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13/12/2021

Quel visage pour l'agriculture de demain ?

Trois questions à Hervé Gaymard

Quel visage pour l'agriculture de demain ?
 Hervé Gaymard
Ancien ministre de l'Agriculture

En France, le secteur agricole est en pleine mutation. Pendant que les exploitations diminuent en nombre mais augmentent en taille, et se tournent vers les productions végétales, la démographie du secteur affiche un vieillissement prononcé. L’impératif de transition écologique laisse présager d’une accélération et d’une multiplication de ces transformations dans les années à venir. Comment envisager la Ferme France du futur ? Hervé Gaymard, ancien ministre de l’Agriculture et président du rapport En campagne pour l’agriculture de demain, nous offre sa grille de lecture.

Depuis plusieurs mois, le monde se trouve confronté à une hausse spectaculaire des prix des denrées alimentaires. En termes réels, les prix constatés sont aussi historiques, puisqu’ils dépassent aujourd’hui les pics connus en 2008 et 2011, époque à laquelle la crise alimentaire avait été facteur de troubles sociaux et politiques, notamment à l’occasion du "printemps arabe". Comment expliquer cette flambée des prix ?

L’indice FAO des prix agricoles tangente même le niveau historique de 1973 quand les États-Unis avaient décidé d’un embargo sur le soja ! La grande différence avec la précédente crise de 2008-2009 est que, pour l’instant, cette inflation ne concerne pas le riz qui nourrit une grande partie du monde, mais seulement les céréales à paille, les oléagineux, les produits laitiers. Les causes sont comme toujours multiples. Les manifestations du changement climatique, qui ont résulté en de mauvaises récoltes dans les grands pays agro-exportateurs de céréales et de protéagineux (Russie, Brésil, États-Unis, Canada). L’accroissement du prix de l’énergie. La perturbation de certains circuits logistiques due à la crise de la Covid-19. Côté demande, la Chine fait face à de gros besoins pour reconstituer son cheptel porcin.

Une fois ces constats posés, cette crise nous enjoint d’agir simultanément dans plusieurs directions :

  • Au moment où la sous-nutrition augmente à nouveau, avec 800 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, et ce surtout en milieu rural, il convient de soutenir le développement de l’agriculture familiale agricole africaine, en agissant sur tous les leviers (vulgarisation, intrants, circuits commerciaux), notamment via la mise en place de barrières à l’importation pour favoriser la production domestique. Il est désespérant de constater que l’Union européenne ne se saisit pas de ce sujet, sur lequel elle devrait nouer un partenariat ambitieux avec l’Union africaine ;
     
  • Il faut refuser le malthusianisme agricole. Etant donné qu’il faudra nourrir près de 10 milliards d’humains à l’horizon 2050, il apparaît nécessaire d'œuvrer à l’augmentation de la production agricole ;

L'agriculture représente aujourd’hui environ 19 % des émissions de gaz à effet de serre françaises et mondiales.

  • Cette augmentation doit se faire par des modes de production agro-écologiques, car l’agriculture représente aujourd’hui environ 19 % des émissions de gaz à effet de serre françaises et mondiales. C’est le sens de la proposition avancée par l’Institut Montaigne, dans son rapport intitulé En campagne pour l’agriculture de demain, de construire une nouvelle Politique Agricole et Alimentaire européenne, dotée d’un puissant fonds pour la transition agro-écologique ;
  • Enfin, la modification des règles du commerce mondial est indispensable. D’abord, l’Europe doit arrêter l’importation de produits agricoles dont le mode de production participe à l’accélération du changement climatique, et qui s’avérerait incompatible avec les règles imposées aux paysans européens. Il faut rendre effective l’interdiction des barrières à l’exportation, récemment mises en place par les États-Unis en 1973, l’Inde et le Vietnam en 2008-2009 ou encore la Russie en 2011-2012, celles-ci aggravant les pénuries.

Le 23 novembre dernier, le Parlement européen votait une nouvelle PAC. Avec un budget en augmentation, cette PAC a pour objectif d’assurer la transition du secteur agricole et alimentaire européen vers le respect des engagements affichés par le bloc en faveur d'une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre et de 50 % des pesticides d’ici à 2030. Quels changements majeurs sont engagés par cette nouvelle PAC - qui suscite de nombreuses critiques, notamment chez les élus écologistes ?

Dans les jeux de rôles, chacun est dans son rôle ! Y compris, bien sûr, les élus écologistes. En France, le secteur agricole est à l’origine de 19 % des émissions de gaz à effet de serre : c’est évidemment trop. Pour autant, la réalité du changement climatique impose de s’attaquer simultanément aux 81 % des émissions restantes, qui sont loin d’être résiduelles. Au même titre que les autres secteurs d’activité en France, le temps de la transition est parfois plus lent qu’espéré, mais on peut se féliciter des avancées majeures qui ont été faites ces dernières années. Pour aller plus loin et plus vite, il faudra une transition agro-écologique soutenue. C’est à ce titre que le rapport que j’ai présidé pour l’Institut Montaigne propose la création d’un Fonds National pour la Transition Agricole. J’ajoute que le départ à la retraite de 50 % des agriculteurs à l’horizon 2030 doit être considéré comme une formidable opportunité pour installer une nouvelle génération formée différemment. Il s’agit de transformer ces contraintes en opportunité : (re)faire de la France le premier pays agricole durable au monde. C’est un beau défi collectif à relever !

S’agissant de la nouvelle PAC, elle ne mérite ni excès d’honneur, ni excès d’indignité. Le ministre de l’Agriculture s’est bien battu sur le budget - car on partait de loin -, ainsi que sur l’éco-conditionnalité. Dans ce domaine, dans un marché unique comme celui de l’Union européenne, il y a deux écueils. Le premier est la distorsion de concurrence entre les pays-membres, car la renationalisation rampante qui est à l’œuvre depuis une dizaine d’années peut inciter certains pays à être moins regardants pour être plus concurrentiels. L’obtention des éco-régimes est, de ce point de vue, une bonne nouvelle. Néanmoins, il faudra être très vigilants sur la réalité de son application. Le second est le maximalisme de certaines orientations, comme celles qui figurent dans le "Pacte vert." Leur mise en œuvre conduirait, pour certaines, à réduire la production agricole européenne de plus de 10 %, à ruiner des filières et à désertifier des pans entiers de nos territoires !

À bien des égards, ces deux actualités sont étroitement liées. La nouvelle PAC parvient-elle à combiner le respect de l'environnement et la nécessité pour l’Union européenne de participer pleinement à l'atteinte de la sécurité alimentaire à l'échelle planétaire ?

L’Europe doit être innovatrice et modèle de ce nouveau monde qu’il nous faut bâtir, mais elle ne peut plus être naïve. C’est pourquoi elle doit promouvoir et soutenir un modèle agro-environnemental ambitieux, qui ne doit pas seulement concerner les modes de production, mais également la recherche, la formation, les circuits de distribution ou encore la promotion d’un modèle alimentaire équilibré qui devrait être la priorité en matière de santé publique.

L’Europe doit être innovatrice et modèle de ce nouveau monde qu’il nous faut bâtir, mais elle ne peut plus être naïve.

Mais elle ne doit pas accepter des autres ce qu’elle s’interdit, à juste titre, à elle-même. D’où l’impératif de mettre en œuvre des "clauses miroirs" dans les accords commerciaux. S’agissant de la sécurité alimentaire de la planète, elle peut y contribuer de deux façons au moins. D’abord en ne renonçant pas à sa vocation exportatrice – comme certains le souhaiteraient – car, si l’accélération du dérèglement climatique induira davantage d’imprévisibilité dans la régularité de la production et des redistributions géographiques dans l’espace européen, le continent demeurera une zone durable de production agricole dont le monde aura besoin.

Ensuite, en bâtissant avec nos partenaires africains une politique ambitieuse de développement agricole et alimentaire africain. C’est tellement évident qu’on ne l’a jamais fait ! Pendant ce temps, l’Union européenne continue imperturbablement ses politiques en "silos", menées par la politique de la Direction générale du commerce, de la Direction générale de l’agriculture et de la Direction Générale du développement ! J’ose espérer que la France s’inscrira dans cette ambition à l’occasion de sa présidence du conseil de l’Union européenne !

Copyright : DENIS CHARLET / AFP

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