AccueilExpressions par MontaigneMoyen-Orient : la "troisième voie" chinoiseL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.20/03/2023Moyen-Orient : la "troisième voie" chinoise Asie Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique Orchestrée à Pékin, l’annonce de la restauration des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite est une véritable révolution. En quoi cette réconciliation est-elle déterminante pour la position de la Chine au Moyen-Orient ? Pour notre conseiller spécial, Dominique Moïsi, il s'agit là d'une nouvelle affirmation de la Chine comme acteur géopolitique global. Le renversement d’alliances est "un classique" de l’histoire diplomatique. En 1756, la France de Louis XV "remplaçait" la Prusse de Frédéric II par l’Autriche de Marie Thérèse. Une révolution diplomatique qui conduisit à "La Guerre de Sept Ans".Au lendemain de l’annonce de la restauration des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, orchestrée avec maestria depuis Pékin par la diplomatie chinoise, Ryad se garde bien de parler de renversement d’alliance. L’Arabie saoudite met l’accent sur la force de ses liens avec Washington : "le partenaire le plus important du Royaume", pour reprendre l’expression utilisée, lors de son récent passage à Paris, par l’ancien chef des services de renseignement saoudien, le Prince Turki. Mais personne n’est dupe.L’accord signé à Pékin est une "révolution". La photo montrant le ministre des affaires étrangères chinois tenant par la main les négociateurs saoudien et iranien entrera dans les livres d’Histoire. "Parce que c’était lui, parce que c’était moi" disait Montaigne, pour expliquer son amitié avec La Boétie. On pourrait reprendre sa formule pour expliquer l’importance de l’accord signé à Pékin.Rapprocher Ryad et Téhéran est en soi un petit exploit. Et la personnalité du médiateur est au moins aussi importante que celle des parties à la négociation. Dans l’imaginaire diplomatique mondial, l’Amérique doit désormais partager le premier rang avec la Chine. Sur un plan symbolique, l’accord signé à Pékin est presque l’équivalent pour la Chine de ce que fût pour les États-Unis en 1905 le Traité de San Francisco qui mit fin à la guerre russo-japonaise. Il ne s’agit certes pas dans le cas chinois d’un point de départ mais d’une confirmation éclatante. Elle est d’autant plus significative qu’elle concerne le Moyen-Orient, une zone stratégique clé que Washington avait eu tendance à considérer comme sa chasse gardée. Et les deux signataires de l’accord sont non seulement parmi les plus riches producteurs en hydrocarbures au monde. Ils sont aussi perçus depuis des années comme des ennemis jurés.Il ne s’agit pas dans le cas chinois d’un point de départ mais d’une confirmation éclatante.Pour l’Amérique, l’indépendance, la liberté de manœuvre manifestée par Ryad, est plus qu’un simple avertissement, c’est presque un camouflet. Washington paye moins le prix de ses aventures militaires malheureuses au Moyen-Orient que de ses récentes « prises de distances » courroucées avec Ryad sur la question des droits de l’homme. « Vous n’aimez pas ce que je suis, j’ai des alternatives vous savez » semble proclamer aujourd’hui le Royaume Saoudien.Au temps de la guerre froide - et dans les décennies qui suivirent - on disait volontiers à Washington, que pour faire la paix au Moyen-Orient, il n’existait pas d’alternative à l’Amérique. Si on avait par contre choisi le parti de la guerre, on pouvait faire appel à la Russie. Il existe désormais une "Troisième voie", la voie chinoise. Il serait certes très prématuré de parler de réconciliation entre Ryad et Téhéran. Il ne s’agit que de l’annonce de la reprise de relations diplomatiques, qui ne peuvent mener, au mieux, qu’à une paix froide et sans doute même, fragile.Mais si l’accord signé à Pékin constitue un revers symbolique pour Washington, il est presque une gifle stratégique pour Jérusalem. Au lendemain de la signature des Accords d’Abraham avec les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn et le Maroc, les Israéliens n’avaient plus qu’une seule question en tête : quand les Saoudiens allaient-ils franchir le pas à leur tour ? Ryad et Jérusalem n’étaient-ils pas unis par une même obsession de l’Iran ?À l’INSEAD, il y a cinq ans, j’avais donné une conférence de géopolitique devant des officiers supérieurs saoudiens. Le directeur du programme - qui était égyptien – m’avait mis en garde : la thématique du conflit israélo-palestinien était délicate. Il était préférable de ne pas l’aborder. C’est un général Saoudien qui le fît pour moi, insistant sur le fait que l’Arabie Saoudite n’avait plus aucun problème avec Israël. La menace, la seule pour Ryad, venait de Téhéran.En mars 2023, au lendemain du sommet de Pékin, on peut légitimement se demander si Israël ne paye pas aussi le prix de sa dérive nationaliste et droitière. L’État hébreu ne met pas seulement en danger sa démocratie à l’intérieur, mais aussi sa diplomatie, en prétendant qu’il n’existe pas de problème palestinien. Le gouvernement israélien ne peut à la fois ignorer les critiques légitimes de l’administration Biden, les prises de distance à son égard de la communauté juive américaine, et se tourner vers Washington – comme un enfant cherchant refuge dans les bras de sa mère – lorsque l’histoire ne va plus dans la direction souhaitée.En mars 2023, au lendemain du sommet de Pékin, on peut légitimement se demander si Israël ne paye pas aussi le prix de sa dérive nationaliste et droitière.Il convient aussi d’analyser les motivations de Téhéran. Pourquoi les Mollahs qui dénonçaient le Royaume Saoudien avec une détermination sans faille et se trouvaient de facto en guerre avec lui au Yémen, ont-ils accepté, sinon recherché, la médiation chinoise ? Sont-ils arrivés à la conclusion qu’ils ne pouvaient à la fois mener une guerre contre leur peuple et danser sur un volcan avec l’Arabie Saoudite ? Ont-ils souhaité sortir de leur isolement en retrouvant, grâce à Beijing, une forme de légitimité ?Au traité de Rapallo en 1922, les deux parias qu’étaient à l’époque l’Allemagne vaincue et l’URSS sortie affaiblie de sa période révolutionnaire s’étaient, en traitant l’une avec l’autre, donné une forme de légitimité respective. A Pékin, trois pays qui ont en commun de ne pas se soucier de la démocratie et des droits de l’homme, se sont donné, eux aussi, une forme de certificat de bonne conduite.Et si le “Sud Global” se traduisait pour de très nombreux pays (à l’exception notable de l’Inde bien sûr) par une forme d’alignement sur la Chine ? On est très loin du mouvement des non-alignés de l’époque de la Guerre Froide. La force de la Chine, c’est qu’elle n’est en rien - contrairement à l’URSS d’hier - une émanation du monde occidental. Elle en est l’alternative absolue.Il est trop tôt pour conclure de cet épisode moyen-oriental que “tous les chemins mènent désormais à Pékin”. Mais la Chine a confirmé avec succès son ambition d’être un acteur géopolitique (et pas seulement géoéconomique) global en faisant se rapprocher l’Arabie Saoudite et l’Iran. Avec l'aimable contribution des Échos, publié le 18/03/2023 Copyright Image : ATTA KENARE / AFP Les journaux de Téhéran publient en première page des informations sur l'accord conclu entre l'Iran et l'Arabie saoudite sous l'égide de la Chine, qui prévoit le rétablissement des liens entre les deux pays, signé la veille à Pékin, le 11 mars 2023.ImprimerPARTAGERcontenus associés 10/03/2023 Ukraine : quand la technologie change le visage de la guerre Dominique Moïsi 06/03/2023 Ukraine : les émotions sélectives du monde Dominique Moïsi 15/02/2023 [Le monde vu d'ailleurs] - Russie-Iran-Israël : un triangle sous tension Bernard Chappedelaine