AccueilExpressions par MontaignePréparer l’agriculture française aux défis alimentairesL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.10/03/2022Préparer l’agriculture française aux défis alimentairesTrois questions à Julien Fosse Villes et territoires Environnement Action publiqueImprimerPARTAGER Julien Fosse Directeur adjoint du département développement durable et numérique de France Stratégie L’agriculture tient une place centrale au sein des défis que nous imposent le changement climatique. Promouvoir un appareil agricole durable, capable de faire face aux pressions démographiques tout en garantissant des produits de qualité sont quelques-uns des enjeux déjà mis en avant dans la publication de l’Institut Montaigne intitulé En campagne pour l’agriculture de demain. La série Cultiver l’agriculture de demain souhaite mettre ses questions au cœur des discussions à quelques semaines de l’élection présidentielle. Dans cet épisode, Julien Fosse, directeur adjoint du département développement durable et numérique de France Stratégie, répond à nos questions. En 2050, il faudra nourrir près de 10 milliards d'humains sur terre. Il s’agit là d’un vrai défi, notamment au regard de la persistance de l’insécurité alimentaire. Comment la France peut-elle dès à présent mettre son appareil agricole et alimentaire au service de cet enjeu ?Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 750 millions de personnes ont été exposées à d’importants niveaux d’insécurité alimentaire à l’échelle planétaire en 2019. En 2030, ce chiffre pourrait atteindre les 840 millions. Dans le même temps, le dernier rapport publié par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) indique que 8 % des terres actuellement cultivables pourraient devenir impropres à l’agriculture dans un scénario où la Terre se réchaufferait de 1,6 °C à la fin du siècle. Alors que cette hypothèse de réchauffement est déjà bien optimiste. Tous ces éléments soulignent la nécessité de construire un système alimentaire mondial résilient, adapté au changement climatique et qui permette de limiter au maximum les tensions à venir en termes d’approvisionnement alimentaire. L’agriculture française ne sera évidemment pas en mesure de nourrir la planète à elle seule. Tout d’abord parce que nous sommes déficitaires sur certains segments de marché et encore loin d’assurer notre propre autonomie alimentaire. C’est le cas pour les fruits et légumes comme pour l’alimentation du bétail de certaines filières animales. Ensuite parce que les contraintes biophysiques du réchauffement climatique et de l’érosion de la biodiversité s’appliquent à la France comme au reste du monde : les rendements agricoles plafonnent, la qualité des sols est détériorée par endroits, les aléas climatiques vont se multiplier et s’aggraver à l’avenir.La réponse à l’enjeu alimentaire mondial passe par le développement d’agricultures locales résilientes.Comme le soutient la FAO depuis plusieurs années maintenant, la réponse à l’enjeu alimentaire mondial passe par le développement d’agricultures locales résilientes, adaptées aux contraintes biophysiques et permettant de produire dans des conditions de stress hydrique accru, plutôt que de faire reposer l’alimentation de la planète uniquement sur quelques grandes puissances exportatrices. A fortiori dans un contexte de grandes tensions géopolitiques.À ce titre, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est venue jeter une lumière crue sur la fragilité du système alimentaire mondial. Le blocage des ports ukrainiens et russes, relais de deux grandes puissances céréalières exportatrices, bouleverse les marchés de matières premières et accélère la hausse des prix de l’alimentation, déjà à l'œuvre dans le contexte de reprise post-Covid. En parallèle, l’Europe réalise qu’elle dépend pour partie d’engrais produits à partir de gaz russe ou de phosphate biélorusse. Ces signaux de tension plaident pour un renforcement de l’autonomie de l’agriculture européenne, qui passe nécessairement par un effort de réduction de notre dépendance aux intrants produits à l’étranger et aux sources d’énergies fossiles. Face à la hausse de la demande alimentaire au niveau international, on constate au niveau français un “morcellement” de la demande alimentaire : la consommation de produits à haute qualité nutritionnelle, d'origine biologique ou relevant d'indications géographiques protégées se fait de façon disparate entre les citoyens. Ces tendances constituent-elles des injonctions contradictoires ? Comment y répondre efficacement ?La France dispose d’un patrimoine gastronomique remarquable, avec une grande diversité de productions alimentaires. Ces productions font l’objet d’un grand nombre de certifications de qualité ou de signes officiels. Ils sont peut-être trop nombreux, d’ailleurs, tant il peut y avoir de confusion dans les esprits entre les certifications de qualité, de typicité ou d’exigences environnementales. Depuis quelques années maintenant, s’ajoute à cela la promotion des productions locales et de circuits courts qui complexifient le panorama de l’offre alimentaire. Ce morcellement de l’offre répond au morcellement de la demande, ou tout du moins à la forte individualisation de la consommation alimentaire. Les préoccupations croissantes de la population concernant le bien-être animal ou la santé environnementale doivent être prises en compte par les acteurs du secteur agricole. Répondre à cette demande est nécessaire. Cela sous-tend notamment la croissance tendancielle de la demande en produits issus de l’agriculture biologique depuis 2010 : la France est aujourd’hui le deuxième marché bio d’Europe, derrière l’Allemagne et avec un chiffre d’affaires de 11,9 milliards d’euros en 2019. Composée de 2,3 millions d’hectares cultivés selon les cahiers des charges de l’agriculture biologique, la Superficie agricole utile (SAU) bio française a été multipliée par deux en cinq ans, devenant ainsi la première d’Europe (devant l’Espagne). Le nombre d’exploitations bio françaises (un peu moins de 40 000) reste néanmoins inférieur à celui de l’Italie (autour de 70 000).Les préoccupations croissantes de la population concernant le bien-être animal ou la santé environnementale doivent être prises en compte par les acteurs du secteur agricole. En outre, en 2019, la production française de produits bio ne couvrait que 67 % de la demande nationale en volume. Le solde commercial est en effet déficitaire à hauteur de 1,7 milliard d’euros : imputable notamment au secteur des fruits et légumes bio, déficitaire à hauteur de 431 millions d’euros. Il y a donc encore des parts de marché à conquérir. Dans d’autres secteurs, notamment des filières laitières, un tassement de la demande s’observe, même s’il est sans doute beaucoup trop tôt pour savoir s’il s’agit là d’un phénomène conjoncturel ou d’une situation pérenne. Le secteur alimentaire se trouve aussi au cœur de la transition agro-écologique qui engage notre agriculture pour les prochaines décennies. Quels leviers actionner en priorité pour s’assurer que les Français aient accès à une alimentation durable, de qualité et abordable d’un point de vue économique au cours des prochaines décennies ?Dès 2017, l’atelier des États généraux de l’alimentation (EGalim) intitulé “Réussir la transition écologique et solidaire de notre agriculture en promouvant une alimentation durable” concluait à la nécessité de faire de la France le champion européen de l’agroécologie. Il adoptait l’objectif d’une conversion d’un tiers des exploitations agricoles à l’agriculture biologique, et d’un autre tiers à la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) d’ici à 2030. Cela impliquerait d’accélérer la diffusion des pratiques et modes de production agroécologiques les plus bénéfiques pour l’environnement et de mobiliser les acteurs de l'aval des filières (industriels de la transformation, coopératives, distributeurs, commerces, consommateurs), ainsi que d’assurer un soutien public proportionné aux services environnementaux rendus. Pour atteindre cet objectif et réduire les externalités négatives de l’agriculture, il apparaît nécessaire de combiner des leviers d’action portant à la fois sur l’offre et la demande. Il apparaît nécessaire de combiner des leviers d’action portant à la fois sur l’offre et la demande.En matière d’offre, il apparaît indispensable de rémunérer les externalités environnementales positives de l’agroécologie à l’aide d’un bonus-malus portant sur les principaux leviers de préservation de la biodiversité et du climat (maintien de prairies permanentes et d’infrastructures agroécologiques, rotations des cultures). La taxation des externalités négatives liées à l’utilisation d’intrants - pesticides et engrais notamment - et la réaffectation du produit de cette taxe au financement de la transition des exploitations pourrait participer pleinement à cette dynamique.Ces propositions font écho aux pistes d’évolution de la politique agricole commune proposées en 2019 par France Stratégie dans son rapport Faire de la Politique agricole commune un levier de la transition agroécologique. En tout état de cause, la mobilisation conjointe de ces divers leviers pourrait faciliter le développement de l’agroécologie, qui est bénéfique d’un point de vue environnemental tout en étant compatible avec l’amélioration de la situation économique des exploitations agricoles. Pourtant, et comme le soulignent de nombreux exercices de prospective, ces évolutions des pratiques au niveau des exploitations agricoles devront être prolongées par une évolution des pratiques alimentaires des consommateurs. L’objectif est d’assurer la transition de notre système alimentaire vers la durabilité, et ce de manière globale. Pour soutenir la demande et accroître chez les citoyens la volonté de payer des produits agro-écologiques, une information renforcée des consommateurs sur les exigences environnementales des différents cahiers des charges apparaît nécessaire. La réduction du gaspillage alimentaire et un rééquilibrage du panier de consommation des ménages pourrait permettre de compenser le prix plus élevé des aliments issus de l’agriculture biologique. Des dispositifs d’aide dédiés, relevant des grands principes d’une “sécurité sociale de l’alimentation” ou de chèques alimentaires ciblés, pourraient être envisagés pour les ménages les plus défavorisés. L’objectif est d’assurer l’accès de tous à une alimentation durable et locale. Enfin, le rôle des entreprises de transformation et de distribution, ainsi que celui des donneurs d'ordre de la restauration collective, est déterminant dans le soutien aux productions agroécologiques. Copyright : FRANCOIS NASCIMBENI / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 13/12/2021 Quel visage pour l'agriculture de demain ? Hervé Gaymard