AccueilExpressions par MontaigneNouvelle réforme de l'assurance-chômage : conditionner pour mieux gérer ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.29/09/2022Nouvelle réforme de l'assurance-chômage : conditionner pour mieux gérer ? Cohésion sociale Emploi Vie démocratiqueImprimerPARTAGERAuteur Bertrand Martinot Expert Associé - Apprentissage, Emploi, Formation Professionnelle Le 7 septembre 2022, le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a été présenté en Conseil des ministres. Si ce projet de loi vise, dans un premier temps, à prolonger les règles actuelles de l'assurance-chômage, ce nouveau texte prévoit également l'introduction d’une réforme significative : la possibilité de conditionner l'indemnisation au regard de la situation économique. Dans quel contexte cette réforme intervient-elle ? Le conditionnement du versement des allocations au chômage est-il pertinent et applicable ? Pour y répondre, nous avons interrogé Bertrand Martinot, spécialiste des questions d'emploi et de formation senior fellow à l'Institut Montaigne.Avec un taux de chômage de 7,4 % au 2ème trimestre 2022, la France semble renouer avec des signaux positifs dans sa lutte contre le chômage. Qu'en est-il réellement ? La France fait-elle toujours figure de mauvais élève au regard de la situation de nos voisins européens ?La France enregistre en effet de bons résultats en termes de chômage depuis 2017. Il a diminué d'un peu plus de 2 points sur les 5 dernières années, passant de 9,5 % à 7,4 %. C’est la plus forte baisse sur 5 ans depuis le tournant des années 2000 (baisse de 3 points de 1997 à 2022). En elle-même, cette baisse du chômage n'est pas spectaculaire, mais elle comporte deux points notables :Elle a été atteinte dans un contexte de croissance économique très faible (1 % de croissance en moyenne de 2017 à 2021), contrairement aux épisodes de baisses précédentes.Elle s'est accompagnée d'une hausse significative de la population active - environ 600 000 actifs supplémentaires entre 2017 et 2021 - chez les jeunes (effet mécanique de la hausse du nombre d'apprentis qui a fait passer plusieurs centaines de milliers d'étudiants du statut d'inactif au statut de salarié), mais aussi sur les tranches d'âge de seniors. C'est aussi ce qui explique que la baisse du chômage a été bien moins forte que la progression de l'emploi (près d'1,2 million de créations nettes d'emplois salariés et non - salariés entre 2017 et 2021, contre une baisse de seulement 600 000 du nombre de chômeurs au sens de l'INSEE sur la même période).En comparaison avec les pays voisins, c'est en quelque sorte le verre à moitié plein ou à moitié vide. Le verre à moitié plein, c'est que cette baisse du chômage n'a pas été obtenue, comme dans d'autres pays, au prix d’une diminution de la population active. Le verre à moitié vide, c’est que le niveau du chômage en France reste parmi les plus élevés des pays de la zone euro, dont la moyenne est de 6,9 % (parmi les grands pays, seuls l'Italie - 8,3 % - et l'Espagne - 13,5 % - ont des taux de chômage supérieurs). Un nouveau projet de réforme de l'assurance-chômage intervient seulement deux ans après la précédente qui est pleinement entrée en vigueur le 1er octobre 2021, en raison de la crise sanitaire. A-t-on suffisamment de recul pour mesurer pleinement les effets de la réforme précédente ? Quelle pertinence d'une nouvelle réforme ?D'une manière générale, disposer d'un système d'indemnisation du chômage efficace est essentiel. Aucun pays n'a réussi à réduire le chômage de masse en faisant l'impasse sur ce sujet. Une étude réalisée en 2012 par Le Barbanchon a ainsi montré, sur données françaises, que, pour une population aux caractéristiques données, le passage de 7 à 15 mois de la durée maximale d'indemnisation (effet de la réforme Aubry de 2000) avait accru la durée au chômage de 2 mois et demi en moyenne sans diminuer la "qualité" du travail retrouvé (ie. sans impact négatif sur le salaire de l'emploi retrouvé). Le fait que cette étude ait concerné les années 2000-2002, donc une période de grand dynamisme du marché du travail comme c’est le cas aujourd’hui, la rend d’autant plus riche d’enseignements. D'une manière générale, disposer d'un système d'indemnisation du chômage efficace est essentiel.En France, une importante réforme a été faite en 2019 (et mise en œuvre en octobre 2021 après la crise sanitaire), qui a consisté à durcir les conditions d'indemnisation (conditions d'éligibilité et niveau d'indemnisation) pour les chômeurs alternant sur une longue période des épisodes de reprise d'emploi et des épisodes de chômage. Dans un contexte de très forte reprise de l'emploi, avec notamment une forte hausse des embauches en CDI, et de tensions extrêmes sur les recrutements, cette réforme était nécessaire. Après cette réforme, les conditions d'éligibilité à l'assurance chômage restent encore parmi les plus favorables de l'OCDE, mais un certain nombre d’aberrations (voire d'inéquités) ont été corrigées. Cela étant, nous n’avons pas encore le recul suffisant pour évaluer l'impact de cette réforme sur le taux de reprise d'emploi. L'une des grandes nouveautés de ce projet de loi réside dans l'introduction d'un conditionnement du versement des allocations à la conjoncture économique. Ce système semble s'inspirer du modèle canadien qui prévoit notamment de moduler le versement des aides selon le niveau de chômage local. Quelles leçons tirer de ce système outre-Atlantique ?On peut difficilement être contre l'idée que certains paramètres de l'indemnisation du chômage (conditions d'éligibilité et durée maximale d’indemnisation) soient différents lorsque l'économie tourne au plein emploi (avec des tensions importantes sur les recrutements) et lorsqu'elle est en récession. D'ailleurs, en pratique tous les pays assouplissent les conditions d’accès en période de récession, y compris la France, comme cela a été encore le cas lors de la crise sanitaire. Élaborer une règle "automatique" d'ajustement du régime d’assurance chômage à la conjoncture est souhaitable, mais pas évident en pratique. Une telle règle est basée sur des données statistiques (chômage, emploi, tensions sur le marché du travail…) sont nécessairement rétrospectifs. Serait-il pertinent, par exemple, de décider en octobre 2022 de durcir les conditions d’indemnisation début 2023 à un moment où la France entrerait en récession au motif que les derniers indicateurs disponibles, datant du premier semestre 2022, témoignaient d’un très fort dynamisme du marché du travail ? Attention donc aux modifications décidées à contre-temps ! L'exemple parfait de ce qu'il ne faut pas faire est de décider une diminution des niveaux d'indemnisation juste avant une récession (cf. l'instauration de l'allocation unique dégressive en 1992 par Martine Aubry, alors ministre du travail). Ou au contraire, de rendre le système beaucoup plus généreux quand l'économie connaît un boom économique sans précédent (cf. le retour à l'allocation non-dégressive et l'allongement des durées d'indemnisation en 2000 de nouveau par Martine Aubry). Élaborer une règle "automatique" d'ajustement du régime d'assurance chômage à la conjoncture est souhaitable, mais pas évident en pratique.Si l'on devait aller dans cette voie, il faudrait à tout le moins tenir compte de la conjoncture, par exemple des intentions d'embauches des entreprises, ce qui poserait une autre question, celle de la fiabilité des prévisions… Quant au système canadien, nous n'en avons pas d'évaluation précise en termes d'impact sur le chômage. En outre, il est dommage que le débat se focalise sur la seule question de l'assurance chômage. Il faut rappeler à cet égard que plus de la moitié des 2 millions d'allocataires du RSA ne sont pas véritablement dans une démarche d'insertion ou de retour à l'emploi, faute d'accompagnement suffisant par les services sociaux ou les services publics de l'emploi en charge et faute d'avoir conclu avec les services sociaux un contrat d'engagement réciproque comme l'exige la loi. Leur taux de retour à l'emploi reste faible. Renforcer les moyens sur ce public (comptabilisé en partie comme chômeur, en partie comme inactif selon les cas) est absolument essentiel pour continuer de réduire encore significativement le chômage. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a indiqué récemment qu'une large concertation serait menée dans les tous prochains jours, alors même qu'une fronde syndicale semble d'ores et déjà active, rejetant le contenu de ce projet de réforme. Quels seront, selon vous, les principaux points de blocage ou les obstacles auxquels sera confronté l'exécutif ?Une large concertation sur le sujet est naturelle, mais l'idée que toutes les parties tombent d'accord et aboutissent à une sorte de consensus est une illusion. Le contexte social est tendu, notamment en raison de la question du pouvoir d'achat qui amène les syndicats à considérer que toute remise en cause de droits sociaux serait inappropriée. Toutes les organisations syndicales seront donc opposées à un durcissement des conditions d'indemnisation. Il est vrai qu’elles n'ont jamais pu mobiliser efficacement contre un durcissement de l'assurance chômage. Le fait que le régime d'assurance chômage soit considéré comme l'une des causes de la persistance du chômage par une majorité de Français (cf. sondage Montaigne paru au mois d’août pour un exemple récent) rend leur voix assez inaudible sur le sujet. Copyright : Stephane De Sakutin / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 02/05/2008 Contre le chômage et pour l’emploi Mathilde Tellier 07/09/2022 Pour le renouveau de la politique contractuelle entre le ministère et les é... Christine Musselin