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19/04/2023

Politique industrielle : Macron parviendra-t-il à convaincre ses partenaires européens ?

Politique industrielle : Macron parviendra-t-il à convaincre ses partenaires européens ?
 Georgina Wright
Auteur
Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident

En visite à la Haye le 12 avril dernier, Emmanuel Macron a présenté sa vision pour une nouvelle doctrine économique pour l’Union européenne. Dans cette analyse, Georgina Wright examine les menaces auxquelles cette politique entend répondre, depuis la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement aux risques de coercition économique de pays tiers. Néanmoins, le président français devra redoubler d’efforts pour gagner la confiance des autres dirigeants européens s’il veut que cette nouvelle doctrine porte ses fruits.

Selon le président Emmanuel Macron, l’Union européenne (UE) n’a plus de temps à perdre. Confronté à une concurrence économique sans précédent de la part des États-Unis et de la Chine, le bloc européen risque d’assister à la délocalisation de ses principales industries vers des pays où les prix de l’énergie sont plus bas et les aides d’État plus abondantes. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont mis en évidence les vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement de l'UE et la facilité de certains pays hostiles à les exploiter à des fins stratégiques. Autant de défis que les tensions géopolitiques croissantes entre les États-Unis et la Chine rendent plus pressants.

Le 12 avril 2023 à l’Institut Nexus de La Haye (Pays-Bas), le président de la République a esquissé les contours d’une nouvelle "doctrine économique européenne", favorisant le maintien de l’ouverture commerciale tout en munissant l’UE de nouveaux instruments pour lutter contre les pratiques de concurrence déloyale et protéger ses intérêts vitaux. Cette idée n’est pas nouvelle : elle s'appuie sur des propositions de la Commission européenne pour se doter d’une main d'œuvre plus qualifiée, créer plus d’emplois spécialisés et garantir l'approvisionnement en matières premières critiques. Le président français souhaite consolider le marché unique par un soutien industriel ciblé, des réformes financières et fiscales et plus d’innovation. Dans l’esprit d'Emmanuel Macron, il n’y a pas de contradiction. L'Union européenne peut adopter une approche équilibrée qui combine la promotion du libre-échange tout en restant consciente des risques de coercition économique. De même, elle peut défendre ses intérêts économiques vitaux sans tomber dans le piège du protectionnisme. Cette doctrine devrait orienter les décisions de l'Union européenne en ce qui concerne sa politique commerciale, les accords de libre-échange et ses choix d'investissement.

Cependant, l'application de cette doctrine fait face à plusieurs obstacles. Tout d'abord, les États membres n'ont pas encore trouvé de consensus sur la politique d’aides d’Etat de l’Union européenne. Certains s’opposent à toute réforme des règles budgétaires de l'UE, craignant qu’elle ne conduise à des niveaux d'emprunts et de dépenses excessifs. La France doit désormais convaincre les États membres et les députés européens d’adhérer à sa nouvelle doctrine économique, un exercice rendu d’autant plus délicat suite aux déclarations controversées du président français, qui ont suscité la méfiance chez certains.

Sursaut européen

Pour le président français, il n’y a pas de doute : le marché européen est menacé. Si l'activité économique se remet progressivement du choc de la pandémie de Covid-19, les chaînes d'approvisionnement restent fortement perturbées. En raison de la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie ont considérablement augmenté. Pour répondre à ces défis, l’UE a fait le choix de maintenir l’assouplissement temporaire des règles d'aides d’État mis en place depuis le début de la pandémie pour permettre aux gouvernements européens de soutenir plus facilement l'industrie et les ménages. En 2022, la Commission a autorisé l'octroi de 672 milliards d'euros d'aides d'État, dont 53 % ont été alloués à l'Allemagne (représentant plus de 9 % de son PIB) et 24 % à la France, suscitant des risques de distorsion sur le marché unique.

L'industrie européenne est également confrontée à diverses menaces externes, notamment provenant de la Chine et des États-Unis, qui n’hésitent plus à ignorer les règles commerciales de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en accordant des avantages fiscaux aux entreprises ou aux ménages en contrepartie d’une obligation de production locale. L’ordre commercial mondial est non seulement fragmenté, mais les régimes de subventions américains et chinois sont également plus avantageux que ceux de l’UE, car ils peuvent être utilisés pour la recherche et l'innovation, mais aussi pour la construction et la production. En conséquence, certaines entreprises européennes ont déjà délocalisé leurs activités aux États-Unis pour bénéficier du plan massif d’investissements prévu par la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act) – une tendance qui pourrait être suivie par d'autres.

Plus qu’une menace pour la compétitivité européenne, le statu quo pourrait mettre en péril la transition numérique et climatique de l’UE. Selon les estimations de la Commission européenne, 50 % des réductions d'émissions de CO2 d’ici 2030 reposerait sur des technologies qui n'existent pas ou qui ne sont pas encore largement répandues. L'UE espère encore pouvoir innover dans certaines technologies de pointe afin d’accroître sa production, mais cela ne sera possible que si le marché unique reste un lieu d'investissement attractif. Actuellement, la Chine domine le secteur des technologies propres.

Pour le président français, le marché unique doit rester ouvert aux entreprises, mais aussi innover, résister aux ingérences extérieures et assurer une meilleure cohérence entre sa politique commerciale et sa politique d’aide au développement. Par exemple, l’UE pourrait soutenir davantage les pays africains dans leur transition vers une économie décarbonée avant que d'autres pays, comme la Chine, ne prennent les devants. L'Union doit veiller à intégrer, de façon systématique, dans chaque accord commercial des critères de durabilité et d’équité afin d’assurer que les producteurs européens soient soumis aux mêmes règles de production que les entreprises produisant à l'extérieur de l'Union.

Choix difficiles en perspective

Le nouveau plan industriel du pacte vert proposé par la Commission européenne vise à relever ces défis. Des travaux ont été lancés pour garantir et diversifier l’approvisionnement en matériaux critiques. Ces dernières années, l'UE a mis en place une série d’instruments défensifs pour lutter contre la concurrence déloyale et le recours à la coercition économique. Parmi ces instruments, on peut citer le nouveau règlement relatif au contrôle des exportations ainsi que le filtrage des investissements étrangers. L’enjeu sera désormais d’assurer la conformité des entreprises européennes à ces nouvelles mesures.

Lors de son discours, le président Macron a plaidé en faveur d’une augmentation des subventions nationales et “fédérales", sous-entendues européennes. En effet, certains États membres de l’UE, comme l'Allemagne et la France, souhaitent maintenir l’assouplissement temporaire des règles d'aides d’État mis en place depuis le début de la pandémie. Ceci leur permettrait de soutenir leurs industries, au-delà des limites autorisées par l’UE, sans représailles de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne.  Mais une telle réforme pourrait s'avérer compliquée à mettre en œuvre. Plus d’assouplissement pourrait entraîner une course aux subventions entre les États membres, créant ainsi un déséquilibre au sein du marché unique. C’est une préoccupation partagée notamment par l'Irlande et la Suède. D’autres pays, tels que l’Allemagne et les Pays-Bas, s’opposent à une augmentation des subventions européennes si cela nécessite un nouvel emprunt commun.

La France pousse aussi l’idée du "Made in Europe", qui donnerait la priorité aux industries implantées sur le sol européen en ce qui concerne les aides d’État. Les procédures d’appels d’offres et de marchés publics européens devraient également privilégier les entreprises européennes dans des secteurs clés tels que les technologies propres, la défense, la santé et éventuellement l'agriculture - tout en permettant aux entreprises étrangères d’accéder au marché unique. Le président Macron appelle aussi à la finalisation de la réforme du marché de l'électricité et de l’Union bancaire et de l’Union des marchés de capitaux, pour garantir la stabilité des prix de l'énergie et davantage de financements pour des projets européens.

"Nous ne pouvons pas être le dernier marché sans politique industrielle", a déclaré Emmanuel Macron lors de sa visite aux Pays-Bas. Obtenir l'accord des 27 États membres et du Parlement européen peut se révéler laborieux, comme en témoignent les négociations de l'Union des marchés des capitaux qui durent depuis 15 ans. C’est l’une des raisons pour lesquelles la France investit autant dans les relations bilatérales avec les institutions et les États membres Si la France parvient à se mettre d’accord avec un pays comme les Pays-Bas avec lequel il est souvent en opposition sur le plan industriel et commercial, il devrait être possible de trouver un compromis au sein de l'UE.

Obtenir la confiance de l'UE

Une nouvelle phase s’ouvre aujourd’hui pour la politique industrielle de l'UE. Les nouvelles règles européennes sur les semi-conducteurs et le nouveau "Net Zero Industry Act" témoignent de la place centrale qu’occupe progressivement la politique industrielle de l’UE dans le débat européen – une avancée positive pour le Président français qui plaide en faveur d’une souveraineté européenne.

Néanmoins, la route est encore longue. Emmanuel Macron devra redoubler d’efforts pour convaincre les autres dirigeants européens de soutenir cette nouvelle doctrine économique européenne et gagner leur confiance, surtout après ses remarques controversées sur la question de Taïwan. Cela nécessite un changement d'approche impliquant beaucoup plus de consultation avec les partenaires européens sur les questions d'autonomie stratégique et de sécurité européenne. Faire cavalier seul ne nuirait pas seulement à l'agenda européen d’Emmanuel Macron, mais risquerait d’affaiblir l'Europe tout entière.

L’auteur remercie Camille Le Mitouard, chargée de projets Allemagne et Russie à l’Institut Montaigne, pour sa relecture précieuse.

 

Copyright Image : Ludovic MARIN / AFP

Dans le cadre d'une visite d'État aux Pays-Bas, le président français Emmanuel Macron prononce un discours à l'Institut Nexus dans le théâtre Amare à La Haye, le 11 avril 2023.

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