AccueilExpressions par MontaigneTrump est l’incarnation d’un système démocratique dévoyéL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.16/01/2017Trump est l’incarnation d’un système démocratique dévoyéImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.Il existe, depuis l'élection du nouveau Président américain un courant d'opinion tendant à minimiser les risques du "Mauvais Trump" et à surestimer les possibilités du "Bon Trump". Une tentation à repousser.La série télévisée "The Crown" (La Couronne) consacrée aux premières années du règne d'Elizabeth II constitue une excellente introduction aux fondamentaux de la démocratie britannique. On y voit le Vice-Provost d'Eton donner, avant la guerre, des leçons à la jeune altesse royale. Citant le grand journaliste de l'époque victorienne, Walter Bagehot, son tuteur disait à la future reine : "il y a deux mots clés qui constituent les piliers du système politique britannique : l'efficacité et la dignité. Le Premier ministre doit être efficace. Le Monarque doit être digne".En regardant mercredi dernier la première conférence de presse du Président élu des États-Unis, je ne pouvais m'empêcher de penser à la formule de Bagehot. Le Président des États-Unis, tout comme le Président de la République en France, est tout à la fois le symbole et la réalité du pouvoir. Autrement dit, il est le Premier ministre et la Reine d'Angleterre. La manière dont il incarne sa fonction est au moins aussi importante que son programme et ses réalisations.Il existe depuis l'élection de Donald Trump, une double tendance, peut-être aussi dangereuse qu'illusoire. Elle est surtout présente dans le monde de l'économie et de la finance et elle consiste à minimiser les risques du "Mauvais Trump" et à surestimer les possibilités du "Bon Trump", autrement dit, à oublier la politique et la géopolitique et à ne penser qu'en termes exclusivement économiques. "Le Bon Trump, mélange de Ronald Reagan et de Larry Summers saura, grâce à ses baisses massives d'impôts sur les sociétés, relancer l'économie et créer des emplois", me disait dernièrement un ponte américain de la finance. "Il est très clairement une chance pour l'Amérique et pour l'économie mondiale".Certes la première conférence de presse du futur président, mon interlocuteur en convenait, n'était pas rassurante. "Mais Trump a des bons et des moins bons jours. Quand il est confiant et calme, il fait preuve d'ouverture et de modération, comme lors du discours qu'il fît au lendemain de sa victoire. Quand il est sous pression par contre, il peut disjoncter"."Chassez le naturel, il revient au galop", dit le proverbe. Et dans le cas de Trump, le naturel est exceptionnel. "This time, it's different". C'était le titre d'un excellent livre de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff consacré à la crise financière de 2007-2008. La formule pourrait s'appliquer parfaitement à la personnalité du nouveau Président des États-Unis. Qui a jamais vu un Président, pas encore en fonction de surcroît, critiquer aussi violemment ses propres services secrets, refuser de répondre à une question d'un journaliste de CNN, décrite comme "a trash network" on dirait en français "une chaîne de M...." ?Les rumeurs sur l'existence de vidéo compromettantes montrant Donald Trump avec des prostituées russes ne sont que des rumeurs et doivent être traitées avec circonspection. Reste qu'elles circulaient depuis des semaines dans les milieux dits "bien informés" de Washington et qu'elles apparaissent "crédibles" compte tenu de la personnalité de Donald Trump, et de la tradition soviétique d'utiliser la "faiblesse de la chair", pour exercer des pressions sur ceux qui n'auraient pas eu la prudence de résister à la tentation.Au delà des faits eux-mêmes se pose la question des intentions russes par rapport aux États-Unis et à la Présidence Trump. Les "révélations" venues d'un ancien agent des services secrets britanniques sont-elles remontées à la surface, au grand dam de Moscou ou avec la tortueuse complicité des "services russes" ? Il ne s'agit là bien sûr que de spéculations."La meilleure défense, c'est l'attaque" dit-on. Au lendemain des Printemps arabes, Poutine qui n'était alors que Premier Ministre et n'avait pas les mains libres sur le plan international, s'est vivement inquiété de la montée de ces révolutions faites au nom de la démocratie. Au début des années 2010, des Russes en nombre toujours plus grand, manifestaient contre le pouvoir en place. La Russie risquait-elle de connaître, elle aussi, sa "Révolution Orange" ?Puisque "la démocratie" est un principe dangereux, ne convient-il pas de déstabiliser "les démocraties", en les affaiblissant de l'intérieur par un mélange de désinformation et d'interventions comme le Hacking, sans oublier d'aider financièrement sinon politiquement les mouvements populistes.En fait, on a presque l'impression que la Russie n'a rien eu à faire, les démocraties s'affaiblissant d'elles-mêmes, à un rythme qui doit surprendre les Russes eux-mêmes.C'est ce nouveau contexte international qui rend la personnalité de Donald Trump particulièrement problématique. Trump n'est pas seulement un entrepreneur qui saura "relancer l'Amérique". Il est aussi un homme, pour qui les faits et la vérité sont des concepts dépassés, et qui ne connaît et ne veut se fixer aucune limite et ce au moment où nous sommes entrés dans un nouveau déséquilibre mondial.Moins d'Amérique en Europe, moins d'Amérique en Asie, moins d'Europe en Europe et dans le monde, des systèmes démocratiques partout démonétisés, les ambitions de Moscou, sans oublier celles de Beijing, apparaissent avec toujours plus de clarté. Or Donald Trump est l'incarnation caricaturale d'un système démocratique dévoyé, qu'il contribue à affaiblir plus encore. Les dirigeants russes et chinois, parce qu'ils contrôlent avec une grande efficacité l'information et la critique, apparaissent plus dignes dans leur capacité à incarner le pouvoir dans leurs pays respectifs, que le futur Président des États-Unis. C'est pourquoi la première conférence de presse de Donald Trump n'est pas un détail "croustillant" de l'histoire. Elle constitue, si cela était encore nécessaire, comme un révélateur et un avertissement. Refuser de le comprendre c'est s'exposer à de cruelles déconvenues. Pour reprendre la formule de Bagehot, on ne peut pas être "efficace", si l'on n'est pas "digne".Les chroniques de Dominique MoïsiLa force et le mensongeLa victoire de Trump est celle de l'Amérique qui se fermeLa démocratie a perdu son championImprimerPARTAGER