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10/04/2018

Quelles perspectives pour la prise en charge de l’autisme en France ?

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Quelles perspectives pour la prise en charge de l’autisme en France ?
 Marion Leboyer
Auteur
Responsable du pôle de Psychiatrie des hôpitaux universitaires Henri Mondor, directrice de la Fondation FondaMental

A l’occasion de la présentation, vendredi 6 avril, de la stratégie nationale pour l’autisme 2018-2022 par le Premier ministre Edouard Philippe, le professeur Marion Leboyer, co-auteur de l’étude Prévention des maladies psychiatriques : pour en finir avec le retard français, nous dresse un état des lieux de la prise en charge de cette maladie en France.

Comment l’autisme est-il pris en charge aujourd’hui en France ? 

Rappelons tout d’abord la réalité complexe que couvre la notion d’autisme. Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont des pathologies du neuro-développement très hétérogènes, caractérisées par des altérations des interactions sociales et l’apparition de comportements stéréotypés. Ils sont associés de manière différente, selon les cas, à diverses pathologies comme l’épilepsie, les troubles du sommeil, les troubles dépressifs ou anxieux, le retard mental ou encore à des pathologies somatiques comme des troubles gastro-intestinaux, des maladies auto-immunes ou encore des anomalies génétiques. Aujourd’hui, nous ne disposons pas de traitement curatif de l’autisme, mais il est possible d’utiliser différents types de médicaments à visée symptomatique ainsi que des stratégies thérapeutiques psychosociales.
 
Face à ces troubles complexes, la France accuse un retard important dans la prise en charge de l’autisme, tant en matière de diagnostic, d’accès aux stratégies de soins ou éducatives, que de formation et de recherche. Faute de données épidémiologiques, nous ne disposons en effet que de chiffres approximatifs pour évaluer la prévalence de l’autisme dans notre pays. On estime néanmoins entre 600 000 et 700 000 personnes, soit 1 % de la population française, le nombre des personnes qui seraient affectées par les troubles du spectre de l’autisme. Dans de nombreux cas, le diagnostic n’est pas posé : ainsi, 35 à 40 % des personnes présentant des symptômes de TSA auraient reçu un diagnostic de retard mental. 
 
Rappelons également que les personnes autistes restent encore largement en retrait de la société. Les nombreux blâmes de l’Union européenne à la France témoignent des lacunes qui perdurent dans l’inclusion des personnes avec autisme à l’école, à l’université et dans le monde professionnel. Ces dernières sont encore trop peu nombreuses à avoir un accès à l’emploi (0,5 % des personnes autistes occupent un travail ordinaire), à l’éducation (seulement un tiers des enfants autistes sont scolarisés deux jours ou moins à l’école maternelle) ou encore à un logement (seules 11,6 % des personnes autistes disposent d’un logement personnel).
 
Soulevons, enfin,  le coût que représente cette pathologie pour l’ensemble de la société. Le dernier rapport de la Cour des comptes estime à 6,7 milliards d’euros le coût annuel de la gestion de l’autisme, avec un reste à charge pour les familles qui s’élève à 3 000€ par an.

Quels sont les principaux défis à relever afin d’améliorer la prise en charge de l’autisme ?  

Dans un premier temps, il existe un véritable enjeu de formation des médecins, notamment des pédiatres et des généralistes ainsi que du personnel paramédical (à l’image des psychothérapeutes, des éducateurs ou des orthophonistes). Les enseignants, amenés à travailler avec les enfants dès leur plus jeune âge, devraient également bénéficier d’une formation afin d’être en mesure de repérer les symptômes caractéristiques. L’information auprès du grand public se doit également d’être renforcée car les troubles du spectre de l’autisme restent mal connus et appréhendés par les Français. 
 
Le diagnostic des pathologies associées à l’autisme représente également un réel défi de santé publique. En effet, de trop nombreuses personnes autistes ne bénéficient pas non plus des traitements adaptés et d’une prise en charge efficiente.

Le dernier défi reste celui de la recherche. Trop peu de moyens sont alloués au domaine de la psychiatrie et en particulier au domaine de l’autisme, ce qui freine les avancées en cours. La recherche française a d’ores et déjà réalisé d’immenses découvertes sur le plan génétique, immunologique et de l’imagerie cérébrale, qui ont permis de mieux comprendre et diagnostiquer cette maladie. L’innovation se doit également d’être soutenue : des partenariats publics / privés sont à développer afin de permettre à des nouvelles stratégies diagnostiques et thérapeutiques d’être déployées à l’image des outils d’e-santé.

La nouvelle stratégie nationale pour l’autisme, présentée par le Premier ministre la semaine dernière, est-elle en mesure de répondre à ces défis ?

Tout d’abord, l’existence d’une stratégie dédiée à l’autisme est une excellente chose. Il est formidable que le gouvernement s’empare d’un tel sujet. La stratégie nationale pour l’autisme 2018-2022 est dotée de 344 millions d’euros et est issue d’une large concertation nationale de plusieurs mois. Elle identifie cinq priorités : renforcement de la recherche et de la formation ; mise en place d’interventions précoces ; garantie d’une scolarisation effective ; meilleure inclusion des adultes dans la société ; soutien aux familles. Parmi les 20 mesures que comporte cette stratégie, on peut notamment citer la généralisation d’examens de diagnostic obligatoires au 9e et 24e mois, afin de garantir une intervention précoce ou encore la diminution du reste à charge pour les familles par la mise en place, dès 2019, d’un "forfait intervention précoce".  

Pour autant, il est extrêmement difficile d’apprécier ce qui sera réalisé et de juger des réelles priorités du gouvernement. En effet, cette stratégie ne précise nullement la manière dont seront déployés les financements, elle fournit peu d’éléments de calendrier et de priorisations et peine à identifier des indicateurs à mobiliser par la suite, afin de juger de l’efficacité de ces mesures. A titre d’exemple, la recherche constitue le premier axe de la stratégie, mais qui en sera le pilote ?

En conclusion, notons que l’autisme est une pathologie parmi l’ensemble du spectre des maladies mentales, qui touchent près de 38 % de la population française sans compter leur entourage. Si la politique de gouvernement en matière de santé mentale se limite à cette seule stratégie (tout aussi fondamentale soit-elle), les perspectives d’amélioration de la prise en charge de ces pathologies qui touchent de nombreux Français, comme les dépressions, les troubles bipolaires, les conduites suicidaires ou encore la schizophrénie, bipolarité, n’en seront que plus faibles. 

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