AccueilExpressions par MontaigneSégur de la santé : le compte est bon ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.16/07/2020Ségur de la santé : le compte est bon ? SantéImprimerPARTAGERAuteur Angèle Malâtre-Lansac Déléguée générale de l'Alliance pour la santé mentale Auteur Laure Millet Experte Associée - Santé Accords historiques ou simple revalorisation salariale ? La crise sanitaire a placé la santé au cœur des priorités nationales. Face à la réactivité démontrée par les professionnels du secteur et en réponse aux difficultés rencontrées, le gouvernement a lancé une grande concertation auprès de l’ensemble des acteurs, le "Ségur de la Santé", dont l’objectif annoncé est de "bâtir les fondations d’un système de santé encore plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple et plus à l’écoute des professionnels, des usagers et des territoires". À l’issue de sept semaines de négociations, le premier volet du Ségur prévoit 8,1 milliards d’euros pour revaloriser les carrières des soignants hospitaliers. L’hôpital, en première ligne pendant la crise, ressort gagnant, mais les maux du système sont toujours là.Un premier volet du Ségur centré sur l’hôpital et les rémunérationsLe premier accord du Ségur de la santé prévoit 8,1 milliards d’euros, destinés à revaloriser les salaires et les carrières des personnels hospitaliers. Une revalorisation nécessaire pour renforcer l’attractivité des métiers de l’hôpital et aligner les salaires français avec ceux proposés par nos voisins européens. 7,6 milliards d’euros seront destinés aux salariés non-médicaux des hôpitaux et des Ehpad. Concernant les médecins, un accord prévoyant 450 millions d’euros de revalorisation pour les praticiens hospitaliers a été signé avec les principaux syndicats. Ce montant devra permettre notamment d’augmenter l’indemnité de service public exclusif, c’est-à-dire que les praticiens hospitaliers à temps plein qui s’engagent, pour une période de trois ans renouvelable, à ne pas exercer une activité libérale verront leur indemnité augmenter (1110 euros bruts par mois, contre 493 euros aujourd’hui pour les jeunes praticiens).L’hôpital (public comme privé) a été en première ligne pendant la crise sanitaire. Cette situation se justifie naturellement par les besoins des patients atteints de formes sévères du Covid-19, mais également par un réflexe profondément ancré dans notre façon de penser le système de soins : l’hospitalo-centrisme. La médecine de ville a été oubliée dans les débuts de la crise sanitaire, alors même qu’elle aurait pu aider à éviter l’engorgement des hôpitaux et permettre la continuité du suivi des patients chroniques.Comme nous le rappelions dans un précédent article, la médecine de ville a été oubliée dans les débuts de la crise sanitaire, alors même qu’elle aurait pu aider à éviter l’engorgement des hôpitaux et permettre la continuité du suivi des patients chroniques.Notre système de santé est encore trop souvent pensé autour de l’hôpital (et de l’hôpital public) alors que la crise que nous venons de traverser a révélé l’immense réactivité et la mobilisation de toute une filière. Hôpitaux publics comme privés, médecine de ville, start-up, industriels, associations : les acteurs du monde de la santé ont montré avec force l’importance des alliances et de l’intelligence collective pour lutter contre la crise.En se focalisant sur l’hôpital et la question salariale, le Ségur de la Santé confirme cette tendance. Espérons que les prochains volets, qui porteront sur l’investissement et le financement, la simplification des organisations et la gouvernance territoriale mettront l’accent sur le dépassement des clivages entre médecine de ville, médico-social et hôpital pour fédérer les acteurs.Le numérique : le pilier disparu du SégurL’usage du numérique et des données de santé a été central dans la lutte contre la pandémie comme l’ont montré de nombreux pays. Lors du lancement du Ségur de la santé le 25 mai dernier Édouard Philippe, alors Premier ministre, avait mentionné le numérique comme cinquième pilier des réflexions de cette grande concertation. Ce pilier a ensuite semblé se fondre dans les autres volets et pour le moment, aucune annonce n’a été faite en ce sens alors que les promesses du numérique en santé sont immenses, portées par des acteurs dynamiques, réactifs et innovants.Non seulement la e-santé permet d’améliorer la gestion des structures de soins et la disponibilité des équipes mais permet également de rendre les patients plus autonomes et acteurs de leur propre santé, à travers des solutions digitales leur permettant de suivre leur maladie et d’interagir avec le système de soins. La e-santé permet également une meilleure circulation des informations médicales entre les professionnels de santé, en ville comme à l’hôpital, au bénéfice des patients. Par ailleurs, la décision médicale et paramédicale est rendue plus fiable, grâce à des outils d’intelligence artificielle permettant la diminution des risques d’erreur ou de retard au diagnostic. Enfin, la télémédecine, dont l’usage a décollé pendant la crise, permet un meilleur accès aux soins et à l’expertise médicale à travers des canaux multiples, pour les patients comme les professionnels de santé. Tout ceci concourt à une médecine plus efficace et plus sûre.Dans notre rapport publié mi-juin, E-santé : augmentons la dose, nous avons chiffré les gains d’efficience potentiellement réalisables grâce à un déploiement du numérique dans l’ensemble du système de santé français. Ce chiffrage évalue entre 16 et 22 milliards le potentiel de création de valeur annuel de la e-santé. Ces gains pourraient être réalloués à différentes actions, au-delà de la seule revalorisation salariale : la formation initiale et continue des professionnels, l’investissement dans les systèmes d’information, y compris en ville et dans le secteur médico-social, pour améliorer le recueil de données, la recherche, etc.Les dépenses de santé doivent être vues comme des investissements et non comme des coûts.Financement : la nécessaire relance du chantier sur la pertinence et la qualitéLes dépenses de santé doivent être vues comme des investissements et non comme des coûts. Face au vieillissement de la population, aux développements technologiques et aux nouveaux défis comme les pandémies, ces dépenses ne font (et ne feront) que s’accroître. Comment dès lors permettre ces investissements sans remettre en cause la pérennité de nos systèmes ? Comment s’assurer que chaque euro dépensé améliore l’accès aux soins et leur qualité ?Dans un précédent rapport, Système de santé : soyez consultés nous recommandions la création d’indicateurs de qualité reflétant le point de vue des patients. Seule la mise en place d’une réflexion large sur cette mesure de la qualité et de la pertinence des soins impliquant les patients permettra de recentrer le système sur la qualité et l’amélioration continue des soins et du système de santé.D’après le sondage que nous avions mené pour ce rapport, 96 % des Français interrogés sont prêts à répondre à des questionnaires d’évaluation de la prise en charge médicale si cela peut permettre d’améliorer la qualité des soins. Ces informations sont précieuses pour améliorer la tarification des actes, construire des parcours de soins personnalisés, favoriser la collaboration entre les professionnels de santé et éviter la redondance de soins inadaptés et les gaspillages.Ces indicateurs de qualité des soins doivent permettre de guider le pilotage du système de santé autour des besoins des patients et de s’assurer de l’adéquation entre les soins dispensés et les besoins réels. Ils pourraient aider également à redéfinir les rémunérations en incitant à la qualité. Le Premier ministre, Jean Castex, a mentionné dans son discours de politique générale du mercredi 15 juillet la nécessaire intégration de la qualité des soins dans les règles de financement de l’hôpital et de la médecine de ville. Pour permettre cette intégration, des indicateurs reconnus par tous et prenant en compte les résultats obtenus pour les patients doivent être développés.À l’heure où des financements supplémentaires doivent être trouvés pour permettre de revaloriser les carrières des professionnels de santé et d’investir largement dans notre système, cette réflexion sur la qualité et la pertinence est plus que jamais nécessaire. Copyright : Thomas SAMSON / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 26/06/2020 L’OMS face à la pandémie de Covid-19 Antoine Flahault