AccueilExpressions par MontaigneSyrie – Quatre épouvantables scénarios possibles à court-terme et comment les éviterL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.14/02/2019Syrie – Quatre épouvantables scénarios possibles à court-terme et comment les éviter Sécurité et défense Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGERAuteur Michel Duclos Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Auteur Andrey Kortunov directeur général du Russian International Affairs Council (RIAC) Malgré huit années de terrible conflit et plus d’un demi-million de morts, la perspective d’une paix stable en Syrie semble rester hors d’atteinte. Les deux auteurs de cet article peuvent ne pas être d'accord sur l’issue ultime du conflit syrien, mais ils partagent les mêmes préoccupations face à l’éventualité, dans un avenir proche, d’une nouvelle recrudescence des conflits actuellement non résolus en Syrie. Le risque d’une telle recrudescence augmente, en partie du fait de la décision américaine de retrait militaire mais également à cause de l'effritement des rapports de force sur le terrain. Quatre scénarios, plausibles, sont particulièrement inquiétants. Bachar el-Assad lance une offensive majeure à Idlib, soutenue par des milices affiliées à l’Iran et par l'aviation russe. Les deux parties s'efforcent de coordonner leurs actions respectives à Idlib, mais il devient de plus en plus difficile pour le Kremlin de résister aux pressions de Damas, qui insiste pour y mener une opération de grande envergure. L’élément déclencheur serait l'incapacité de la Turquie à tenir les engagements qu'elle a pris en septembre concernant la région d’Idlib et la capacité croissante de Hayat Tahrir al-Sham de prendre le contrôle de la "zone de désescalade". Une opération d’envergure conduirait à un exode de réfugiés vers la Turquie et même vers l'Europe, ainsi qu'à une possible rupture de la coopération russo-turque en Syrie. Ce scénario serait également à même de générer une nouvelle crise dans les relations qu’entretient la Russie avec les pays occidentaux. Ce serait encore plus le cas si des armes chimiques étaient utilisées, déclenchant ainsi une action militaire de la part des Etats-Unis et de leurs alliés. Les Turcs et les Kurdes reprennent les combats dans le Nord.En raison du retrait militaire annoncé par les Etats-Unis, l'armée turque pourrait intensifier ses opérations actuelles contre les Kurdes dans cette région. Ankara a clairement indiqué que la Turquie avait l'intention de marquer une avancée dans les zones contrôlées par les Kurdes et d'introduire une "zone tampon" (ou "zone sûre") qu’elle parrainerait à la frontière turco-syrienne. Dans ce scénario, les Kurdes tenteront de trouver un accord avec le gouvernement de Damas. Le risque serait qu'un tel accord puisse signifier un engagement d'Assad du côté kurde et une confrontation directe entre Damas et Ankara. Il y aurait alors également une crise entre la Russie et la Turquie et de nouvelles tensions entre la Russie et l'Occident. En outre, les "gains supplémentaires" pour Damas seraient suivis d'une résurgence du terrorisme en Syrie et en Turquie. L'accord de cessez-le-feu trouvé dans le Sud-Ouest de la Syrie s'effondre. Ainsi les Iraniens et les miliciens chiites pourraient retourner sur le plateau du Golan et entrer en contact militaire direct avec les forces israéliennes. Les Israéliens riposteraient en intensifiant leurs raids aériens en Syrie. C’est alors une nouvelle escalade du Hezbollah à la frontière israélo-libanaise qui pourrait avoir lieu. Nous pourrions imaginer un engagement des Etats-Unis à soutenir Israël, puis une posture militaire israélienne plus agressive en Syrie, voire une action israélienne directe contre le territoire iranien lui-même. Dans ce cas, on ne pourrait exclure une attaque massive du Hezbollah contre Israël et, à terme, une action militaire américaine directe contre l'Iran, plaçant Moscou devant des choix très difficiles. Le partenariat russo-iranien en Syrie s'effondre. La concurrence implicite entre Moscou et Téhéran dans la recherche d’une influence à Damas deviendrait alors explicite. Des combats pourraient sur le terrain opposer des groupes militaires pro-russes et des groupes pro-iraniens. Les récriminations de Téhéran à l’égard de Moscou iraient croissantes. Moscou serait d’abord accusée de "vendre" les intérêts iraniens en Syrie à la Turquie ; ensuite d’être incapable de punir Israël pour ses attaques aériennes contre des cibles iraniennes en Syrie. La Turquie et Israël feraient pression sur Poutine pour que la Russie se range de leur côté. L'Iran se sentirait plus isolé encore et ferait preuve d’une assurance et d’une intransigeance croissantes sur la Syrie et la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en général. La rupture du processus d'Astana contribuerait à la reprise de la violence en Syrie. Chacune de ces crises potentielles en Syrie aurait sa logique, sa dynamique et ses conséquences propres. On ne saurait compter sur une police d'assurance universelle nous prévenant de tous ces risques. Nous formulons cependant trois recommandations générales.Tout d'abord, il importe de trouver une solution alternative à une offensive majeure contre Idlib. L'une des options serait de mettre au point une opération antiterroriste coordonnée, impliquant les Etats-Unis, les pays européens ainsi que la Russie et la Turquie, afin de traiter le cas Hayat Tahrir al-Cham sans détruire toute la zone. Deuxièmement, il est crucial de définir une position commune entre les parties prenantes pour gérer les conséquences de la décision américaine de se retirer de la Syrie. Un "gel" de la situation actuelle ne peut être envisagé comme une solution durable. Il s'agit toutefois de l'option la moins dommageable pour l'instant. Troisièmement, la principale priorité devrait être d'éviter toute escalade des conflits, que ce soit dans les quatre hypothèses mentionnées dans cet article ou dans d’autres envisageables. Là aussi, il est urgent que des consultations étroites entre les principaux acteurs en présence soient menées.Certes, il est impossible de réunir autour d'une même table tous les acteurs régionaux et internationaux. Trois d'entre eux, la Russie, les États-Unis et la France, ont des intérêts particuliers, une capacité de dialogue avec de nombreuses parties prenantes de la région et un siège de membres permanents du Conseil de sécurité. Nous en appelons à une initiative conjointe de ces trois puissances : elles devraient d’abord se coordonner entre elles puis tenter de rassembler les autres puissances concernées. ImprimerPARTAGERcontenus associés 04/01/2019 Retrait américain de Syrie – le Proche-Orient selon Donald Trump Michel Duclos 06/12/2018 Crise politique au Liban : l'ombre de Damas à Beyrouth Joseph Bahout