AccueilExpressions par MontaigneTribune : en France, construisons un "discours de la méthode"L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.06/02/2025Tribune : en France, construisons un "discours de la méthode" Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Marie-Pierre de Bailliencourt Directrice générale Dans cette tribune parue le 30 janvier 2025 dans Les Échos, Marie-Pierre de Bailliencourt, Directrice générale de l’Institut Montaigne, appelle la France, et plus largement l’Union européenne, à "refonder un discours de la méthode" pour reprendre en main son destin. Qu’est-ce que l’Amérique de Donald Trump a à nous apprendre, si l’on ne se contente pas de vilipender le style brutal du dirigeant ? Car la France n’est pas sans talent, encore moins sans panache ou énergie. Alors que les bonnes âmes fustigent l’outrance de Donald Trump et que Xi Jiping survole Taïwan dans une logique d’usure des déterminations occidentales, il paraît urgent de débattre du fond : quelle France voulons-nous ? Comment voulons-nous y vivre ? Que voulons-nous transmettre ? Ce que nous dit l'AmériqueLes premiers jours du nouveau mandat de Donald Trump sidèrent l’opinion mondiale : un establishment économique subjugué, des adversaires politiques atterrés, des médias affolés et des citoyens interloqués par la facilité de décisions exécutives prises apparemment dans le feu de l’action. Ce qui se joue sous nos yeux, c’est bien un changement de paradigme dans la manière de faire de la politique et de structurer l’ordonnancement du monde, ramené à la communication d’un homme.Au-delà du spectacle, au-delà des postures, et quoi qu’il résulte vraiment, ce qui se joue sous nos yeux, c’est bien un changement de paradigme dans la manière de faire de la politique et de structurer l’ordonnancement du monde, ramené à la communication d’un homme. Car le président américain nous montre qu’il est possible d’accélérer l’impact de l’action politique sur l’organisation de la société. Et cette action semble appréciée, le président gagnant près de 10 % d’approbation nette depuis son élection.Que l’on soit scandalisé ou enthousiaste, ce que l’Amérique nous dit, c’est qu’elle a un projet (Make America Great Again), une méthode (des investissements technologiques colossaux, des coupes sombres dans les dépenses administratives et sociales, des provocations qui ouvrent à la négociation) et un modèle identitaire (politique "de genre" et politique migratoire).Ce que ne nous dit pas la FranceAu même moment, la France nous dit tout autre chose. Elle est habitée par un profond sentiment d’impuissance politique, entre instabilité institutionnelle et affaiblissement du modèle de l'État-Providence. Elle se regarde vieillir et oublie sa jeunesse. Elle néglige ses talents et refuse responsabilités et prises de risque. Nul projet, nulle méthode, nul modèle. Cette absence de vision pour notre pays passait encore du temps de la mondialisation heureuse, quand on voulait le progrès apatride et les nations obsolètes. On s’endettait sans état d’âme, simplement pour continuer à mener grand train, sans même investir les réformes que les évolutions démographiques et technologiques appelaient pourtant bruyamment.Mais le monde a tourné. Notre recours à la dette atteint désormais sa limite et les choix que nous n’avons pas voulu faire ces dernières décennies pénalisent la viabilité de notre modèle. En subventionnant ses surproductions, la Chine s’est dotée de moyens de pression abyssaux via nos dépendances économiques.Ce que l’Amérique nous dit, c’est qu’elle a un projet, une méthode et un modèle identitaire.Pendant que nous attachons nos bouchons sur nos bouteilles en plastique pour en faciliter la collecte, Pékin annonce la sortie de DeepSeek, un modèle d’IA en open source qui fait plonger l'Américain NVidia de 590 milliards de dollars en une seule séance boursière. Le renouveau d’"America First", des droits de douane aux réajustements des engagements de défense, ne nous mobilise guère. Et nous nous empoignons pour savoir si nous pouvons présenter un budget déficitaire de 6 % ou payer le péage autoroutier avec un terminal téléphonique. Quelle France voulons-nous ?Nous pouvons décider de devenir le musée du monde, parce que la France sera toujours belle. Mais cela nécessite tout de même des arbitrages et une organisation idoine, tant notre patrimoine souffre de décennies de négligence et d’arbitrages court-termistes. Nous pouvons décider de reprendre en main notre destin. Retrouver, avec l’Europe, nos marges de manœuvre dans la compétition mondiale. Nous en aurions les moyens si nous en avions l’ambition. Car nous sommes créatifs, structurés, innovants. Ou nous pouvons décider de reprendre en main notre destin. Retrouver, avec l’Europe, nos marges de manœuvre dans la compétition mondiale. Nous en aurions les moyens si nous en avions l’ambition. Car nous sommes créatifs, structurés, innovants. 10 des 14 personnalités les plus emblématiques de l’IA sont françaises même si elles sont toutes établies en Californie. Notre médecine est encore plébiscitée. Nos grandes entreprises sont leaders sur leurs domaines d'expertise et nous savons relever les défis les plus complexes. Nous pouvons nous mobiliser quand les temps l’exigent ; nous sommes passionnés, dévoués et solidaires - du moins lorsque nous ne sommes pas empêchés. Nous avons le sens de l’honneur et celui du panache. La reconstruction de Notre Dame en un temps record, permise par une loi d’exception, la générosité des mécènes et la force de nos métiers, en témoigne.Les Français aiment profondément leur pays. Ils sont 80 % à le dire. Dépasser les intérêts catégoriels pour se mobiliser au service d’un projet collectif : c’est bien tout l’enjeu de l’élection présidentielle à venir. D'ici là, il nous faut une conscience partagée de nos intérêts vitaux, une union sacrée, une approche pragmatique. Objectif et méthode : notre seul devoir du jour.Copyright image : Isabel MALSANG / AFPImprimerPARTAGER