de la maladie est cruciale. Si les dernières études confirment l’efficacité à 95 % des vaccins à ARN messager, les processus d’élaboration et de validation des vaccins par les autorités doivent être plus lisibles par les citoyens. Par exemple, au Canada, le site internet du gouvernement détaille le processus de régulation des vaccins et publie des rapports hebdomadaires sur les effets secondaires notés et les mesures prises. De plus, convaincre des bienfaits de la vaccination passe par l’implication du personnel de santé, en ville comme à l’hôpital, ainsi que des personnes déjà vaccinées, dans la sensibilisation des citoyens. Selon un sondage mené par Time en avril dernier, 72 % des Américains vaccinés rapportent avoir été convaincus par la lecture d’articles sur les résultats des essais cliniques, et 63 % en lisant les témoignages des premiers vaccinés. Le constat est le même en Espagne, où une excellente relation entre médecins et patients fait partie des facteurs qui ont fait pencher la balance. Enfin, persuader les réticents requiert de dépasser le cadre des centres de vaccination et d’aller directement à la rencontre de ceux qui sont les plus sceptiques ou les plus éloignés du système de santé, par le biais de mesures adaptées. Un sénateur américain commentait justement qu’à ce stade, il fallait aller directement vers les gens en mettant le vaccin en face d’eux, sans quoi ils ne viendraient pas ("We’re getting to a point where, if you ask people to take the vaccine, if you have the vaccine right in front of them, they’ll take it. But you have to find them. They’re not going to come to you"). Pour ce faire, ce n’est à nouveau pas l'ingéniosité qui a fait défaut. En Angleterre par exemple, de nombreux centres de vaccination "pop-up" sans rendez-vous ont été mis en place un peu partout, tandis qu’un bon nombre d'universités britanniques ont été en partie transformées en centre de vaccination pour encourager les étudiants à se vacciner. Dans le même esprit, l’Espagne a fait le choix de réserver le vaccin Janssen, monodose, pour les personnes sans domicile fixe ou éloignées du système de santé, moins susceptibles de se faire vacciner. Une étude publiée récemment dans Nature Human Behavior rappelait le lien entre méfiance envers la science et doutes sur le développement du vaccin contre le Covid-19. En clarifiant la communication grâce à des campagnes d’acculturation scientifique et en "allant vers", la campagne de vaccination peut parvenir à atteindre les plus sceptiques. Et nous aider à mieux répondre et plus vite aux futures pandémies. Nous remercions Hippolyte Cailleteau et Kenza Sabri, assistants chargé d'études, pour leurs recherches sur les données de cet article. Copyright : Indranil MUKHERJEE / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 11/02/2021 Passeport vaccinal : l’enjeu de l’utilisation des données de santé Laure Millet 06/01/2021 Vaccination contre le Covid-19 : inspirons-nous des stratégies des autres p... Laure Millet 01/12/2020 L’importance - et les conditions - d’un plan de vaccination réussi Nicolas Bauquet Eric Chaney Angèle Malâtre-Lansac