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Sommet de Rio de Janeiro : quelle trajectoire à venir pour les BRICS ?

Sommet de Rio de Janeiro : quelle trajectoire à venir pour les BRICS ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Après un sommet spectaculaire à Kazan en 2024, les BRICS se sont retrouvés à Rio pour un résultat assez mitigé : absences notables de MM. Xi et Poutine, dissensions internes, ambiguïtés multiples... Quel avenir pour ce club de puissances émergentes, étrangement liées à la Russie et à la Chine, qui prétendent toujours offrir une proposition de gouvernance multilatérale alternative ? Et comment, vis-à-vis d’elles, les Européens peuvent-ils reprendre la main ?

Les BRICS avaient atteint l’année dernière à Kazan, sous présidence russe, une forme de consécration : nombreux chefs d’État rassemblés, présence du Secrétaire général des Nations-Unies, annonce d’un élargissement à des "observateurs" dans une liste de candidats nombreux piaffant à la porte du club, message consensuel clair sur la mise en cause d’Israël dans sa guerre contre le Hamas. Et…révision à la baisse de certaines ambitions comme celle d’une hypothétique monnaie d’échange alternative au dollar.

Les BRICS avaient atteint l’année dernière à Kazan, sous présidence russe, une forme de consécration .

Par contraste, le sommet qui s’est tenu à Rio sous présidence brésilienne, les 6 et 7 juillet, donnait l’impression d’un succès mitigé. Rappelons que le club réunit désormais 11 États-membres : Afrique du Sud, Arabie saoudite, Brésil, Chine, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie, Inde, Indonésie, Iran, Russie.

L’ombre projetée de l’Amérique de Trump

Pour quelles raisons l’édition 2025 du sommet des BRICS est-elle apparue comme une sorte d’"anti-climax" par rapport à Kazan? Citons-en plusieurs :

  • L’absence de certains chefs d’État parmi les plus saillants, dont M. Poutine et M. XI. Le premier, poursuivi pour crimes de guerre par la CPI, ne pouvait prendre le risque d’être arrêté par la justice brésilienne. Aucune explication claire n’a été donnée pour l’absence du second, ce qui laisse soupçonner que Pékin n’accorde plus au club autant d’importance qu’auparavant. Parmi les autres absents notables, les présidents iranien et égyptien, que d’autres urgences retenaient dans leur pays ;
  • La difficulté accrue de se mettre d’accord dans un groupe élargi, où coexistent des orientations politiques très différentes. Outre des dissensions bilatérales internes aux membres du club, une partie de ceux-ci, à commencer par l’Inde et le Brésil, maintenant rejoints par les États du Golfe et probablement l’Indonésie, ne souhaite pas une opposition frontale avec l’Occident ; c’est ce que confirme une rapide lecture de la déclaration finale du sommet ; 
  • Pour cette raison, mais de manière tout de même surprenante, le club n’a pu adopter une position nette d’opposition à la politique de droits de douane de l’administration Trump. Certes, celle-ci est fustigée, au même titre que la politique des sanctions (dont le rejet est l’un des piliers de la solidarité entre les BRICS), mais sans que soit mentionnée l’administration Trump (ce qui n’a pas empêché le président américain de menacer ces "nations hostiles" d’un surcroît de 10 % de droits de douane). Le bruit a couru à Rio que la Chine elle-même avait recommandé sur ce sujet un profil relativement bas ;
  • Dans le même ordre d’idées, l’attaque contre l’Iran est condamnée, en termes virulents, mais là aussi sans que les États-Unis ni Israël ne soient mentionnés. Qu’il s’agisse de la question des droits de douane ou des frappes contre l’Iran, le "message" qui se dégage de la déclaration finale de RIO réside donc en réalité dans la sorte de crainte qu’inspire toute opposition frontale au Jupiter du Bureau Ovale.

Quel avenir pour le club ?

Sur ce constat général, se greffent plusieurs questions :

  • D’abord, quelle est la position du groupe sur un autre marqueur de la vie internationale, qui est la guerre en Ukraine ? Comme l’année dernière, aucune condamnation de l’agression russe, référence faite aux "positions nationales" de chacun des pays membres (donc implicitement : pas de position commune), mais aussi une phrase littéralement stupéfiante condamnant "les attaques contre les ponts et les infrastructures ferroviaires en ciblant délibérément des civils en Russie les 31 mai, 1er et 5 juin" …sans mention des frappes russes quasi-quotidiennes sur les infrastructures et les villes ukrainiennes.
    Dans d’autres passages, on retrouve la main des Russes tenant la plume, lorsque par exemple la déclaration finale évoque la nécessité de traiter les "causes profondes" dans le règlement des conflits (écho de la position russe sur le conflit en Ukraine) ou déplore l’"augmentation des dépenses militaires" (comprendre : par l’OTAN). Ainsi donc, quoi que l’on puisse dire de l’évolution des BRICS, la Russie continue de toucher les dividendes de l’OPA qu’elle avait lancée dès 2006 (en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies) sur les grands émergents ;
     
  • Seconde question : qu’en est-il de ce qui devrait constituer le "cœur de métier" des BRICS, c’est-à-dire les questions de gouvernance globale ? On peut distinguer sur ce thème, effectivement central dans la déclaration du sommet de Rio, deux orientations distinctes. Sur les réformes à opérer dans les institutions onusiennes et autres pour tenir davantage compte des aspirations des pays émergents, le langage ne diffère pas de celui agréé les années précédentes, sans marquer de percées particulières ; le Brésil et l’Inde obtiennent quand même cette année, dans une formule très alambiquée, une sorte d’appui à leurs aspirations à accéder au statut de membres permanents du Conseil de Sécurité (comme il y a deux ans mais pas l’année dernière à Kazan).

La Russie continue de toucher les dividendes de l’OPA qu’elle avait lancée dès 2006 (en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies) sur les grands émergents.

Sur deux autres sujets majeurs, des déclarations séparées font état de positions communes très élaborées. Il s’agit d’abord de la finance climatique, où la nécessité d'accélérer l’action pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris est rappelée avec force ; s’ensuit une énumération technique précise des moyens à mettre en œuvre que l’on ne peut analyser ici mais qui offre un éventail d’actions sérieux sur le fond (au passage, l’ajustement aux frontières prôné par l’UE est rejeté mais les politique d’adaptation au changement climatique approuvées) ; du point de vue du Brésil, il s’agit d’une contribution importante en vue du prochain sommet sous présidence brésilienne, celui de la COP 3O, qui aura lieu à Belém entre le 10 et le 21 novembre, 10 ans après l’Accord de Paris.

 

De même, le sommet des BRICS a adopté un communiqué sur la gouvernance mondiale de l’intelligence artificielle qui préconise de remettre les Nations-Unies au centre du jeu "face à la prolifération des initiatives".

  • En troisième lieu, et pour conclure, quel avenir pour les BRICS ? Le groupe, qui représente 40 % du PIB mondial et a dépassé sur ce point le G8, peut-il s’affirmer comme un pôle majeur de la gouvernance globale ? 

Rappelons sur ce point quelques données évoquées au fil de cette analyse : une Russie toujours présente pour orienter les BRICS mais cantonnée à ses préoccupations à caractère guerrier ; une Chine qui, ayant lancé le processus d’élargissement du groupe, paraît moins s’impliquer dans sa gestion ; finalement, un rôle potentiellement pilote pour les diplomaties brésilienne et indienne (le prochain sommet aura lieu en Inde et pourrait donc être également boudé par M. Xi), peut-être indonésienne ou sur certains sujets des pays du Golfe, avec le handicap de devoir cohabiter avec d’étranges "bed-fellows" comme l’Iran, voire l’Éthiopie ou l’Égypte. On ne peut s’empêcher de penser que les Européens ont commis une erreur en laissant se développer au milieu des années 2000 le groupe des BRICS sans offrir un cadre de coopération alternatif aux grands émergents. 

Y aura-t-il à un moment donné une opportunité pour corriger cette erreur ? Force est de constater que pour l'instant l’écart s'accroît sur les questions géopolitiques - Ukraine, Gaza, voire Iran - sans vrai rapprochement sur les enjeux globaux et le multilatéral. 

Copyright image : Mauro PIMENTEL / AFP

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