Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
13/11/2020

Quand la démocratie rencontre l'efficacité : communiquer pour mettre fin à la pandémie

Trois questions à Heidi Tworek

Imprimer
PARTAGER
Quand la démocratie rencontre l'efficacité : communiquer pour mettre fin à la pandémie
 Heidi Tworek
Professeure adjointe d'histoire internationale à l'Université de la Colombie-Britannique

Parmi les retours d’expérience à mener pour réussir la sortie de ce deuxième confinement, la question de la communication de crise apparaît centrale, puisqu’elle est le socle de l’action collective face au virus. Trois chercheurs de l’University of British Columbia au Canada ont récemment publié une très riche étude comparative sur les stratégies de communication de crise dans neuf pays démocratiques et leur impact sur la gestion de la pandémie. L’une d’elle, Heidi Tworek, a répondu à nos questions. 

Dans quelle mesure pensez-vous que le style de communication des dirigeants lors de la première vague de la pandémie a eu un impact direct sur l'atténuation du nombre de décès ?

Il est difficile  de le quantifier directement, mais il est évident que les pays qui ont mis en œuvre des solutions efficaces avaient également établi une communication percutante. Ces pays ont reconnu le fait qu'une communication claire est une "intervention non pharmaceutique" (INP) essentielle. Nous nous sommes surtout concentrés sur d'autres interventions non pharmaceutiques telles que le port de masques ou la distanciation physique. Mais aucune mesure ne fonctionne correctement si nous ne communiquons pas efficacement à l'ensemble de la population les raisons pour lesquelles elles sont importantes et si nous ne pouvons persuader les citoyens de s'y conformer, alors même que le "ras-le-bol" pandémique s’installe.

Mon étude récente, rédigée conjointement avec Ian Beacock et Eseohe Ojo, a examiné les stratégies de communication autour du Covid-19 dans neuf démocraties, sur cinq continents (Allemagne, Norvège, Danemark, Suède, Canada, Nouvelle-Zélande, Sénégal, Taïwan, Corée du Sud).

Les États les plus efficaces avaient suivi les mêmes principes de base pour une communication efficace, et les appliquaient rapidement.

Nous avons constaté que les stratégies de communication spécifiques étaient très contextuelles : ce qui fonctionne en Corée du Sud ne fonctionne pas forcément au Sénégal. Cependant, nous avons constaté que les États les plus efficaces avaient suivi les mêmes principes de base pour une communication efficace, et les appliquaient rapidement. Nous savons que la rapidité est essentielle pour prévenir les cas et les décès à grande échelle.

En effet, la plupart de ces pays ont communiqué très vite pour s'assurer que leur population se conformait aux directives le plus rapidement possible.

Ce qui est fascinant, c'est que les pays que nous avons identifiés comme ayant des stratégies de communication efficaces ont jusqu'à présent soit évité une deuxième vague (en contenant les foyers d’épidémie), soit font face à des deuxièmes vagues considérablement plus faibles que leurs voisins. À mon sens, ces stratégies de communication efficaces ont à la fois permis de faire respecter rapidement les directives de santé publique et contribué à désamorcer une lassitude face à la pandémie.

Quels principes peuvent sous-tendre toute stratégie de communication démocratique en matière de santé publique ?

Mon étude récente a dégagé cinq grands principes qui sous-tendent une stratégie de communication, nous les appelons les principes RAPID :

  • Rely on Autonomy, Not Orders
  • Attend to Emotions, Values, and Stories
  • Pull in Citizens and Civil Society
  • Institutionalize Communications
  • Describe It Democratically

Premièrement, croire en l’autonomie et non aux injonctions. Nous avons constaté que des directives trop détaillées assorties d’une application trop stricte pouvaient créer une forme de ressentiment à long terme et, finalement, saper la volonté des gens de s'y conformer.

Deuxièmement, tenir compte des émotions, des valeurs et des histoires. Les faits scientifiques sont importants, mais nous traitons beaucoup mieux ces faits s'ils sont porteurs d’une signification émotionnelle et se rattachent à des valeurs sociétales ou à des histoires de personnes qui nous ressemblent.

Troisièmement, faire appel à la société civile. Trop d’États ont uniquement fait appel aux responsables de la santé publique et aux politiciens pour transmettre leurs messages. Nous avons vu que des pays comme le Sénégal ont plutôt fait appel à des leaders clés de la société civile pour encourager le respect des règles.

Quatrièmement, institutionnaliser les communications. La Corée du Sud et Taïwan avaient appris que les communications sont essentielles pour une réponse efficace de par leurs mauvaises performances lors des précédentes pandémies de MERS et de SRAS. Ils ont réformé leurs systèmes de santé publique pour faire de la communication un pilier central de la réponse dès le départ.

Enfin, décrire la réponse sur le plan démocratique. Nous avons constaté que les métaphores militaires étaient moins efficaces que les métaphores démocratiques, plus fédératrices. La Nouvelle-Zélande s’est décrite comme étant une "équipe de cinq millions".

Les pays que nous avons identifiés comme ayant des stratégies de communication efficaces ont jusqu'à présent soit évité une deuxième vague, soit font face à des deuxièmes vagues considérablement plus faibles que leurs voisins.

Le président de la Corée du Sud Moon Jae-in a décrit la pandémie comme une "course de relais" dans laquelle aucun sud-coréen ne devrait être laissé-pour-compte. D'autres ont utilisé des métaphores naturelles de tempêtes et de vagues. Cela semble simple mais ces métaphores encouragent tout le monde à contribuer à l’effort et elles semblent même avoir aidé le succès électoral de certains : la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a récemment été réélue avec une victoire écrasante ; les élections sud-coréennes en avril ont enregistré un taux de participation très élevé, donnant la victoire au Président sortant Moon.

Il est essentiel de souligner que suivre ces principes est chose aisée. Nous les avons tirés d'une analyse approfondie de neuf démocraties à travers le monde, dont beaucoup les ont mis en œuvre. Il est essentiel que d'autres pays les adoptent, à la fois pour atténuer cette vague de Covid-19, mais aussi pour mieux se préparer à une prochaine pandémie.

Quelles sont les stratégies de communication de crise les plus pertinentes que vous avez repérées au cours de vos recherches ?

Au-delà de nos grands principes, trois stratégies vraiment importantes se démarquent. Premièrement, la rapidité est essentielle. Une autre étude a révélé que plus les autorités ont publié rapidement des consignes sur le Covid-19, moins le public a eu recours à des remèdes préconisés par des sites de désinformation. Il est important de diffuser des informations fiables sur le plus grand nombre de vecteurs possibles, plutôt que d'attendre et de devoir combattre les rumeurs en ligne.

Deuxièmement, les meilleurs communicateurs en matière de santé publique ont construit une relation avec leurs publics. Ils ont cherché à montrer de l'empathie en s’appropriant les difficultés des gens, ont fait preuve de compassion envers les personnes décédées, et ont exprimé leurs propres émotions. Ils n’ont pas cherché de bouc émissaire ou n'ont pas stigmatisé certains groupes de personnes, comme les jeunes. Cela leur a permis de motiver le public à se faire dépister et à participer au traçage des cas contacts.

Troisièmement, ils ont admis leurs erreurs. La Première ministre norvégienne Erna Solberg, par exemple, a admis à la fin de l'été que le confinement était peut-être plus strict que nécessaire. Cela lui a permis de gagner la confiance de la population, car les Norvégiens savaient que Mme Solberg serait capable de reconnaître ses erreurs.

Alors qu'une deuxième vague submerge une grande partie de l'Europe, il serait utile d'envisager un remise à niveau, en revenant à l'essentiel que nous décrivons dans notre rapport et dans les réponses à ces questions. Il ne sera pas facile de rétablir la confiance, mais en attendant des traitements plus efficaces ou un vaccin, la communication est l'une des rares INP qu’il nous reste.

 

 

Copyright : William WEST / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne