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02/03/2017

A propos du monde imaginaire de ceux qui prônent une sortie de l’euro

A propos du monde imaginaire de ceux qui prônent une sortie de l’euro
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

Eric Chaney, conseiller économique de l'Institut Montaigne, décrypte cette semaine les conséquences induites par une sortie de la zone euro.

Après les réactions musclées de Marine Le Pen ou de Florian Philippot dans les media, c'est au tour de Jacques Sapir de dénoncer l'étude que l'Institut Montaigne a consacré aux conséquences potentielles d'une sortie de l'euro(1). Je pense pour ma part que les conséquences d'une sortie de l'euro pourraient être pires que ce qu'envisage l'Institut Montaigne, si celle-ci devait se faire de façon chaotique. Pour s'en prévenir, il faudrait mettre en place une politique économique coercitive, contrôler les mouvements de capitaux et mettre sous tutelle les banques, avec des conséquences désastreuses à long terme, pour l'économie complexe, intégrée internationalement et financièrement sophistiquée qu'est la France.

Les rédacteurs de la note sur la sortie de l’euro m’avaient consulté avant de publier. J’avais estimé leurs raisonnements solides et leurs estimations chiffrées cohérentes avec ce que les modèles macro-économiques standards suggèrent. J’avais ajouté que c’était d’ailleurs la principale limitation de leur exercice, car, comme Robert Lucas le fit remarquer dès 1976(2), l’estimation des paramètres d’un modèle est elle-même dépendante des politiques économiques en place durant la période d’estimation. Or rien n’est plus dépendant des politiques économiques que le régime monétaire d’un pays, puisque celui-ci conditionne, nolens volens, l’ensemble des autres domaines de la politique économique. Et, contrairement à ce que les eurosceptiques affirment souvent, aucune expérience historique d’union monétaire, l’Union latine(3) entre autres, n’est comparable à l’Union Economique et Monétaire (UEM) mise en place en 1999, aucune n’ayant entièrement délégué la souveraineté monétaire à une banque centrale supranationale et indépendante, si l’on excepte, bien entendu, les unions politiques ou les annexions. Raison de plus pour prendre les estimations réalisées dans d’autres conditions avec précaution. J’insiste sur ce point car, à la différence de l’Institut Montaigne qui attire l’attention sur les limitations de son exercice, Jacques Sapir ignore complètement cette difficulté essentielle du problème, ce qui n’est pas la moindre faiblesse de son argumentation.

Ses critiques se résument ainsi :

1. L’hypothèse d’une dévaluation de facto de 15% du ‘nouveau franc’ (FRF) de l’Institut Montaigne ne tiendrait pas compte du fait qu’elle se ferait essentiellement par rapport au Deutsche Mark ou ce qui reste de l’euro (euro/DM par la suite) ; Jacques Sapir considère que le franc serait dévalué de 15% par rapport au DM, de 5% par rapport au dollar américain et s’apprécierait par rapport à la nouvelle lire italienne (ITL) ;

2. La hausse de l’inflation serait limitée, celle-ci atteignant 4,1% l’année de sortie, et temporaire ;

3. Les taux d’intérêt (à long terme, non précisé par M. Sapir, mais implicite) n’auraient pas de raison de monter significativement car "la France restera attractive pour les investisseurs internationaux" et, s’il le faut, les banques pourraient être contraintes à détenir de la dette publique par le rétablissement du ‘plancher d’effets publics’ ;

4. Contrairement à l’estimation de l’Institut Montaigne, Jacques Sapir affirme que la sortie de l’euro permettrait ex-ante une baisse des dépenses publiques et une hausse des recettes fiscales, et donc une réduction du déficit public, qu’il conseille d’ailleurs de ne pas réaliser, de façon à augmenter l’investissement public ;

5. Contrairement à l’estimation de l’Institut Montaigne, Jacques Sapir considère que la productivité accélèrerait significativement, grâce à une plus forte croissance dans un premier temps, et une relance de l’investissement dans un second.

Si la dévaluation, la mise sous tutelle de la politique monétaire et l’augmentation de l’investissement public stimulaient la croissance à court terme (par augmentation de la demande) et à long terme (par augmentation de la productivité), aucune conséquence macroéconomique désagréable ne découlerait de la sortie de l’euro, en effet. Ironiquement, il en résulterait même une appréciation du FRF à moyen terme sous l’effet des gains de productivité escomptés. Mais sous les apparences se cachent des hypothèses héroïques sur les comportements financiers et réels, seules à même de produire la stimulation de la croissance prédite par Jacques Sapir. Dans le monde réel, où la France a un bilan négatif vis-à-vis du reste du monde (à hauteur de 475 Mds d’euros(4), soit 21% du PIB, selon le FMI) et dont le premier partenaire commercial est l’Allemagne, les enchainements mécaniques de Jacques Sapir ont bien peu de chances de se réaliser, à moins de recourir à des mesures discrétionnaires et coercitives auxquelles il fait d’ailleurs une discrète allusion.

La France est endettée vis-à-vis de l’extérieur, son Etat comme ses entreprises

Commençons par le couple taux de change et taux d’intérêt, deux variables financières intimement liées par le jeu des anticipations. Le bon point de départ est d’examiner l’endettement du pays sous forme de titres de dettes (obligations), contrats entre émetteurs et acheteurs, aujourd’hui libellés en euros. Selon la Banque de France(5), le total des titres de dette émis par les résidents (administrations et entreprises), y compris contrats dérivés, s’élevait à 4 316 Mds d’euros (194% du PIB) fin septembre 2016, dont 55,9%(6) détenu par des non-résidents. La dette publique, dont 60% est détenue par des non-résidents, se taille la part du lion avec 51,9% de l’encours total. Qu’arriverait-il en cas de décision unilatérale de redénomination des actifs financiers d’euros en FRF ?

Je laisserai de côté les difficiles questions juridiques posées par l’application de la lex monetae aux actifs financiers, au-delà des flux monétaires que sont, par exemple, les salaires, les pensions et les transactions commerciales. Les titres de dette sont des contrats acceptés par les deux parties, émetteur et investisseur, à la date de l’émission, et ils ne prévoient pas le cas de redénomination. Or celle-ci aurait une dimension rétroactive indéniable, ce qui pourrait soulever de forts obstacles juridiques. Admettons cependant que la lex monetae s’applique aux actifs comme aux flux, de façon à ne pas éluder le débat.

A l’ouverture des marchés, une fois prise la décision de redénomination, la conversion serait, nous dit-on, 1 EUR = 1 FRF mais aussitôt après, le franc flotterait et sa parité serait déterminée par l’offre et la demande de titres qui seraient ou risqueraient d’être redénominés. Pour les agences de crédit, la messe est dite : "Il n’y a pas d’ambiguïté (…) Si un émetteur ne respecte pas les termes du contrat passé avec ses créditeurs, y compris la devise dans laquelle les paiements sont effectués, nous déclarerions une situation de défaut", disait récemment Moritz Kraemer, directeur des notes souveraines chez Standard & Poors(7). On peut ignorer les agences de notation, il n’en reste pas moins que leurs avis sur le risque de crédit (donc de défaut) sont indispensables à une bonne gestion du risque par les investisseurs institutionnels (assurances, fonds de pension, banques). Faut-il distinguer les investisseurs résidents des non-résidents ? Dans un monde où les capitaux circulent librement, ce qui est le cas de l’UEM, pas vraiment, car les uns comme les autres ont le choix de leurs investissements et doivent se prémunir contre le risque de perte (ou de non bénéfice) que ceux qu’ils représentent, clients des banques ou futurs retraités, pourraient subir, ce qui est leur responsabilité fiduciaire. L’arbitrage entre actifs français et étrangers, opérés par les investisseurs résidents comme non-résidents dès que la probabilité d’une redénomination devient significative, aboutirait à une décote du prix des premiers.

Pour les marchés le "nouveau franc" chuterait de 22% à 37% par rapport à l’euro

Le mouvement a d’ailleurs déjà commencé pour les titres émis par le Trésor français. Le 24 février, l’écart de rendement entre titres français et allemands de même nature et maturité (OAT et Bunds 10 ans) avait atteint 0,75 point de pourcentage. Un calcul simple montre que, si on suppose que la probabilité d’une redénomination dans un avenir proche (disons 1 à 2 ans) est de 20%, la dévaluation implicite du franc par rapport à l’euro/DM serait comprise entre 22% et 37%(8), bien supérieure aux 15% que Jacques Sapir suppose. Bien sûr, il ne s’agit là que d’une estimation de marché qu’on peut, à nouveau, balayer d’un revers de main, oubliant que ce sont les mêmes marchés qui décideront de la valeur du FRF.

Emission de droit français ou anglais : quitus pour la dette publique…

Entrons donc dans le détail de l’endettement par titres. Notre critique cite une étude de l’OFCE(9)] consacrée aux effets de bilan d’une redénomination et qui conclut que la France aurait une "position pertinente nette" très confortablement positive, à plus de 100% du PIB. Le pays s’enrichirait donc à la suite d’une dévaluation ! Rappelons que le bilan établi par le FMI indique au contraire une position nette négative, à -21% du PIB. Pour parvenir à ce résultat flatteur, les auteurs ne considèrent que les titres de dette qui devraient rester en euros, ayant été émis selon le droit anglais ou américain. Comme le gros de la dette est celle des administrations, dont 98% est de droit français, le tour est joué. Vraiment ?

Si la France usait de la lex monetae pour changer la dénomination de sa monnaie, les détenteurs de titres de dette en euro pourraient poursuivre leurs émetteurs pour n’avoir pas respecté leurs engagements contractuels. Mais devant une juridiction française, ils seraient assurés de perdre, ladite juridiction ayant peu de chances de s’opposer à une décision souveraine. Il est donc peu probable que les créanciers cherchent à contester la redénomination de dette émise sous droit français. Certes, on ne les y reprendrait pas, et, s’ils devaient investir à nouveau en titres souverains français, ce serait en demandant une prime de risque considérable.

C’est là qu’intervient la particularité de la dette publique : l’Etat peut forcer les banques opérant sous juridiction française à le financer en achetant sa dette, une pratique mise en œuvre en 1948 sous le nom de ‘plancher des effets financiers’(10) et qui revient à forcer les épargnants français à prêter à l’Etat. Jacques Sapir est favorable à cet instrument coercitif. Si, comme c’est probable, la France s’est aussi affranchie des règles de l’Union Européenne (UE), le Trésor pourrait aussi ordonner à la Banque de France d’acheter ses titres à l’émission, ou lorsqu’ils viennent à échéance ou à tout instant sur le marché secondaire. On serait dans un cas d’école de financement monétaire où le rôle de l’institut d’émission se réduit à financer les déficits publics et refinancer la dette(11), pratique réputée inflationniste. A ce sujet, Jacques Sapir remarque avec justesse que l’économie mondiale est aujourd’hui si peu inflationniste qu’il n’y a pas lieu de craindre une forte inflation. A court terme, il pourrait donc avoir raison : on peut sans vergogne rembourser en francs la dette publique émise en euro, car on peut tordre le bras des petits et moyens épargnants, dont l’immense majorité est très réticente à placer ses économies "à l’étranger". A long terme, c’est une histoire bien différente : une fois le financement monétaire des déficits publics entré dans les mœurs, les gouvernements ont une forte incitation à les laisser filer, jusqu’au jour où l’expansion monétaire devient incontrôlée et l’inflation, voire l’hyperinflation, devient inévitable.

… mais pour la dette privée, la redénomination serait pratiquement impossible

Selon une estimation de professionnels de marché, environ 60% de la dette émise par les entreprises françaises est de droit français, et 40% de droit anglais ou américain. Pour cette dernière portion, les titres de dette en euros resteraient tels, car les juridictions londoniennes ou newyorkaises considéreraient que la redénomination est une infraction au contrat de dette. Les entreprises préfèreraient donc conserver cette dette en euros plutôt que de risquer des saisies de leurs actifs à l’étranger et de se fermer à tout financement extérieur, même pour leurs activités purement internationales.

Qu’en est-il des 60% émis en droit français ? En théorie, le raisonnement tenu pour la dette publique devrait s’appliquer. Mais il y a une différence essentielle : pour la dette privée, pas moyen de forcer les épargnants à l’acheter, sauf nationalisation des grandes entreprises et des banques. L’arbitrage entre actifs financiers jouerait donc totalement, à moins de fermer les frontières aux mouvements de capitaux. La prime de risque créée par 1/ le jugement des agences de notation, 2/ le risque de future dépréciation voire de défaut pour les multinationales françaises prises à la gorge par leur dette en euros, augmenterait fortement. Par définition même de l’arbitrage, les prix (en devise tierce, dollar par exemple) des titres de dette restés en euros et ceux hypothétiquement redénominés en francs seraient proches. Anticipant un tel résultat et donc un risque de vente massive de leur dette de droit français, les entreprises qui peuvent se le permettre, celles qui sont peu endettées ou peuvent vendre des actifs non stratégiques pour se désendetter, opteraient pour un maintien en euros, de façon à conserver la qualité de leur crédit en évitant la redénomination. Pour les autres, c’est à dire la majorité des grandes entreprises françaises à commencer par celles dont l’état est le principal actionnaire, il sera difficile d’échapper au dilemme vente d’actifs stratégiques ou faillite.

Une dévaluation de 20% contre toutes devises est réaliste, en cas de redénomination

Le rôle des marchés étant d’anticiper les développements futurs dont je viens de donner une brève description, le pourcentage de dévaluation implicite par rapport à l’euro/DM impliqué par la décote de la dette française, de 20 à 40% pour prendre un ordre de grandeur, ne paraît plus du tout irréaliste. Comme Jacques Sapir le fait justement remarquer, le taux de change contre euro/DM n’est pas le seul qui compte. Il a raison de considérer que l’Italie ne pourrait pas résister longtemps à la dévaluation française et pourrait même ajouter l’Espagne et le Portugal à son pronostic, tant la perte de compétitivité ibérique serait forte. Mais en ce qui concerne l’Allemagne, prédire une forte appréciation contre toutes devises sur la base d’estimations de taux de change d’équilibre par le FMI est bien hasardeux. Tout d’abord, en changes flottants, les taux de marché sont rarement à l’équilibre et les déviations durables. Ensuite, les circonstances économiques et politiques comptent au moins autant dans la détermination du taux de change de marché que le taux d’équilibre, comme on le voit bien aujourd’hui pour le yuan chinois, qui serait fortement dévalué si les autorités laissaient les capitaux sortir librement de Chine. Or l’Allemagne serait touchée, tout comme la France, par une forte crise institutionnelle et économique : la Bundesbank détient aujourd’hui une créance de 754 Mds d’euros sur les autres banques centrales de la zone euro, à travers le système de compensation "Target 2"[=(12). Tant que la zone euro reste intègre, cette créance reste virtuelle. Mais si un pays endetté au sein de Target quittait la zone euro de façon unilatérale, on voit mal pourquoi il rembourserait la Bundesbank. Or, si la France a, jusqu’à présent une position équilibrée au sein de Target, ce n’est pas le cas de l’Italie et de l’Espagne, dont la position débitrice conjointe atteignait 685 Mds d’euros au 31 décembre dernier. De plus, toute appréciation de l’euro réduit aux pays du nord entrainerait une perte de richesse de l’Allemagne, dont la position extérieure nette atteignait 1 670 Mds d’euros fin septembre 2017. En effet, les actifs allemands à l’étranger seraient dépréciés sans que les engagements ne changent. Ce double choc de richesse aurait un impact négatif sur l’économie, et les investisseurs étrangers, les grandes banques centrales (Chine, Japon) jusque-là friands de dette allemande, seraient probablement plus prudents à propos d’un pays affaibli économiquement et déstabilisé politiquement, que si l’euro restait intact. Dans ces circonstances, l’appréciation de 15% du DM contre le dollar sur laquelle compte Jacques Sapir est bien optimiste.

Au bout du compte, la dépréciation du franc contre le panier de devise correspondant à son commerce extérieur, où l’Allemagne tient la plus grande place, serait plutôt de l’ordre de 20%, tenant compte d’une dépréciation de l’ordre de 30% contre le DM, d’une forte dépréciation de la lire et de la peseta, et d’une appréciation limitée du DM contre le dollar.

On comprend mal pourquoi Jacques Sapir est si choqué par l’hypothèse d’une forte dépréciation. Dans une note publiée écrite en 2011, où il proposait un plan d’action détaillé en cas de sortie de l’euro, il lui assignait comme objectif N°1 "Retrouver rapidement un sentier de forte croissance, par une amélioration instantanée de notre compétitivité prix grâce à une dévaluation d’environ 25%"(13) . Conviction en 2011, anathème en 2017 ?

De la dévaluation initiale au cercle vicieux taux d’intérêt taux de change

Partons donc de l’hypothèse d’une dévaluation de 20%. Si les marchés assignaient une plus forte probabilité à la sortie de l’euro, ce qui serait certainement le cas si Mme Le Pen était élue, une forte hausse des taux d’intérêt à long terme serait inévitable. Lors de la crise italienne de l’automne 2011, l’écart de taux entre la France et l’Allemagne était monté à 1,9 point de pourcentage, son niveau le plus élevé depuis 1992. Or il n’était pas question que la France renonce à l’euro, seulement que l’Italie s’enfonce dans la crise. Sous notre hypothèse d’une dévaluation anticipée de 30% par rapport à l’euro/DM, une hausse de l’écart de taux de l’ordre de 3,5 à 4 points de pourcentage serait plausible(14), ce qui porterait le taux à 10 ans français à environ 4%. Une fois la redénomination mise en œuvre, la Banque de France ferait face à un dilemme bien connu : défendre le franc en remontant les taux d’intérêt, comme elle le fit en septembre 1992, ou le laisser se dévaluer comme la Banque d’Angleterre le fit au même moment. Un gouvernement bien décidé à mettre au pas la Banque de France pencherait très probablement vers la seconde solution. La dévaluation se poursuivrait alors, jusqu’à ce que les marchés considèrent la probabilité d’une appréciation ultérieure suffisamment forte pour qu’une stabilisation se produise, selon le mécanisme décrit par Rudiger Dornbush en 1976. Le risque est donc d’une dévaluation plus forte, accompagnée par une hausse des taux plus élevée. La situation de crise ainsi créée précipiterait les mesures coercitives déjà citées, contrôle des mouvements de capitaux, achats forcés par la Banque de France et les banques commerciales, de façon à enrayer le cercle vicieux.

La sortie de l’euro ouvrirait une longue période d’incertitude, négative pour la croissance

Contrairement à ce que les partisans d’une sortie unilatérale de l’euro prétendent, elle aurait peu de chances de se faire en douceur. Sortir de l’UE en invoquant l’article 50 serait rapidement vu par le gouvernement seule solution pour appliquer les mesures coercitives citées plus haut. Mais comme l’exemple britannique est en train de le montrer, cela ne peut pas se faire par un simple referendum, à supposer que le résultat d’un tel referendum soit favorable au "Frexit". Une période de négociation de deux ans s’ouvrirait, au cours de laquelle les mesures coercitives ne pourraient être mises en œuvre, à moins que la France ne décide de s’affranchir carrément des traités européens. L’incertitude économique et politique, aussi bien que la perspective d’une économie sujette à un retour en force du contrôle étatique aurait un impact très négatif sur l’investissement privé. De plus, l’incertitude sur l’avenir de leur épargne pousserait les ménages à augmenter leur épargne de précaution et donc à moins dépenser. Et si au bout du processus, la France sortait effectivement de l’Union Européenne, destination de 60% de nos exportations, l’accès, aujourd’hui sans entrave, à ces marchés deviendrait plus difficile et son avenir incertain puisque dépendant de longues négociations avec nos partenaires commerciaux.

L’effet de ces enchainements sur la productivité serait négatif pour la productivité

Une fois prises en compte les circonstances qui y conduiraient, la sortie de l’euro aurait des effets conjoncturels clairement négatifs. Mais supposons un instant que la transition se fasse en douceur, et que seul les gains de compétitivité prix à court terme entrent en ligne de compte. A court terme, l’augmentation de la demande stimulerait la production. Mais pas nécessairement la productivité : comme le coût du capital (déterminé par les taux d’intérêts, en hausse, et le cours des actions, en baisse) augmenterait, les entreprises pourraient privilégier l’embauche par rapport à l’investissement et la productivité. L’emploi en bénéficierait, mais pas la productivité. Dans le monde de Jacques Sapir, il semble qu’on ait les deux. Pour aller au bout du raisonnement, admettons qu’un miracle fasse que ce soit le cas à court terme. Il en va tout autrement à long terme. Déjà, la possibilité de dévaluations ultérieures est une puissante désincitation à l’innovation : à quoi bon chercher à être les meilleurs en prenant le risque d’innover (donc d’échouer), alors qu’il suffit de s’en tenir aux produits existants, comptant sur une future dévaluation, rendue d’autant plus probable que la Banque de France aurait pour instruction de stimuler l’économie en gardant les taux d’intérêt bas. Il y a encore plus fondamental : la contraction des marchés à l’exportation consécutive à la sortie de l’UE, inverserait l’effet positif pour la productivité de l’ouverture des frontières décrit par Marc Melitz théoriquement et validé empiriquement(15). Comme la perspective de dévaluation, la réduction des marchés extérieurs, où la concurrence est vive, augmenterait la probabilité de survie des entreprises les moins productives et les moins innovatrices, le tout résultant dans une baisse de la productivité, relative aux pays concurrents.

Dans le monde des détracteurs de l’euro, rien de tout cela n’existe. Dévaluer, stimuler la demande, réduire la banque centrale à une annexe du Trésor, forcer les épargnants à financer les déficits, réduire la dette en remboursant principal et intérêts dans une monnaie dépréciée aux dépens de la crédibilité internationale du pays sont supposés produire des miracles économiques. Peut-être faut-il y voir une nostalgie des années où la croissance française était tirée par le rattrapage de productivité vers le niveau américain, les fameuses trente glorieuses. Cette époque est révolue. L’économie française, comme celles du Japon, du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, est trop avancée pour que ce moteur continue à fonctionner. Pour que le niveau de vie de notre population continue à progresser, pour qu’il y ait matière à partager les ‘fruits de la croissance’ il n’y a d’autre voie que d’innover et de devenir plus concurrentiel.

L’étude de l’Institut Montaigne a le mérite de tenter de chiffrer les effets négatifs d’une sortie de l’euro ainsi que l’effet positif de la dévaluation attendue. Contrairement au monde irénique de Jacques Sapir, l’Institut Montaigne ne fait pas l’impasse sur les circonstances qui entoureraient une sortie de l’euro et ses implications, entre autres une forte dévaluation, et une hausse des taux d’intérêt significatives. Ma crainte est que, reposant sur les paramètres de modèles estimés dans un cadre institutionnel différent et stable, elle risque de sous-estimer l’ampleur des conséquences négatives d’une sortie de l’euro.

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1 - "Les mensonges de l’Institut Montaigne" Blog de Jacques Sapir sur la Russie et l’Europe – 23 février 2017.

2 - "Econometric policy evaluation : A critique", Robert Jr Lucas, Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, January 1976, pages 19-46.

3 - L’Union latine, à l’origine entre la France, la Belgique, la Suisse et l’Italie dura formellement de 1865 à 1927 ; elle instaurait, dans le cadre du bi-métallisme, une parité des monnaies nationales gagées sur l’or et l’argent, et une reconnaissance réciproque des monnaies en circulation. Elle n’a rien à voir avec l’UEM, ne serait-ce que parce que cette dernière se situe dans le cadre d’une monnaie strictement fiduciaire, sans aucune référence extérieure comme l’or ou le dollar.

4 - Source: FMI, International Financial Statistics, France: International Investment Position

5 - Source : Banque de France, espace téléchargement, page 8, données fin septembre 2016.

6 - Séries DSE.Q.N.FR.W0.S1.S1.LE._Z._Z.P.F3.T.EUR._T.M.N et DSE.Q.N.FR.W1.S1.S1.LE.L.FA.P.F3.T.EUR._T.M.N

7 - Financial Times, "Le Pen debt plan threatens massive default, say rating agencies", 9 Février 2017.

8 - Comme les taux de marché à court terme sont proches de zéro, la duration et la maturité sont pratiquement les mêmes. L’espérance de perte (probabilité de re-dénomination fois perte associée) révélée par le spread est donc pratiquement égale à 10 fois ce spread (d’où une dévaluation implicite de 0,75/0,2 - soit 37,5%). Alternativement si on considère non pas le spread absolu mais son écart à sa moyenne depuis 1999 (0,3 pts) la dévaluation implicite serait de 22,5%.

9 - "Effet de bilan d’un éclatement de l’euro" Cédric Durand et Sébastien Villemot, blog de l’OFCE.

10 - "En France, cette disposition a revêtu la forme d'une décision de la Banque de France, prise en 1948, prescrivant aux banques d'employer au moins 25 p. 100 de leurs dépôts en bons du Trésor. Le montant ainsi affecté a reçu le nom de plancher d'effets publics. Mais le pourcentage prescrit a été progressivement réduit : à 17,5 p. 100 en 1961, à 15 p. 100 en 1962, à 7,5 p. 100 en 1964, à 5 p. 100 en 1965 ; en 1967 l'obligation a été levée" Encyclopaedia Universalis.

11 - Il est vrai que la BCE procède à des achats de dette publique (opérés par la Banque de France en ce qui concerne les titres français, ce qui revient à faire porter le risque de crédit par le contribuable français), mais elles le font pour des raisons de politique monétaire, pour stimuler une création monétaire insuffisante, et non pas sur ordre des états. La différence est essentielle et, d’ailleurs, la BCE a déjà annoncé que son programme d’achat serait progressivement réduit jusqu’à s’annuler au cours de 2018.

12 - Source : BCE "TARGET balances of participating NCBs", données fin décembre 2016.

13 - "S’il faut sortir de l’euro…" Document de travail CEMI-EHESS – Jacques Sapir, 6 avril 2011.

14 - En passant d’une probabilité de dévaluation de 20% à une quasi-certitude, l’écart serait multiplié par 5.

15 - Melitz, Marc J. 2003. "The Impact of Trade on Intra-Industry Reallocations and Aggregate Industry Productivity." Econometrica 71. Une version moins technique des nouveaux modèles de commerce international est présentée dans Melitz-Trefler, "Gains from Trade when Firms Matter", Journal of Economic Perspectives—Volume 26, Number 2—Spring 2012.

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