AccueilExpressions par MontaigneMidterms aux États-Unis : situation de l'économie des deux côtés de l'AtlantiqueL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.07/11/2022Midterms aux États-Unis : situation de l'économie des deux côtés de l'Atlantique Régulation États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Eric Chaney Expert Associé - Économie Auteur Pierre-André Chiappori Professeur d'économie à l'Université Columbia Midterms : regards transatlantiquesLes élections de mi-mandat aux États-Unis se tiendront le 8 novembre prochain. Le scrutin marquera un tournant décisif pour la suite du mandat du président Biden, avec des répercussions qui dépassent le seul cadre domestique américain. Dans ce contexte, l'Alliance Program de Columbia et le Columbia Global Center de Paris s’associent à l’Institut Montaigne autour d’un cycle inédit de webinars et de publications. Grâce au dialogue franco-américain, nous analysons les grands sujets qui animent cette campagne : l'économie, la relation transatlantique sur fond de guerre en Ukraine et le changement climatique dans le contexte de crise énergétique. Cette semaine, nous examinons la situation économique, en Europe et aux États-Unis.L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 menace la reprise économique mondiale. La hausse des prix de l'énergie, le risque de récession, l'inflation sont des préoccupations majeures partagées par l'Europe et les États-Unis. D'autres facteurs plus spécifiques, comme la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement, l'augmentation des coûts du logement ou la dette étudiante façonnent également le débat économique d'un côté de l'Atlantique ou de l'autre. Dans ce contexte de crise, comment la question économique est-elle appréhendée à l’approche des midterms aux États-Unis ? Quels parallèles peut-on dresser entre la situation américaine et la situation européenne ? Quelles conséquences les résultats de l'élection auront-ils sur l'économie mondiale ? Pour y répondre, Eric Chaney, conseiller économique de l'Institut Montaigne, et Pierre-André Chiappori, professeur d'économie à l'Université de Columbia, reviennent sur les tenants et les spécificités propres à chacun des deux continents.Comment les économies européennes font-elles face au risque de récession ?En Europe, la situation actuelle est très étrange. Les entreprises et les consommateurs s'inquiètent pour l'économie, principalement en raison de la flambée des prix de l'énergie. Mais derrière cette flambée se cache un choc majeur au niveau de l'offre. Les économistes sont convaincus qu'il y aura une récession importante à partir du quatrième trimestre de cette année, qui affectera différemment les pays en fonction de leurs niveaux respectifs de dépendance au gaz russe. L'Europe de l'Est serait la plus durement touchée, suivie de l'Allemagne et de l'Italie, puis de la France et enfin de l'Espagne.Mais ni les consommateurs ni les entreprises ne semblent avoir pris pleinement conscience de ce risque : le secteur bancaire français reçoit encore des demandes de prêts de la part de ses clients, alors que le choc est déjà là. Les dépenses en énergie sont passées de 5 % à plus de 10 % du PIB, ce qui est colossal, et cela s'est déjà traduit par une inflation beaucoup plus élevée qu'à la mi-2021. Au mois d'août 2022, les données d'Eurostat indiquent un taux d’inflation à 9,1 % dans la zone euro, avec des variations par pays allant de 25 % en Estonie, 9 % en Allemagne ou 6,6 % en France, qui se situe au bas de l'échelle en raison des décisions gouvernementales visant à mettre la population à l'abri des chocs de prix. Aux États-Unis, l'inflation est généralisée alors qu'en Europe, elle découle en grande partie des coûts énergétiques. Mais la composition de l'inflation européenne est en train de changer. En raison du Covid-19, la demande de biens a augmenté au détriment des services, et il existe également des preuves indirectes que les salaires commencent à augmenter. Selon les données d'Eurostat, les coûts salariaux ont augmenté de 4,4 % au deuxième trimestre dans la zone euro et semblent continuer leur progression. Les syndicats demandent une augmentation des salaires pour compenser la hausse du coût de la vie, tant en France qu'en Europe. Un sentiment temporaire de déniLa guerre est aux portes de l'Union européenne, sans que cela n’entraîne de baisse significative de la confiance pour autant. Le niveau élevé de l'épargne accumulée pendant la pandémie peut l’expliquer en partie : dans l'UE, le taux d'épargne personnelle (flux d'épargne en pourcentage du montant du revenu disponible) est passé de 12 -13 % avant la crise Covid, à 15 % en juin 2022. Un élément qui rassure l’ensemble des ménages, y compris en période de forte inflation.Ce sentiment de sécurité a par ailleurs été considérablement renforcé par la mise en place de boucliers tarifaires, destinés à contrer l'augmentation du coût de la vie. Au Royaume-Uni, en Allemagne ou en France, les chiffres sont inédits : l'Allemagne va dépenser 8 % de son PIB pour protéger les consommateurs et les entreprises, notamment les PME, contre le choc des prix de l'énergie. Le Royaume-Uni dépensera 6 % de son PIB et la France 4 %. Ces dépenses fiscales massives visent à protéger les citoyens contre la hausse des prix de l'énergie et ses conséquences sur le prix d'autres biens.Cela empêchera-t-il une récession ? De telles mesures n'empêcheront pas une récession pour autant. Les politiques budgétaires conçues pour protéger les consommateurs de l'inflation ne produisent pas de gaz naturel ou d'électricité, de sorte que le choc de l'offre est toujours là. Le paradoxe est que nous connaîtrons une sévère récession, mais que nous serons, dans l'ensemble, protégés. L'Europe ne connaîtra pas de suppressions d’emplois significatives si les entreprises sont protégées par des subventions. La conséquence de ces dépenses, ce sera une autre forte augmentation de la dette publique dans l'UE.Le paradoxe est que nous connaîtrons une sévère récession, mais que nous serons, dans l'ensemble, protégés.Notons que l'inflation est plus faible en France qu'en Allemagne et aux Pays-Bas (14 %) en raison du bouclier tarifaire qui s’applique à l'électricité et au gaz. Le coût de l'électricité pour les consommateurs n'augmentera pas de plus de 4 %, alors que les prix du marché ont bondi de plus de 50 %. Les dépenses budgétaires visant à maintenir l'inflation à un faible niveau ont été critiquées par les économistes, car si vous ne laissez pas le signal-prix fonctionner, les gens ne réduiront pas leurs consommations d’énergie rare.En conséquence, du fait de l'absence de "signal prix" adressé aux consommateurs, les autorités pourraient être amenées à réduire la consommation d'électricité et de gaz par le biais du rationnement.La raison d'être de ce "bouclier contre l'inflation" en France était d'atténuer la boucle salaire-prix qui serait déclenchée par l'indexation automatique du salaire minimum légal sur l'inflation et, par conséquent, les bas salaires en général. Cette mesure est très coûteuse en termes budgétaires, et injuste, dans le sens où elle protège tout le monde, et pas seulement les personnes aux revenus les plus modestes. Cependant, le raisonnement macroéconomique qui sous-tend cette initiative est d'éviter une boucle salaire-prix qui conduirait à une inflation soutenue en France, et la perte de compétitivité qu'elle entraînerait par rapport aux pays voisins.Réactions et défis politiques Il est encore très difficile pour les pays de l'UE de se mettre d'accord sur une politique énergétique commune. Certains pays, comme l'Espagne, ont décidé de suivre leur propre voie, tandis que l'Allemagne poursuit sa politique en augmentant notamment sa dépendance au charbon. À mesure que l'industrie allemande augmente sa part habituelle du quota de carbone, le prix du carbone augmente, évinçant ainsi les entreprises moins solides financièrement des autres États membres, puisque le quota de carbone concerne l'ensemble de l'UE. Nous ne sommes pas vraiment dans un cadre coopératif en ce sens, car chaque pays gère ses propres affaires.Pendant longtemps, la Banque centrale européenne (BCE) a considéré que la politique monétaire ne permettant pas de produire du pétrole ou du gaz, il lui fallait attendre un choc du côté de l'offre. Puis l'inflation, même non énergétique, a commencé à augmenter et la Fed est intervenue. La BCE a dû lui emboîter le pas car l'appréciation du dollar a pour conséquence d’exporter l'inflation dans le reste du monde, y compris dans la zone euro. La BCE va continuer à augmenter ses taux, mais dès qu'il y aura des signes concrets de récession, je pense qu'elle devra s’arrêter.Un endettement accru des États et des entreprises Les dettes publiques en Europe - déjà élevées après le Covid-19 - ne feront qu'augmenter avec la crise énergétique. Mais dans l’équation, on oublie souvent de mentionner la dette du secteur privé, qui provient essentiellement des entreprises : dans la zone euro, elle s’élève à 175 % du PIB ; en France, elle représente 230 % du PIB. Nous entrons donc dans une zone de turbulences. Il s'agit d'une récession étrange, liée aux approvisionnements dans le contexte d'une dette privée très élevée des entreprises, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les bilans des banques. S'il y a des difficultés, et si nous commençons à voir des faillites (exactement ce que le gouvernement veut éviter) un cercle vicieux pourrait s'installer par lequel les banques souffriraient à cause de pertes dégradant la qualité de leurs actifs. Cela impliquerait une diminution des prêts bancaires, ce qui pourrait ralentir la reprise après la crise énergétique, quelle que soit sa durée. Les experts estiment que cette situation devrait durer entre deux et trois ans.En quoi la situation économique est-elle différente aux États-Unis ?L'inflation en Europe est très différente de celle des États-Unis, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'inflation en Europe découle essentiellement de la crise énergétique. Ce n'est pas le cas aux États-Unis, où le principal déterminant provient plutôt d'un exemple classique de manuel scolaire : trop d'argent pour trop peu de biens. Un choc lié à la pandémie a perturbé l’offre . À cela s'ajoutent des interventions massives de soutien de la demande de la part des gouvernements, qu'il s'agisse des administrations Trump ou Biden. En conséquence, les ménages disposent d’une épargne conséquente, et les tensions inflationnistes étaient inévitables.Une autre différence est que, dans la pratique, les États-Unis ont exporté une partie de leur inflation. La Réserve fédérale américaine (la "Fed") a commencé à augmenter ses taux plus tôt et de manière plus significative que la BCE. En outre, en cas d'incertitude généralisée, voire d'anxiété quant au futur de l’économie, les gens ont tendance à privilégier la sécurité - et le dollar est perçu comme sûr. Tout cela a fait monter le taux de change du dollar. Ce taux de change plus élevé a tendance à réduire le coût des importations des États-Unis, freinant ainsi l'inflation américaine, tout en augmentant le coût des importations des autres pays, avec un résultat inflationniste.Les États-Unis ont exporté une partie de leur inflation. La Réserve fédérale américaine (la "Fed") a commencé à augmenter ses taux plus tôt et de manière plus significative que la BCE.Par ailleurs, ce mécanisme engendre également certaines externalités indésirables. Lorsque la Fed augmente ses taux, cela provoque un ralentissement non seulement de l'économie américaine mais aussi d'autres économies. Cette conséquence n'est pas pleinement prise en compte. Une préoccupation sérieuse, aux États-Unis et en Europe, est l'émergence d'une spirale prix/salaires : face à des prix plus élevés, les travailleurs demandent des salaires supérieurs, et les entreprises acceptent d'augmenter les salaires parce qu'elles s'attendent à pouvoir relever leurs prix. C'est ainsi que l'inflation pourrait s'installer durablement dans les anticipations des agents de l’économie Pour l'instant, l'inflation ne semble pas suivre cette voie aux États-Unis. Les marchés financiers semblent s'attendre à un pic inflationniste cette année, suivi d’un retour à une tendance plus modérée (peut-être autour de 3 %) à moyen terme. Toutefois, les anticipations des agents économiques sont par nature changeantes. C'est un élément clé pour comprendre la stratégie actuelle de la Fed : il est crucial de réduire l'inflation avant qu'elle ne s'installe.Dans l'ensemble, le risque financier est moins élevé aux États-Unis qu'en Europe - mais il reste présent. Le plus grand danger concerne moins les particuliers que l'endettement des entreprises, qui pourrait avoir un impact sur le secteur bancaire. Certaines introductions en bourse récentes ont entraîné de lourdes pertes pour les parties concernées. La Fed est consciente de ce risque mais cela ne la dissuadera pas de continuer à lutter contre l'inflation. Quelle est l'importance de la menace de récession aux États-Unis ? La définition même d'une récession diffère entre l'Europe et les États-Unis. Les États-Unis n'utilisent pas une définition mécanique (du type contraction du PIB pendant deux trimestres consécutifs). C’est un comité du Bureau National de Recherche Économique (NBER) qui analyse les données et est habilité à déclarer qu'une récession a commencé. Cette tâche est de plus en plus complexe car, actuellement, le PIB et le marché du travail donnent des signaux très différents. Le PIB s'est contracté, mais le marché du travail se portait, et se porte toujours, plutôt bien. L'emploi non agricole a augmenté de 260 000 postes pourvus en septembre, et le taux de chômage se situe autour de 3,5 %. D’une manière générale, les États-Unis n'éviteront probablement pas une récession, mais l’impact de cette dernière devrait être plus faible qu'en Europe, ne serait-ce que parce que les États-Unis sont beaucoup moins dépendants des importations de ressources énergétiques. Il y a toutefois deux points à garder à l'esprit. D'une part, l'impact de la hausse des taux d'intérêt commence tout juste à se faire sentir - le resserrement monétaire affecte toujours l'économie réelle avec un certain retard. Deuxièmement, la Fed semble décidée à maintenir sa crédibilité, même si cela doit conduire à une surréaction temporaire.Quel impact la situation économique américaine aura-t-elle sur les prochaines élections de mi-mandat ? Dans le scénario le plus probable pour les élections de mi-mandat, les Démocrates conserveraient peut-être le Sénat mais perdraient probablement la Chambre des représentants. Les sondages les plus récents suggèrent un basculement en faveur des Républicains, principalement lié à des préoccupations économiques. L'inflation reste un enjeu majeur pour de nombreux Américains, et le gouvernement Biden porte une part de responsabilité évidente dans son apparition. Le plan de relance adopté dans les premiers mois suivant l'élection a injecté près de 2 000 milliards de dollars dans l'économie. À l'époque, de nombreux économistes, y compris des Démocrates, avaient déjà émis des réserves quant au montant, jugé trop important et susceptible d'engendrer une surchauffe, notamment en raison des contraintes qui pèsent sur l'offre. Malheureusement, il s'avère qu’ils avaient raison. Cela étant, et paradoxalement, les dépenses auxquelles les Américains sont le plus sensibles - les prix de l'énergie, de l’essence ou des produits alimentaires - sont précisément celles pour lesquelles le gouvernement actuel ne porte que peu, voire pas, de responsabilité. Dans le scénario le plus probable pour les élections de mi-mandat, les Démocrates conserveraient peut-être le Sénat mais perdraient probablement la Chambre des représentants. Si les Républicains obtiennent la majorité au Congrès, le blocage qui en résulterait pourrait être assez semblable à celui des deux dernières années du mandat d’Obama. En regardant l'histoire des États-Unis, on observe que de telles situations de division du pouvoir ont généralement eu un impact positif sur l'économie, car les deux partis comprenaient que des initiatives bipartites étaient nécessaires, et au final, ces législations bipartisanes avaient tendance à être plus équilibrées et plus efficaces. Ceci n'est plus le cas aujourd'hui. La polarisation est totale, et les initiatives bipartites ont pratiquement disparu.Cela explique donc certaines décisions surprenantes, comme la promesse de M. Biden d’annuler la dette étudiante, à hauteur de 10 000 à 20 000 dollars pour les emprunteurs à faibles et moyens revenus. Ce n'est peut-être pas la meilleure façon d'aider les plus modestes - ceux-ci n'étant pas nécessairement les plus concernés par la dette étudiante - mais au moins, cela peut se faire sans l'approbation du Sénat. Si le Parti Républicain venait à contrôler la Chambre des Représentants, on peut craindre une impasse persistante, à commencer par le vote sur le plafond de la dette publique américaine - une question qui se posait déjà sous la présidence Obama.Quels défis pour l'avenir ? À long terme, nous pouvons espérer que la crise énergétique ne durera pas plus de deux ans, même s'il est difficile de prévoir comment va se dérouler la guerre en Ukraine. Nous sommes néanmoins assurés qu'un défi persistera : celui du changement climatique. Il s'agit d'une réalité à laquelle tout le monde est enfin obligé de faire face. Les économistes affirment depuis des décennies que toute action sérieuse contre le changement climatique nécessite une augmentation du prix des émissions de carbone, soit par le biais d'une taxe sur le carbone, soit par un marché des émissions avec une offre restrictive de droits d'émission. Il y avait auparavant une forte réticence envers ce que certains politiciens appelaient "l'écologie punitive" ; l'illusion partagée était que nous pouvions en quelque sorte lutter contre le changement climatique sans en payer le prix. Ceci est tout simplement faux, et le dernier rapport d'Olivier Blanchard et de Jean Tirole est un rappel très utile de ce fait fondamental. La lutte contre le changement climatique sera coûteuse, mais le coût d'une action immédiate reste évidemment bien inférieur à ce qu'il sera dans 20 ou 30 ans si nous ne faisons rien d’ici là. Une lueur d'espoir existe néanmoins. Il y a quelques mois encore, une taxe élevée sur le carbone était considérée comme inacceptable ou politiquement irréalisable parce qu'elle ferait grimper les prix de l'énergie. Mais les prix actuels sont beaucoup plus élevés que ce qui aurait été envisagé par le passé. Par conséquent, nos économies devront s'adapter à des prix de l'énergie plus élevés, et des innovations technologiques seront nécessaires. Le principal avantage de notre système axé sur le marché est sa capacité à innover. Dans les années à venir, nous assisterons à une vague d'innovations qui conduiront (à terme !) à des progrès significatifs. Quels types de mesures sont efficaces dans ce contexte complexe ? L’aide aux ménages à faibles revenus, confrontés à de graves difficultés économiques en raison de la flambée des prix de l'énergie, est souhaitable. Mais la forme que prendra cette aide sera déterminante. Les prix de l'énergie s'envolent en raison d'une insuffisance de l'offre. Dans un tel contexte, la dernière chose à faire est de subventionner la demande - précisément ce que mettent en œuvre certaines politiques gouvernementales (comme le plafonnement des prix de l'énergie). Il est préférable d'accorder des compensations forfaitaires aux ménages les plus pauvres ; en règle générale, le gouvernement doit éviter de jouer avec les prix.Une autre préoccupation concerne l'innovation, dont le rôle sera primordial. L'Europe perd du terrain, notamment en ce qui concerne les nouvelles technologies comme l'IA ou les biotechnologies. La France dépense déjà moins que les États-Unis en R&D ; de plus, les investissements français en R&D continuent de se concentrer largement sur des secteurs "matures" comme l'automobile ou l'aéronautique. La France, et l'Europe en général, perdent du terrain dans les secteurs les plus prometteurs, et si elles ne passent pas à la vitesse supérieure et n'investissent pas maintenant, les conséquences à long terme seront désastreuses. La France, et l'Europe en général, perdent du terrain dans les secteurs les plus prometteurs, et si elles ne passent pas à la vitesse supérieure et n'investissent pas maintenant, les conséquences à long terme seront désastreuses. Cela inclut la recherche fondamentale. L'UE va dépenser plusieurs centaines de milliards d'euros au cours des prochains mois pour protéger ses citoyens de la hausse des prix de l'énergie. Dans le même temps, le budget du Conseil européen de la recherche, qui est une source majeure de financement de la recherche fondamentale en Europe, est légèrement supérieur à 2 milliards d'euros par an. D'une certaine manière, les priorités ne semblent pas bien pesées. Quelles initiatives communes possibles pour la France, l'Europe et les États-Unis ? Du côté européen : investir dans la défense et le changement climatiqueDans les domaines de la défense et du changement climatique, une coopération transatlantique, intelligemment menée, serait utile. D'abord, la défense. Nous vivions jusqu'à maintenant dans un monde fantasmé, où la guerre n’avait plus sa place en Europe. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à de nouvelles menaces. Travailler ensemble sur la défense est essentiel. L'OTAN est utile et cette utilité ne fera que s'accroître. Deuxièmement, la politique climatique. Nous sommes confrontés à un choc de l'offre à grande échelle. L'énergie gratuite, c’est terminé. En même temps, l'Europe émet plus de CO2 qu'auparavant en raison de la fermeture de nombreuses centrales nucléaires en Allemagne, en Belgique et en France, ainsi que du manque d'approvisionnement en gaz, qui a alimenté le retour du charbon comme source d'énergie primaire. C'est une mauvaise nouvelle à court terme et pourrait être un sujet de coopération transatlantique plus que bienvenu. Il est possible d’envisager un accord sur l'ajustement carbone aux frontières, conçu pour égaliser le prix du carbone facturé aux entreprises basées dans l'UE avec le prix du carbone des importations. Sans ajustement aux frontières, les gouvernements doivent distribuer gratuitement des quotas d'émission de CO2, ce qui est en totale contradiction avec l'objectif de zéro émission nette poursuivi par l'UE pour 2050.Mais la plupart des partenaires commerciaux de l'UE sont opposés à cet ajustement frontalier. Prenons l'exemple d'experts marocains qui nous disent "Vous avez émis du CO2 dans l'atmosphère pendant 150 ans et maintenant vous nous demandez de payer pour cela". Les États-Unis pensent eux aussi que ce type de politique est un exemple de protectionnisme européen. Mais il devrait y avoir un terrain d'entente raisonnable. Nul ne sera totalement satisfait. Pourtant, ensemble, les États-Unis et l'Union européenne ont la plus grande empreinte carbone au monde, ainsi que les plus grands marchés intérieurs. Par conséquent, un accord participerait grandement à réduire les émissions mondiales. La coopération en matière de climat est d'une importance capitale si nous voulons progresser. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF)L'ajustement carbone (système MACF, ou CBAM en anglais) pour les importations de produits à forte intensité carbone est une mesure positive que la plupart des économistes soutiennent. Nous en connaissons le risque : elle pourrait conduire au protectionnisme, et il faut être prudent, mais elle reste indispensable. Le contre-argument des pays en développement - à savoir qu'ils paient maintenant pour nos erreurs passées - est pertinent, mais un accord peut encore être trouvé. Ce qui compte, c'est que les importations à forte intensité carbone soient taxées pour éviter de subventionner de facto les exportations des pays les plus négligents en matière de réduction des émissions. Mais la question de savoir qui en tire profit reste ouverte. Nous pourrions imaginer un mécanisme par lequel les recettes générées par la taxe seraient partagées avec les pays en développement.Nouvelles perspectives pour réduire l'intensité en carbone Le point positif est que, sans le gaz russe, les économies devront s'adapter à un monde dans lequel les sources d'énergie sont moins intensives en carbone. Il s'agit là d'une tâche difficile. Le mouvement des Gilets jaunes qui a débuté en novembre 2018 en France a eu des conséquences politiques dépassant les frontières françaises. Le président Biden avait initialement prévu une taxe carbone dans son programme, mais il l'a finalement retirée, probablement par crainte d'un retour de bâton social et politique. Des conséquences similaires existent en Europe. Le plan Fit for 55 de la Commission européenne préconisait une réduction de 55 % des niveaux d'émissions d'ici 2030 (en référence à l’année 1990), afin de rendre plus crédible l'objectif de zéro émission d'ici 2050. Ce plan contenait de nombreuses bonnes idées, à commencer par l'extension du système d'échange de quotas d'émission de carbone à une plus grande partie de l'économie, mais l'extrême-droite et l'extrême-gauche du Parlement européen se sont opposées à ces propositions, les jugeant excessives ou insuffisantes. À cet égard, Poutine aidera peut-être l'Europe à avancer plus rapidement et plus sérieusement vers la décarbonation. Nous devons augmenter la production d'énergie décarbonée. Cela devrait être une conséquence logique de la disparition du gaz russe. Copyright : Ludovic MARIN / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 10/10/2022 L'Institut Montaigne éclaire : les élections de mi-mandat aux États-Unis Louise Chetcuti 07/11/2022 Quel avenir pour la relation transatlantique suite au "moment Ukraine" ? Georgina Wright Alexander Cooley