AccueilExpressions par Montaigne[Tribune] Trump et la fin de la démocratieL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.26/09/2016[Tribune] Trump et la fin de la démocratieImprimerPARTAGERAuteur Institut Montaigne Un article publié en exclusivité dans Les Echos.Le futur de la démocratie se jouera le 8 novembre lorsque les Américains choisiront leur 45ème président. Une victoire de Trump pourrait être un pas supplémentaire vers la désagrégation des valeurs du monde occidental. Dans moins de cinquante jours, nous saurons qui est le prochain président des Etats-Unis. Signe de la confusion des esprits et de la montée des craintes, à Washington, des experts très sérieux, se demandent ce que seront les mesures prises par Donald Trump lors des cent premiers jours de sa présidence.La réalité est devenue plus incroyable que la fiction. Aucun scénariste de séries télévisées n'oserait proposer un personnage aussi « invraisemblable » que Trump. Même Franck Underwood, le héros de la version américaine de la série « House of Cards », interprété par Kevin Spacey, apparaît comme un mélange de Kant et de Lincoln, comparé à l'homme qui s'apprête peut-être à devenir l'hôte de la Maison Blanche.Comment a-t-on pu en arriver là ? Il y a moins de vingt cinq ans au lendemain de la chute du Mur de Berlin, le philosophe américain d'origine japonaise, Francis Fukuyama, annonçait, à tort bien évidemment, « La Fin de l'Histoire ». Au lendemain de l'élection de Donald Trump - qui n'est pas inévitable, mais qui n'est plus impensable - parlera-t-on avec plus de justification de « La Fin de la Démocratie » ?L'élection éventuelle d'un populiste caricatural et isolationniste qui s'apparente de plus en plus à une version modernisée, « télé-réalité », d'un Mussolini à l'Américaine, constitue en effet le plus grave défi auquel le monde démocratique se trouverait confronté depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Ce que ni l'URSS hier, ni les Djihadistes aujourd'hui n'ont pu ou ne peuvent accomplir, les Américains par leur vote pourraient le faire, presque sans y penser, en détruisant de l'intérieur le système démocratique de la première puissance mondiale. Si le dysfonctionnement de la démocratie peut conduire un Trump au pouvoir, alors pourquoi ne pas choisir des régimes autoritaires, qui ont eux au moins, le mérite d'une certaine cohérence sinon celui de l'efficacité ? Il ne faut pas chercher plus loin les raisons du soutien de Vladimir Poutine à la candidature du candidat républicain. Le maître du Kremlin, dans son mépris total du modèle démocratique, a parfaitement compris que l'élection de Donald Trump constituerait pour lui un cadeau du ciel, la preuve que les « Dieux du Despotisme » voient leur heure revenir, après une période « un peu difficile » de plus de deux siècles où ils ont du confronter « l'Esprit des Lumières ».Le seul fait que l'on ne puisse plus désormais exclure la victoire de Donald Trump est en soi révolutionnaire. L'élection présidentielle américaine constituera-t-elle une étape supplémentaire vers la désagrégation des valeurs et des principes, sur lesquels notre monde occidental repose ?Le référendum sur le Brexit du 23 Juin dernier n'aura-t-il été qu'un premier avertissement, presque sans frais celui-là, comparé au tsunami que constituerait une victoire de Trump au scrutin du 8 novembre prochain ? Si tel est le cas, les deux votes successifs, en Grande-Bretagne d'abord, puis aux États-Unis ensuite, doivent être vus comme la résultante d'un mélange explosif de peur et de nostalgie. En Grande-Bretagne il s'agit de la nostalgie d'un passé fait de grandeur impériale, de résistance solitaire et héroïque, et de charme insulaire. Aux États-Unis plus encore qu'au Royaume-Uni, nostalgie et peur vont de pair. Qu'est devenue cette « Amérique blanche » dont la langue principale, sinon unique était l'anglais' Trump n'est-il pas aussi l'expression d'une panique face à l'évolution d'un continent, où dans moins de trente ans, l'espagnol constituera la langue la plus parlée ? L'obsession du déclin qui domine l'Amérique depuis plus d'une décennie a trouvé son explication : « Nous ne sommes plus chez nous, entre nous ».Dans un livre sur « La Géopolitique de l'émotion » publié pour la première fois en 2008, j'écrivais que le vingtième siècle avait été celui des idéologies et que le vingt et unième serait celui de l'identité. En 2016, j'ai peur d'avoir eu raison. Ce n'est plus « l'économie », mais « l'identité » qui domine les esprits. Le triptyque sécurité, souveraineté, identité l'emporte sur toute autre considération, y compris la prospérité. Au plan économique, tout particulièrement, voter pour le Brexit était une absurdité pour les Britanniques. Voter pour Trump est un risque majeur pour les Américains, qui peut même sembler insensé.Mais comment en appeler à la rationalité des électeurs quand ceux-ci veulent avant tout crier leur colère, leur peur, sinon leur désir de tout casser ? Que se passe-il, s'interrogeait récemment Martin Wolf dans les colonnes du Financial Times, quand démocratie libérale et capitalisme mondialisé semblent ne plus aller de pair et apparaissent même contradictoires à un nombre toujours plus grand de personnes ? La montée des inégalités se traduisant par l'affaiblissement des classes moyennes d'un coté, l'affaiblissement de la division classique gauche/droite de l'autre, ont eu pour conséquence un renforcement significatif de l'extrême-droite comme de l'extrême-gauche, et ce des deux côtés de l'Atlantique. « De toute façon je n'attends rien de vous » semblent dire les électeurs. « Vous m'avez trop menti, trop déçu au plan économique. Au moins, protégez moi des terroristes et des réfugiés. J'accepte la pauvreté relative mais pas l'insécurité absolue ».Dans un tel contexte tout devient possible, y compris l'impensable. Surtout si le candidat de la raison est une femme, « fragile » de surcroît et manquant d'empathie. Dans la soirée du 26 septembre, un nombre considérable d'Américains regardera le premier débat télévisé entre les deux candidats avec l'appétit d'un citoyen romain face aux gladiateurs entrant dans l'arène. Mais nous ne sommes pas dans une arène romaine. C'est le futur de la démocratie qui est en jeu.Dominique MoïsiProfesseur au King's College de Londres, Dominique Moïsi est conseiller spécial de l'Institut Montaigne. Les autres chroniques de Dominique Moïsi :Alep, notre honte à tous !Si Hillary l'emportait...L'incontournable axe Paris-Londres en matière de défenseImprimerPARTAGER