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21/04/2017

[Présidentielle 2017] Les programmes économiques passés au crible par Eric Chaney

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[Présidentielle 2017] Les programmes économiques passés au crible par Eric Chaney
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

Eric Chaney, conseiller économique de l'Institut Montaigne, décrypte cette semaine les programmes économiques des candidats à l'élection présidentielle.

François Fillon

Les réformes structurelles proposées par François Fillon – allègement des charges, flexibilisation du marché du travail – abrogation des 35 heures en particulier – environnement plus favorable aux entreprises – sont de nature à renforcer la croissance potentielle. Partant de l’hypothèse de croissance potentielle de la Commission européenne de 1,2 % (cohérente avec celle de l’OFCE), un gain d’un quart de point peut tout à fait se concevoir, soit une accélération à 1,5 %. Au-delà, l’ambition semble beaucoup moins réaliste. On ne voit d’ailleurs pas bien comment la politique budgétaire de François Fillon, qui se traduit par une baisse du déficit des administrations publiques année après année, pourrait aider à combler le déficit de demande. Les prévisions de croissance de François Fillon semblent trop optimistes.

Sur l’objectif de baisse du chômage structurel à 7 % (contre environ 9 % aujourd’hui), le programme de François Fillon va dans le bon sens, puisqu’il préconise une certaine flexibilisation du marché du travail – une réforme du code du travail serait enclenchée — mais son imprécision ne garantit pas que l’on parvienne à une baisse de deux points du chômage structurel. Le programme contenant des mesures qui peuvent faire monter le chômage conjoncturel ou réduire la baisse, selon la conjoncture, comme la réduction des emplois publics, la défiscalisation des heures supplémentaires ou l’abolition des 35 heures, une politique budgétaire suffisamment accommodante devrait l’accompagner. Sur ce point, le programme de François Fillon reste orthodoxe.

L’augmentation de TVA pour financer la baisse du coût du travail est de bonne politique économique, puisque la France est par définition à change fixe avec ses principaux partenaires – c’est donc une "dévaluation fiscale". Il n’empêche qu’elle peut avoir un impact à court terme sur la croissance. Cela ne s’était pas produit en Allemagne, où le taux normal de TVA fut remonté de trois points en 2007, grâce à une bonne conjoncture internationale. En revanche, chaque hausse de la taxe à la consommation au Japon a eu un impact très négatif sur la croissance. Au crédit de François Fillon, sa réforme fiscale vise à réduire les taux d’imposition des salaires (cotisations), et se rapproche donc plus de la réforme allemande que de la japonaise. Reste une question importante : quel est le calendrier prévu pour l’augmentation de TVA : en une seule fois, distribuée sur deux, trois voire quatre ans ? La politique optimale serait de réduire d’abord les charges et, une fois la dynamique de l’emploi repartie, de remonter la TVA.

La baisse de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % pour toutes les entreprises est une mesure qui cumule un fort effet d’affichage pour les investisseurs en général et une incitation à se développer pour les entreprises. S’il est difficile d’en chiffrer l’impact sur la croissance potentielle, celui-ci ne peut être que positif.

S’agissant, enfin, de la baisse des impôts sur la production et les charges sur tous les salaires de 25 Md€ avec intégration du CICE dans le barème, il s’agit d’une très bonne mesure : il faut pérenniser et donc banaliser le CICE, dont le principal défaut était d’être un crédit d’impôt.

Benoît Hamon

Si les prévisions de croissance de Benoît Hamon devaient se réaliser, elles entraîneraient une forte dégradation du déficit commercial et une accélération sensible de l’inflation. En se fondant sur l’estimation de croissance potentielle de la Commission européenne, l’écart (négatif) de production ferait rapidement place à un écart positif de 3,3 points par rapport au PIB potentiel, ce qui traduirait une forte surchauffe de l’économie française, rarement observée dans le passé, même en période de haute conjoncture.

Parmi les mesures proposées par le candidat socialiste, beaucoup visent à augmenter les transferts sociaux et la redistribution et donc à augmenter les dépenses publiques sociales. L’augmentation du déficit des administrations publiques qui en résulterait dégraderait les conditions de financement de l’économie française par un mécanisme d’éviction de l’investissement privé : une plus forte sollicitation de l’épargne pour financer les déficits accompagnée d’une défiance renforcée vis-à-vis de la qualité de crédit de l’État – la France se prononçant en faveur d’une restructuration des dettes publiques héritées du passé – réduirait l’épargne disponible pour le financement des entreprises. Celles-ci se finançant à des conditions plus restrictives que l’État (car elles sont susceptibles de faire faillite), les taux d’intérêt de marché, comme ceux octroyés par les banques, remonteraient significativement, renchérissant d’autant le financement de l’investissement.

La lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales des multinationales que propose Benoît Hamon ou son projet de "Google tax" risquent d’être prises à contre-pied par la réforme de la taxation des entreprises envisagée par la majorité républicaine aux États-Unis, et qui vise, entre autres, le rapatriement des profits accumulés à l’étranger par ces entreprises.

Parmi les mesures susceptibles de renforcer la croissance potentielle de la France, notons l’idée intéressante d’un programme d’investissements publics de 1 000 Mds € pour l’ensemble de la zone euro, une sorte de démultiplication du plan Juncker. Mais on ne voit pas bien comment il serait financé : par une forte augmentation du budget de l’Union, voire d’un budget de la zone euro ? Cela requerrait des années de négociations avec une faible chance de succès. Un programme d’emprunt assorti d’un engagement solidaire (eurobonds) ? Cela paraît encore moins probable, même à l’horizon d’un quinquennat, car, en l’état des finances publiques des partenaires de l’Allemagne (Italie, France, Espagne), cela se traduirait par une forte hausse du risque de crédit (et donc des taux d’intérêt à long terme) de la République fédérale, qui serait défavorable à tous et presque certainement rejetée par l’Allemagne.

Marine Le Pen

En se fondant sur les hypothèses de croissance potentielle de la Commission européenne, l’écart négatif de production aujourd’hui constaté ferait rapidement place, selon les promesses de Marine Le Pen, à un écart positif atteignant +4,5 points par rapport à la trajectoire du PIB potentiel, ce qui traduirait une très forte surchauffe de l’économie française, jamais observée par le passé, même en période de surchauffe conjoncturelle. Alternativement, pour que de tels rythmes de croissance soient soutenables, il faudrait une rapide accélération de la production potentielle elle-même, qui ne pourrait être que le résultat d’une profonde libéralisation du marché du travail et d’une accélération de la productivité des facteurs sans précédents pour une économie qui n’est plus en phase de rattrapage, comme elle a pu l’être de 1950 à 1970. C’est l’inverse qui risquerait de se produire, si le programme de Marine Le Pen venait à être mis en œuvre. Ses éléments négatifs pour la croissance potentielle peuvent se résumer ainsi :

  • la forte augmentation des dépenses publiques et la baisse des prélèvements entraîneront une dérive accélérée du poids de la dette publique, dont le financement ne pourra qu’être interne (en raison de la redénomination de la devise) et provoquera ainsi un effet d’éviction de l’investissement, c’est à dire une réduction de l’épargne disponible pour financer l’investissement des entreprises ;
  • la fermeture partielle des frontières aux échanges de biens et services entraînera des mesures similaires de la part des partenaires commerciaux de la France et une contraction des marchés à l’exportation ;
  • la fermeture partielle des frontières pour l’immigration réduira le potentiel d’innovation en réduisant les ressources de talents dans les domaines de la technologie ;
  • une politique protectionniste et le risque endémique de dévaluation sont défavorables à la croissance de la productivité car ils découragent l’innovation et affaiblissent le processus de sélection entre entreprises, permettant à des entreprises peu performantes de subsister, au détriment de concurrentes, start-ups en particulier, plus innovatrices.

Au bout du compte, une croissance potentielle plus faible se traduit par une baisse du niveau de vie de la population en général, comparé à ce qu’il serait sans cette politique.

Emmanuel Macron

Le programme d’Emmanuel Macron comprend des mesures ambitieuses – sur l’assurance chômage et les retraites notamment – dont l’impact sur la croissance pourrait être positif à long terme. Son plan d’investissement, ses réformes fiscales pourraient, si elles sont réalisées, avoir des effets positifs sur l’économie. Cependant, l’absence de précisions sur certaines réformes structurelles – la réforme du marché du travail notamment – et la documentation parcellaire de son plan d’économies fragilisent les hypothèses de croissance du candidat.

En proposant d’ouvrir l’assurance chômage aux travailleurs indépendants et aux autoentrepreneurs, Emmanuel Macron crée une sorte d’assurance contre la faillite des entrepreneurs individuels, susceptible d’encourager l’initiative entrepreneuriale et, avec elle, la création de richesse.

En proposant d’unifier les régimes de retraites le candidat fait preuve de courage et de sérieux : les régimes spéciaux dans leur ensemble, et celui des fonctionnaires en particulier, constituent un poste important de dépense publique, que ce soit sous forme de subventions ou de dépenses de personnel, et une cause d’iniquité entre salariés, qui entraine une mauvaise allocation des talents. Toute analyse plus poussée de cette mesure – son impact sur les finances publiques notamment – se heurte cependant à l’absence de précisions la concernant, et il n’est pas possible aujourd’hui d’en chiffrer les effets. Il reste que le projet, s’il est mené à bien, a une dimension politique susceptible de favoriser d’autres réformes. Les tentatives de réforme des régimes spéciaux se sont toujours heurtées à une résistance forcenée et ont entraîné de fortes perturbations de l’économie. La réussite de cette réforme est cependant conditionnée à de nombreux paramètres : ainsi, il paraît difficile d’obtenir des fonctionnaires un alignement de la règle du taux de remplacement sans compensation salariale.

Les dépenses prévues par Emmanuel Macron dans son plan d’investissement, échelonnées de façon non linéaire sur le quinquennat et fléchées vers la formation professionnelle, la transition écologique, la santé, l’agriculture ou la modernisation de l’action publique sont, à valeur faciale au moins, de "bonnes dépenses" d’investissement. La formation professionnelle renforce le capital humain, donc la croissance potentielle, le soutien à la transition énergétique entraîne une baisse des dépenses d’énergie improductives, etc. Tout dépendra, bien entendu, de la qualité de ces dépenses et du caractère rigoureux de leur suivi.

La baisse de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % est une mesure qui cumule un fort effet d’affichage pour les investisseurs en général, et une incitation à se développer pour les entreprises. S’il est difficile d’en chiffrer l’impact sur la croissance potentielle, celui-ci ne peut être que positif. La pérennisation du CICE et sa transformation en baisses permanentes des charges est une bonne idée sur le fond – dans la mesure où il ne s’agira plus d’un crédit d’impôt, ce qui constituait son principal défaut – la question du décalage temporel étant secondaire.

En dépit de ces différents éléments, les réformes structurelles prévues par Emmanuel Macron – sur le marché du travail en particulier — paraissent floues. Elles ne permettent ainsi pas de faire l’hypothèse d’un renforcement significatif du potentiel de croissance de l’économie. Selon les réformes qui seront effectivement mises en œuvre, ce renforcement nécessaire pour s’approcher de la cible d’une croissance annuelle de 1,8 % en fin de quinquennat – cible de toute façon peu réaliste – aura ou n’aura pas lieu.

Sur la baisse du chômage, une critique de fond peut être adressée : pour faire baisser le taux de chômage structurel à 7 %, soit plus de 2 points de baisse, il faut non seulement une croissance suffisante, mais aussi une réforme structurelle du marché du travail, dans le sens de la flexibilisation. Et comme une telle réforme peut être coûteuse en emplois lors de sa mise en œuvre (sauf si la conjoncture est exceptionnellement bonne, par chance), elle doit être mise en œuvre immédiatement, avec une politique budgétaire suffisamment accommodante pour être praticable. Il n’y a pourtant rien de bien précis sur la réforme du marché du travail à ce stade. L’idée de bonus-malus était, dans l’esprit de ses auteurs (Olivier Blanchard et Jean Tirole) un complément à la flexibilisation du marché du travail, c’est à dire rendre les licenciements plus faciles. Le programme d’Emmanuel Macron ne semble pas parfaitement aligné sur ces idées.

Jean-Luc Mélenchon

Le programme de Jean-Luc Mélenchon implique un changement radical du fonctionnement de l’économie, avec une forte hausse des dépenses publiques, l’élargissement du périmètre de l’État dans l’économie elle même et, surtout, la possible sortie à terme de l’Union européenne et la disparition de l’euro. Très proche, sur le plan économique du moins, du programme de Marine Le Pen, son application aurait des conséquences similaires : hausse de l’inflation et des taux d’intérêts réels en raison des restrictions aux importations et d’une possible sortie de l’euro, et baisse de la croissance potentielle en raison de l’éviction du financement des entreprises par accaparement de l’épargne disponible par le financement des déficits publics, et des conséquences du protectionnisme (solidaire dans la version de Jean-Luc Mélenchon, mais similaire sur le fond), qui réduirait l’impact positif de la concurrence internationale sur l’innovation privée.

Certains aspects spécifiques du programme de Jean-Luc Mélenchon méritent cependant d’être notés, en raison de l’impact très négatif qu’ils auraient sur les entreprises, leur compétitivité et leur capacité à innover. Ainsi, mettre fin à la cotation continue en Bourse, qui ne pourrait être effective qu’à Paris, réduirait immédiatement l’accès des entreprises françaises au pool d’épargne mondial disponible pour financer leurs fonds propres. Les mesures proposées visant à réduire la distribution des dividendes auraient un effet également négatif, en abaissant la valeur boursière des entreprises, qui, fondamentalement, est la somme actualisée des dividendes futurs.

Dans le chapitre "mettre au pas la finance", le programme prévoit de contrôler les mouvements de capitaux, ce qui est cohérent avec sa logique protectionniste d’ensemble, mais ne peut qu’augmenter le coût du capital et ainsi réduire l’investissement futur. De même, interdire la titrisation et les produits dérivés (qualifiés avec facilité de toxiques mais qui permettent de se protéger contre les risques pour la grande majorité d’entre eux) réduirait la liquidité du marché et augmenterait plus encore le coût du capital. Par ailleurs, l’instauration d’un revenu maximum (conséquence de l’imposition à 100 % de la portion du revenu supérieure à 400 000 euros) aurait pour conséquence de faire fuir les talents entrepreneuriaux vers des pays plus favorables à la prise de risque. A l’augmentation du coût du capital et sa conséquence, un effritement du capital productif, viendrait s’ajouter une réduction du capital humain, typique des gestions de type économie de commandement.

En conclusion, le programme de Jean-Luc Mélenchon se traduirait par une forte baisse du niveau de vie des français, qu’une plus grande égalité de la répartition des revenus serait bien en mal de compenser, pour la grande majorité des résidents.

Pour aller plus loin :

Présidentielle 2017 - Le grand décryptage

A propos du monde imaginaire de ceux qui prônent une sortie de l’euro

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