Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
03/10/2016

[Tribune] Si Hillary l'emportait...

Imprimer
PARTAGER
[Tribune] Si Hillary l'emportait...
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

Une tribune publiée en exclusivité dans Les Echos.

La victoire d'Hillary Clinton le 8 novembre est encore loin d'être assurée. Et, si elle l'emporte, cela ne suffira à résoudre ni les paralysies du système politique américain ni le divorce entre les États-Unis et le reste du monde.

Le premier débat entre Hillary Clinton et Donald Trump ne s'est pas terminé par un match nul. Le langage des corps des deux candidats était révélateur du déséquilibre qui pouvait exister entre eux. « Madame Secretary », disait presque respectueusement un Donald Trump, surpris lui-même de pouvoir débattre, devant près de cent millions d'Américains, avec une figure centrale de la politique des États-Unis depuis plus de quinze ans. « Donald », lui répliquait Hillary ­Clinton, de manière posée et sereine, soucieuse de ne pas faire étalage de sa supériorité intellectuelle, de sa maîtrise des dossiers, mais qui n'en établissait pas moins le fait que « Donald » ne boxait pas dans sa catégorie.

En termes sportifs, on pourrait dire que ce premier débat s'est conclu par une claire « victoire aux points » de « Madame Secretary ». Trump a évité le KO, mais il semble avoir perdu sur l'essentiel, c'est-à-dire la maîtrise de cette dynamique positive qui s'était créée derrière sa personne depuis le ­11 septembre et le malaise physique de sa rivale. Certes, Hillary Clinton n'a pas encore gagné. Il reste deux débats, et les jeux sont loin d'être faits. De nouveaux attentats terroristes peuvent se produire. Le vent peut encore tourner.

Une victoire d'Hillary Clinton ne ­mettrait d'ailleurs pas fin au dysfonctionnement profond du système politique américain qui est à l'origine même de la présence de Donald Trump aux élections du 8 novembre. Même si le parti démocrate garde le contrôle de la ­Maison-Blanche, il est peu probable qu'il reprenne celui de la Chambre des représentants. La « vétocratie », pour reprendre l'expression de Francis Fukuyama, a de beaux jours devant elle et continuera de paralyser la vie politique d'un peuple désormais « divisé sur l'essentiel ».

Ces contradictions internes se doublent d'un divorce au moins aussi grand, qui porte sur les relations entre les États-Unis et le monde. Les États-Unis peuvent-ils, doivent-ils retrouver son statut de superpuissance, ou doivent-ils avant tout se protéger des désordres du monde ?

Pour Hillary Clinton, les États-Unis demeurent « la Nation indispensable » pour reprendre la formule de Madeleine Albright, qui fut la secrétaire d’État de Bill Clinton, lors de son second mandat. A l'inverse, pour Donald Trump, les États-Unis peuvent, doivent même se « dispenser du monde ». Le calendrier du monde va dans le sens d'Hillary ­Clinton. Les émotions de l'Amérique sont ­peut-être plus proches sur ce point du calendrier de Donald Trump.

Rien ne me semble plus révélateur de cette contradiction américaine plus profonde que le site de Ground Zero lui-même. On y retrouve à parts égales de la résilience, de la colère et de l'espoir. La tour de la Liberté, plus haute encore que les tours détruites, s'élève avec fierté dans le ciel de la ville. Elle semble dire : « Vous avez voulu m'abattre, mais comme le phénix, je renais de mes cendres, plus forte et résolue que jamais. »

A l'emplacement exact où se trouvaient les tours, deux fontaines remplissent désormais l'espace. Elles sont sobres et sereines, douloureuses aussi. Les noms des victimes sont gravés dans le granit qui recouvre les pourtours de ces puits de souffrance. Ils sont tous là dans leur diversité nationale et religieuse, comme un démenti cinglant à toutes les rumeurs, à toutes les théories du complot. Mais, au-delà de la douleur et du recueillement, il y a dans le « vide » de ces fontaines comme l'expression d'une colère, d'un gigantesque « Plus jamais ça » qui contribue aussi à ­expliquer la montée d'un fort courant néo-isolationniste aux États-Unis. « A quoi bon se mêler des affaires du monde ? On ne finit que par prendre des coups. Et d'ailleurs, le monde n'en vaut pas la peine. Non, ce qu'il faut, ce sont des murs, les plus hauts et les plus efficaces ­possibles. Des murs pour éviter d'avoir à édifier de nouveaux monuments commémoratifs. »

A Ground Zero, il y a désormais aussi l'espoir, avec un bâtiment d'une luminosité et d'une originalité extrême, sorte d'oiseau blanc qui peut évoquer la colombe de la paix de Picasso. Il est l’œuvre de l'architecte espagnol Calatrava et abrite un terminal de métro et une série de commerces de luxe.

Les questions de politique étrangère n'ont pas encore fait l'objet d'un débat. Mais en voulant décrire ce que pourrait être la politique étrangère de la présidente Clinton, de nombreux commentateurs se sont contentés de la formule : « Obama plus », comme pour souligner la continuité entre les deux démocrates. Au début des années 1950, on qualifiait ainsi la politique étrangère de John Foster Dulles qui venait de succéder à Dean Acheson comme secrétaire d’État. On parlait alors de « Containment plus » pour définir une politique qui se voulait plus musclée dans sa résistance aux ambitions soviétiques.

La perception du monde d'Hillary Clinton est plus différente de celle de Barack Obama qu'il n'y paraît. Obama, soucieux avant tout de ne pas répéter les erreurs de son prédécesseur, George W. Bush, mettait l'accent sur sa volonté de ne pas faire des « choses stupides ». Face à l'accélération et à la multiplication des défis, cette formule négative et imprécise constituait-elle un corps de doctrine suffisant ? L'Histoire le dira. Cette auto-limitation n'a-t-elle pas permis à la Russie de Poutine de se rêver à nouveau comme l'égale des États-Unis, dans une bipolarité reconstituée, alors même que les États-Unis d'Obama ne voyaient qu'un seul possible rival, la Chine ?

Barack Obama est peut-être, dans son appréhension des émotions de l'Amérique face au monde, plus proche de Donald Trump qu'il peut l'être d'Hillary Clinton. Et cette dernière est plus proche du calendrier chaotique du monde. Une chose est certaine en tout cas, le monde est trop complexe pour avoir à sa tête un homme trop simpliste.

Dominique Moïsi

Professeur au King's College de Londres, Dominique Moïsi est conseiller spécial de l'Institut Montaigne.


Les autres chroniques de Dominique Moïsi :

Alep, notre honte à tous !

Donald Trump et la fin de la démocratie

L'incontournable axe Paris-Londres en matière de défense

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne