AccueilExpressions par MontaigneNouveau budget italien : vers une crise de la zone euro ? - Trois questions à Eric ChaneyL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.08/10/2018Nouveau budget italien : vers une crise de la zone euro ? - Trois questions à Eric Chaney Régulation Union Européenne EuropeImprimerPARTAGERAuteur Institut Montaigne Les grands entretiensJeudi 27 septembre, la coalition au pouvoir en Italie – composée du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue – a présenté un projet de budget 2019 assorti d’un déficit de 2,4 % du produit intérieur brut (PIB). Cet objectif acte un changement de politique budgétaire par rapport au précédent gouvernement, soulevant de nombreuses craintes parmi les Etats membres, au sein des institutions européennes et dans les marchés financiers. Eric Chaney, conseiller économique de l’Institut Montaigne, nous livre son analyse. Quelle analyse faites-vous de ce premier acte fondateur de la politique budgétaire du nouveau gouvernement italien ? J’y vois une double signification. D’une part, le gouvernement de Giuseppe Conte, sous forte pression de la part des deux partis de la coalition, veut montrer à l’électorat qu’il a l’intention d’honorer les promesses de campagne, à savoir l’instauration d’un revenu universel minimum, des dépenses d’investissement, des baisses d’impôts et une annulation partielle de la réforme des retraites. Une mise en œuvre à la lettre de ce programme, dont le coût est estimé à 100 milliards d’euros (soit 5,6 % du PIB italien), aurait fait exploser le déficit et, en réalité, n’aurait pas pu être financée sur les marchés. D’où la deuxième signification de cet objectif de 2,4 % : montrer aux partenaires de l’Italie qu’on est somme toute raisonnable à Rome, surtout lorsque le budget français prévoit un déficit de 2,8 % du PIB… Bien sûr, la comparaison ne vaut pas, puisque, pour réduire sa dette (131,8 % du PIB en 2017), l’Italie doit avoir un déficit plus faible que celui de la France (dont la dette n’a atteint "que" 97 % du PIB en 2017), mais l’argument politique n’en porte pas moins, surtout face à un commissaire européen français qui ne s’était pas fait remarquer par sa rigueur budgétaire lorsqu’il était à Bercy. Comment la Commission va-t-elle réagir ? Quelles peuvent être les conséquences politiques de ce budget sur les relations entre l'Italie, l'Allemagne et les pays du Nord de l'Europe ?La Commission est prise entre deux feux. D’un côté, il lui est légalement impossible de ne pas réagir à la provocation italienne, puisque le plan de réduction de la dette italienne établi par le précédent gouvernement prévoyait un déficit de 0,8 % du PIB en 2019. Cela lui est aussi politiquement impossible, car les pays créditeurs de la zone euro, Allemagne en tête, ne le tolèreraient pas. D’un autre côté, l’importance de l’Italie dans la zone euro et plus encore de sa dette publique, la plus élevée dans l’absolu, poussera la Commission à chercher un compromis, qui prendrait la forme d’un objectif de déficit moins élevé, sans doute de l’ordre de 2 %. Un troisième acteur poussera au compromis : les marchés financiers. Le coût de la dette italienne est en train de grimper rapidement, l’écart de rendement obligataire avec l’Allemagne ayant désormais atteint 3 points pour les durations longues (10 ans). Je fais donc le pari que la coalition italienne pliera et cherchera un compromis, malgré les rodomontades de Matteo Salvini. Mais même dans ce cas, le mal sera fait, et la confiance à la fois des marchés et des partenaires de l’Italie, déjà fragile, restera entamée. Notons cependant que la pression des marchés ne s’exerce que de façon diffuse et pas à court terme : grâce à l’excellente gestion du Trésor italien, la maturité moyenne de la dette publique détenue par les non-résidents est de 11,8 années, ce qui laisse le temps de voir venir.A long terme, la position de l’Italie est-elle soutenable ? Craignez-vous que certaines franges de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles souhaitent à terme une sortie de l'Italie de la zone euro ?Parmi les pays dont les administrations sont lourdement endettées, club qui s’est singulièrement étoffé depuis la crise de 2008 (France, Espagne, Etats-Unis ont tous des dettes publiques proches de 100 % du PIB), l’Italie a une position particulière. La dette des ménages et des entreprises y est si faible que l’endettement total du pays est relativement modéré, à 250 % du PIB contre 290 % pour la France par exemple. A long terme, la soutenabilité de la dette italienne est donc avant tout une affaire interne au pays. Mais c’est là que le bât blesse : plutôt que de chercher à se désendetter en vendant des actifs, ce qui aboutirait in fine à un transfert de dette du public vers le privé, la coalition a choisi d’externaliser ses difficultés financières en appelant à une annulation des titres de dette détenus par la Banque centrale européenne, ce qui est évidemment inacceptable pour les partenaires de l’Italie. Cette voie est sans issue et, si le gouvernement italien s'obstinait à la suivre, elle nous conduirait à une crise de la zone euro bien plus grave que celle de 2011-2012. Faut-il en conclure qu’une partie de la coalition œuvre à la sortie de la zone euro ? C’est possible à la marge, et je note à ce sujet que Steve Bannon, l’ancien stratège de Donald Trump, sillonne l’Europe pour attiser les mouvements nationalistes anti-union. Mais je ne crois pas que ce soit le but des dirigeants de la Lega ou du Mouvement 5 étoiles, qui souhaitent avant tout rester au pouvoir. Or, ils savent que, si la population italienne est devenue hostile à l’Union européenne en général et à l’Allemagne en particulier, elle reste paradoxalement très attachée à l’euro, pour une raison bien simple : l’euro garantit son pouvoir d’achat ! Crédit photo : TIZIANA FABI / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 24/09/2018 Et si le rêve européen s'arrêtait à Rome ? Dominique Moïsi