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30/05/2023

Moldavie : Un nouvel acte pour la Communauté politique européenne

Moldavie : Un nouvel acte pour la Communauté politique européenne
 Florent Parmentier
Auteur
Secrétaire général du CEVIPOF

Jeudi 1er juin, la Moldavie accueillera le deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE). Près de 50 dirigeants européens seront réunis à Chisinau, lors d’une rencontre à l’agenda rythmé par des enjeux de sécurité, de connectivité et d'énergie. Mais comment envisager la tenue de ce sommet dans la perspective de la candidature de la Moldavie à l’UE ? Éclairage de Florent Parmentier, chercheur associé au Centre de Géopolitique de HEC.

La Communauté politique européenne (CPE) a été lancée il y a maintenant plus d'un an. Quelle est l'ambition de cette entité nouvelle ? Qui en sont ses membres et comment se démarque-t-elle des autres institutions européennes préexistantes ?

La Communauté politique européenne est une nouvelle entité dont l’ambition consiste à proposer un nouveau format pour la coopération politique en Europe, tel qu’imaginé par le Président Macron devant le Parlement européen, à Strasbourg, le 9 mai 2022. Ce projet n’est pas sans rappeler la proposition de confédération européenne portée en son temps par François Mitterrand en 1989, dans un contexte de recomposition géopolitique du continent européen.

La Communauté politique européenne se démarque des autres institutions européennes préexistantes par une caractéristique principale, sa flexibilité. Elle s'inspire du modèle du G20, qui réunit les dirigeants des pays les plus puissants du monde pour discuter de questions internationales, et tâcher de trouver des solutions concrètes face aux grands défis ; de la même manière que la naissance du G20 en 1999 est liée à l’accumulation de crises financières (d’abord au niveau des Ministres des finances, puis à celui des chefs d’État et de gouvernement à compter de novembre 2008), la CPE a été forgée par la guerre en Ukraine.
Signe de cette flexibilité, son volet institutionnel est léger : il n'y a pas de secrétariat, de cadre institutionnel ni de mécanismes de prise de décision formels dans le cadre de ce forum. De plus, il n'y a pas de déclarations politiques ou de conclusions officielles à l’issue de ces sommets. Ce format de la Communauté politique européenne a été rapidement mis en place, puisque seulement cinq mois se sont écoulés entre la proposition et la réalisation.

Cependant, il peut exister des risques de doublon avec d’autres institutions européennes, dès lors que les sujets débattus ne sont pas propres à la CPE. Parmi ces organisations, le Conseil de l'Europe, qui regroupe sensiblement les mêmes pays depuis l’exclusion de la Russie en 2022, s’est spécialisé dans le domaine de la démocratie, de l’État de droit et des Droits de l’homme. L’enjeu du rapport d’octobre 2022 commandé par le Conseil de l’Europe consistait à savoir comment articuler la CPE et le Conseil de l’Europe ; le premier peut se dédier aux enjeux contemporains (énergie, migration, connectivité, etc.), le second aux valeurs.

Quel est l'ordre du jour du sommet de Chisinau ? Que peut-on en attendre de concret, depuis le sommet inaugural de Prague qui s'est tenu en octobre 2022 ?

Le Sommet de Chisinau de la Communauté politique européenne se concentrera autour de trois enjeux principaux : la sécurité, la connectivité et l’énergie.

L'objectif est de devenir un forum inclusif pour la sécurité, en favorisant la confiance entre les membres et en aidant à la prévention et à la gestion des crises. Les discussions pourraient porter sur des questions telles que la coopération en matière de défense, la lutte contre le terrorisme et la sécurité des frontières. Par ailleurs, la CPE cherchera également à améliorer les liaisons de transport et les infrastructures numériques. Cela pourrait inclure des projets de développement des réseaux de transport transnationaux, des investissements dans la connectivité à haut débit et des initiatives visant à réduire la fracture numérique. Enfin, les Européens discuteront de la manière de réussir leur transition énergétique tout en tenant compte des contraintes géopolitiques, à savoir se dispenser des hydrocarbures russes, auparavant abondantes et bon marché. Les questions liées à la sécurité énergétique, à la diversification des sources d'énergie et à la durabilité environnementale seront abordées.
La réussite de cette réunion est cruciale pour l'initiative de la Communauté politique européenne, ainsi que pour la Moldavie qui accueille le sommet. Des avancées dans les domaines de la sécurité, de la connectivité et de l'énergie contribueraient à renforcer la capacité de cette nouvelle entité à produire des résultats tangibles.

Le lieu de ce sommet, Chisinau en Moldavie, n'est pas neutre. Le pays, comme l’Ukraine, la Géorgie ou les Balkans occidentaux, souhaite se rapprocher de l'UE. Depuis juin 2022, la Moldavie bénéficie du statut de candidat à l'entrée dans l'UE. Dans ce cadre, la CPE est-elle perçue comme un accélérateur ou, au contraire, un frein à l'adhésion ?

En tant qu’initiative française, la CPE a pu souffrir de la réputation de la France comme pays historiquement hostile à un élargissement rapide et réalisé en l’absence de réformes institutionnelles préalable. De fait, la perception de la CPE en tant qu'accélérateur ou frein à l'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne dépend de différents facteurs.

D'une part, la CPE peut être perçue comme un accélérateur de l'adhésion, car elle offre aux différents pays concernés une opportunité de renforcer leurs relations avec l'UE sur la durée et d'approfondir leur engagement politique avec les dirigeants européens. En tant que pays candidat à l'entrée dans l'UE, la Moldavie (comme l’Ukraine ou plus tard la Géorgie) peut utiliser la CPE pour montrer son alignement avec les valeurs et les objectifs européens, ce qui pourrait renforcer son dossier d'adhésion. De plus, accueillir avec succès la CPE offrirait à la Moldavie un gain réputationnel non négligeable.

D'autre part, la CPE peut également être considérée comme un frein à l'adhésion en raison de l'absence d'une structure institutionnelle formelle et de mécanismes de prise de décision clairs. En d’autres termes, le risque d’enlisement, ou de "fatigue de l’élargissement" observable dans les Balkans, n’est pas exclu à moyen terme. Dans ce contexte, l'absence d'un cadre solide peut rendre plus difficile la mise en œuvre de réformes et de normes européennes nécessaires pour l'adhésion à l'UE.
Dans l'ensemble, la CPE peut offrir à la Moldavie une opportunité unique pour élever son engagement politique bilatéral avec les pays européens, tout en nécessitant des efforts considérables de la part des autorités moldaves pour accueillir un tel événement d'envergure. Il convient également de noter que l'Union européenne n'est pas au centre de ce rassemblement de pays, ce qui peut limiter l'impact direct de la CPE sur le processus d'adhésion de la Moldavie.

Pouvez-vous revenir sur les particularités de ce pays et la façon dont la guerre en Ukraine a ébranlé les équilibres régionaux ?

La Moldavie est un pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, dont la population ne dépasse pas trois millions d’habitants. En novembre 2020, la population a fait le choix d’élire une présidente, Maia Sandu, dont l’objectif déclaré était le rapprochement avec l’Union européenne à travers un ambitieux programme de réformes internes.

Toutefois, ce pays a été heurté de plein fouet par la guerre en Ukraine en février 2022. Dès les premières semaines de combat, la Moldavie a dû faire face à un afflux de réfugiés sans précédent, et trouver des solutions concrètes en termes d’accès à l’eau, de logement, d’hygiène et de santé. Ce sont près d’un demi-million d’Ukrainiens qui ont traversé le pays, pour aller, en grande majorité, vers les pays de l’Union européenne. On estime qu’environ 80 000 réfugiés se trouvent toujours sur le territoire moldave.

Dans ce contexte, la Moldavie a donc dû agir avec prudence, dans la mesure où elle compte sur son sol un territoire séparatiste à la frontière de l’Ukraine, la Transnistrie, où réside une présence militaire russe (la 14e Armée). Sa solidarité avec l’Ukraine est allée de pair dans un premier temps avec une certaine modération vis-à-vis de la Russie. Contre toute attente, les militaires présents en Transnistrie n’ont pas participé directement aux combats au moment de l’offensive russe de février 2022, ni plus tard.

Depuis, les dirigeants moldaves ont réaffirmé leur volonté de rapprochement européen, ayant mené à la reconnaissance du statut de pays candidat pour la Moldavie, en dépit de nombreuses menaces hybrides pesant sur le pays. L’intégration européenne est aujourd’hui le projet politique qui rassemble le plus les Moldaves, même si des oppositions à une telle orientation géopolitique peuvent exister. Ainsi, les élections en Gagaouzie (avril - mai 2023) ont montré que cette région autonome reste profondément attachée à des relations privilégiées avec la Russie. D’autres groupes sociaux y sont également favorables.

Les prochains sommets devraient se tenir en Espagne, en Grande-Bretagne puis en Hongrie, des pays qui ont des visions de l'Europe diamétralement opposées. Comment maintenir la CPE sans fragiliser l'UE d'une part, et sans risquer sa propre implosion d'autre part ? Comment ces sommets peuvent-ils s'incarner sur la durée, au-delà du conflit russo-ukrainien ?

La CPE est une entité politique nouvelle, flexible, et donc largement adaptable en fonction de l’utilité que chaque acteur y trouvera. Cela suppose, à travers le dialogue et la recherche de consensus, de trouver des terrains d'entente et de surmonter les divisions au sein des membres de la communauté. Il conviendra donc, après le sommet de Chisinau, de savoir ce que chaque État voudra y apporter : de ce point de vue, il est vrai que le futur succès dépendra de l’engagement de l’Espagne, de l’implication du Royaume-Uni ou encore de la volonté de la Hongrie de s’investir dans le jeu européen. Rapprocher des positions opposées, et parfois divergentes, exigera d’aller au-delà du scepticisme de mise dans plusieurs capitales.

Dès lors, les prochains sommets doivent apporter des clarifications sur le statut de cette nouvelle entité. Pour les pays ayant le statut de candidat, les pays des Balkans, l'Ukraine, la Moldavie et potentiellement la Géorgie, la CPE ne peut remplacer le processus d’adhésion, ni constituer une antichambre éternelle. Il ne s’agit pas d’un substitut aux politiques existantes.

Par ailleurs, afin de donner la parole à différents points de vue et de favoriser le dialogue entre des pays aux visions opposées de l’Europe, le principe de présidence tournante doit être conservé car il permet de garantir une représentation équilibrée des pays membres de la CPE, et d’échapper au risque d’être perçu essentiellement comme une extension de l’UE.

Outre ces questions institutionnelles, la question de la finalité politique de la CPE demeure essentielle. Si la CPE veut transcender les divergences et travailler sur des domaines de coopération concrets, elle peut se concentrer sur des objectifs communs tels que la sécurité régionale, la stabilité économique et le renforcement des liens entre les pays membres.

Enfin, si, pour l’heure, la CPE exclut la Russie et la Biélorussie, il faut d’ores et déjà anticiper ce que pourrait être la situation après la guerre en Ukraine, dont nous ne connaissons ni l’issue, ni le calendrier. Nous pouvons estimer, en revanche, l’ampleur de la tâche qui est devant nous. Fondée à un moment où maintenir un front commun européen contre la Russie et la Biélorussie dans le cadre de la guerre en Ukraine était essentiel, le devenir de la CPE sera confronté à la question de la redéfinition des liens avec la Russie. Ce point, permettant d’envisager la future architecture de sécurité européenne, ne fait pas l’objet de consensus pour le moment.

 

Copyright Image : Joe Klamar / AFP

Le 6 octobre 2022, les dirigeants de plus de 40 pays se sont réunis au cours d'un sommet européen à Prague, en République tchèque, pour lancer la "Communauté politique européenne".

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