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17/01/2024

Moyen-Orient : l’avenir est-il possible ?

Moyen-Orient : l’avenir est-il possible ?
 Jean-Loup Samaan
Auteur
Expert Associé - Moyen-Orient

Équilibre régional, jeu des grandes puissances, stratégies opportunistes des acteurs non étatiques et état des opinions publiques : de l’Iran à la Chine en passant par les État-Unis et les Émirats, Jean-Loup Samaan propose un panorama de la situation politique et militaire au Moyen-Orient, où les menaces que fait peser une situation hautement instable vont paradoxalement de pair avec le risque d’un enlisement dans la durée. 

Après plus de 100 jours de guerre, comment la stratégie militaire d'Israël a-t-elle évolué, et quelles perspectives d’évolution du conflit pouvez-vous dresser aujourd’hui ? 

La dynamique conflictuelle actuelle s’installe dans la durée même si, depuis la phase initiale de la riposte, les frappes aériennes ont perdu en intensité et que l’engagement au sol a décru. Israël fait face à des contraintes internes (nécessité de libérer les réservistes) et extérieures (pressions internationales et notamment des États-Unis, qui réclament que la population du nord de Gaza puisse revenir dans son territoire d’origine). Néanmoins, tant que l’objectif d’éliminer toutes les infrastructures du Hamas (notamment le réseau de tunnels au nord) affiché par Benjamin Netanyahou n’a pas été rempli, les opérations continueront. 

Après cent jours de conflit, les capacités du Hamas sont considérablement dégradées mais l’objectif de destruction totale n’a toujours pas été rempli et éliminer toute sa puissance de feu semble inatteignable. De plus, sur un plan symbolique, Yahya Sinwar (le chef du Hamas à Gaza) ou Mohammed Al Deif - les deux architectes de l’attaque du 7 octobre -, n’ont pas été éliminés, contrairement à la promesse qui avait été faite par le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Nous ne sommes certes pas dans une situation comparable à 2014 ou 2021, où l’affaiblissement du Hamas après la guerre restait relatif, mais nous ne sommes pas non plus dans cet objectif "maximaliste" pourtant revendiqué haut et fort par Benjamin Netanyahou. 

L’objectif de destruction totale [du Hamas] n’a toujours pas été rempli et éliminer toute sa puissance de feu semble inatteignable.

À plus long terme, le gouvernement israëlien n’a toujours pas de stratégie de l’après conflit à proposer, faute de consensus interne. Benjamin Netanyahou maintient à dessein cette ambiguïté qui lui permet de maximiser sa marge de négociation avec sa coalition et notamment avec ses partenaires d’extrême-droite. Comme le dirigeant nous y a habitués, il privilégie sa survie politique aux questions stratégiques de fond. 

Ajoutons à cela que la situation humanitaire à Gaza, avec plus de 24 000 civils Palestiniens tués selon les autorités palestiniennes et un contexte de famine qui pourrait rapidement aggraver le bilan humain, est aujourd’hui intenable, provoquant des pressions croissantes de la communauté internationale. 

Que reste-t-il de la politique de dissuasion ? 

Depuis 1948, Israël a toujours fait reposer la sécurité de son territoire et la relation avec ses voisins sur sa politique de dissuasion. Aujourd’hui, la fiabilité de cette politique est remise en cause, puisque l’assaut mené par le Hamas au sud semble en avoir démontré l'inefficacité, du moins avec un acteur non-étatique comme le Hamas. Par extension, cela questionne aussi la viabilité de l'équilibre avec le Hezbollah au nord, qui fonctionnait peu ou prou depuis le conflit israélo-libanais de 2006. L'État-major était déjà divisé sur la capacité de la politique de dissuasion à influencer des acteurs non-étatiques comme le Hezbollah et soulignait le risque de s’en remettre au pari de la dissuasion avec ce dernier. Si l’assurance d’une réponse disproportionnée n’a pas inhibé le passage à l’action des groupes terroristes, ce qui n’a pas fonctionné avec le Hamas risque de ne pas fonctionner, de même, avec le Hezbollah. En ce sens, l’attaque du 7 octobre remet en cause de nombreux présupposés derrière la posture stratégique d’Israël. 

L’escalade et l’intensification des frappes houthis et de la riposte des États-Unis font-elles risquer une extension du conflit au Yémen ? 

Même si les Houthis se revendiquent du soutien à la Palestine, la configuration du conflit dans la Mer Rouge est très différente de celle qui oppose Israël et le Hezbollah. Les Houthis mènent une opération opportuniste, qui laisse présumer qu’un cessez-le-feu à Gaza ne conduirait pas à un arrêt des hostilités de leur part. Ils tirent parti de cette opération pour réaffirmer leur avantage dans le rapport de force au Yémen. 

L'Arabie Saoudite, qui cherche depuis deux ans à s’extirper de la façon la plus honorable possible de la guerre commencée il y a neuf ans, craint que les frappes américaines ne fassent qu’exacerber le conflit au Yémen tout en laissant Riyadh en charge de la résolution de celui-ci. À plus long terme, les tensions en mer Rouge soulignent que la stabilité qui avait prévalu depuis trois ans dans le Golfe Persique était fragile. 

Les Houthis mènent une opération opportuniste, qui laisse présumer qu’un cessez-le-feu à Gaza ne conduirait pas à un arrêt des hostilités de leur part.

Qu’en est-il des politiques arabes de normalisation des relations avec Israël, menées sous l’égide des États-Unis ? 

La normalisation était un des éléments centraux de la politique menée par Washington, que ce soit sous la présidence Trump ou Biden. La guerre en Israël n’a pas conduit à son abandon officiel par l’Arabie Saoudite mais il est certain que les discussions ne pourront se poursuivre de la même façon. Dans le cas des pays ayant déjà normalisé leurs rapports avec Israël, comme les Émirats arabes unis, on n’attend aucune remise en cause de la politique suivie, malgré l'intense émotion de l’opinion publique, notamment sur les réseaux sociaux : les gouvernants se sont contentés d’une dénonciation diplomatique très ferme. Il serait néanmoins étonnant que de nouvelles normalisations soient concrétisées à moyen terme, sans des garanties concrètes de progrès sur le dossier palestinien. 

Chine, États-Unis : quel est le jeu des grandes puissances ? 

Avant l’opération d’octobre, la Chine, misant sur le retrait des États-Unis dans leur sphère domestique, caressait l’idée de se présenter comme le nouvel acteur incontournable des relations internationales (notamment après l’accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran signé sous le parrainage de Pékin le 6 avril 2023). La stratégie de "doux commerce" de Xi Jinping consistait à parier sur l’économie pour régler les problématiques les plus insolubles au Moyen-Orient et gagner un bénéfice réputationnel. Un tel narratif a montré toutes ses limites dans la crise actuelle, où la Chine a du mal à se positionner au-delà de quelques déclarations de faible envergure pour rappeler son soutien à la solution à deux États et la nécessité d’un État palestinien. C’est non seulement la capacité mais même l’ambition de Pékin qui est remise en cause et il apparaît clairement que Washington est la seule puissance militaire et diplomatique qui compte au Moyen-Orient, ce dont témoignent la fréquence des visites d'Antony Blinken dans la région, les frappes contre les Houthis ou le déploiement de deux porte-avions en Méditerranée. Les Émirats l’ont d’ailleurs indirectement reconnu en mettant fin à des accords de coopération signés avec la Chine autour de l’IA. 

Est-ce à dire qu’aucune solution n’est possible ? 

Le risque d’installation dans la durée du conflit est bien réel et il convient, en tant qu’Européens, instruits par l’embourbement en Afghanistan par exemple, de faire preuve d’humilité. La solution militaire ne paraît pas possible sans clarification des objectifs politiques.

Il convient, en tant qu’Européens, instruits par l’embourbement en Afghanistan par exemple, de faire preuve d’humilité.

Un nouveau gouvernement en Israël, même construit autour de figures plus modérées telles que Benny Gantz, ne conduirait sans doute pas à un changement d’approche : la population israélienne est profondément traumatisée par l’assaut terroriste du 7 octobre, comme elle ne l’avait pas été même lors de la guerre du Kippour de 1973, et elle attend des garanties fermes de sécurité, notamment sur le flanc sud : les combats se poursuivront, même si l’intensité en est réduite. À cet égard, il est peu probable que les accusations de génocide portées devant la CIJ par Pretoria le 11 janvier ne changent l’opinion publique israélienne qui souhaite aujourd’hui largement la destruction du Hamas. 

Quel va être le sort du Hamas ? Le vide partiel que le mouvement va laisser risque-t-il de laisser la place à d’autres acteurs ? 

Même dans l’hypothèse d’un affaiblissement durable du Hamas, il reste peu probable que le vide soit comblé par d’autres acteurs comme le Jihad islamique palestinien : l’ancrage historique et idéologique du Hamas est sans équivalent à Gaza. Des sondages en Cisjordanie montrent que la popularité du Hamas s’est accrue depuis l'attaque du 7 octobre, même si les conclusions sont plus mitigées à Gaza, entre ceux qui approuvent la position de l’organisation terroriste et ceux qui considèrent qu’elle est responsable du désastre en cours. Beaucoup ne jugent pas que la guerre provient, ex nihilo, de l’assaut du 7/10 et légitiment par conséquent l’action du Hamas comme la réponse à la colonisation subie de long terme. 

Si la popularité du Hamas semble donc devoir se renforcer, sa capacité opérationnelle est entamée : on peut donc s'attendre à un scénario confus où le Hamas se métastaserait en de petites entités plus ou moins autonomes en attendant que l’encadrement militaire ne se reforme, ce qui n'arrivera pas de sitôt. La force mobilisatrice de l’idéologie, elle, est toujours bien présente, voire renforcée, et la capacité de nuisance, même à moindre échelle (avec les roquettes visant le sud d’Israël) se reconstituera rapidement.

Quel rôle joue l’Iran via le Hezbollah ? 

Les relations de l’Iran et du Hezbollah sont historiques et remontent quasiment au début du Révolution islamique iranienne (qui précède de quatre ans la création du Hezbollah). Cette proximité idéologique et cette dépendance matérielle n’empêchent pas le Hezbollah d’avoir son propre agenda libanais et en aucune manière le mouvement islamiste chiite ne consentira à se sacrifier sur l’autel de la Palestine. Malgré les discours de soutien à la Palestine, il redoute au contraire une escalade. Celle-ci, même non voulue, pourrait néanmoins advenir par accident, comme lors de la guerre de 2006. 

Les Iraniens entretiennent également une relation opportuniste avec les Houthis qu’ils approvisionnent en armes (missiles, drones) depuis 2015 afin d’affaiblir, à moindres coûts, l’Arabie Saoudite. En revanche, les relations de Téhéran avec le Hamas sont instables : le fondateur du Hamas, Ahmed Yassine, mort en 2004, était opposé à toute coopération avec les Iraniens mais cette ligne a changé, notamment depuis la réconciliation du Hamas avec la Syrie. Yahya Sinwar s’est engagé dans la voie d’une collaboration avec l’Iran, qui n’est cependant pas assise sur des positions idéologiques communes mais plutôt stratégiques. Elle n’est donc pas gravée dans le marbre. 

Le Hezbollah [a] son propre agenda libanais et en aucune manière le mouvement islamiste chiite ne consentira à se sacrifier sur l’autel de la Palestine.

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright image : AFP

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