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10/05/2024

Macron l’Européen - The Economist, saison 2

Macron l’Européen - The Economist, saison 2
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

On se souvient que le président Macron avait donné à l’automne 2019 une interview à The Economist qui avait fait date. On y trouvait notamment la célèbre formule : "L’Otan est en état de mort cérébrale". Cinq ans plus tard, le président réitère l'exercice, et développe ses arguments de la Sorbonne. Une analyse de notre conseiller géopolitique, Michel Duclos.

The Economist 2 après la Sorbonne 2

Emmanuel Macron vient d’accorder, au lendemain de son discours à la Sorbonne du 25 avril - étant lui-même une réplique de celui qu’il avait prononcé en ce même lieu en septembre 2017 - un nouvel entretien à l’hebdomadaire britannique. Dans cet entretien, le président développe les mêmes thèmes que dans son discours de la Sorbonne n°2, autour de cette même idée centrale que l’Europe peut mourir.

L’Europe est mortelle, selon lui, sous le triple effet d’un risque militaire et géopolitique, d’un risque industriel et commercial et d’un risque démocratique.

L’Europe est mortelle, selon lui, sous le triple effet d’un risque militaire et géopolitique, d’un risque industriel et commercial et d’un risque démocratique. Le risque militaire, c’est évidemment de la guerre en Ukraine qu’il provient, et au-delà de celle-ci de la posture agressive désormais adoptée par la Russie ; cette posture est appelée à durer, indique Macron.

Le risque industriel et commercial résulte du décalage technologique et de croissance qui s’aggrave entre l’économie européenne et les économies chinoise et américaine. Le président relève que la Chine ne peut plus jouer pour l’Europe le même rôle de grand marché d’export qu’autrefois. Tandis que l’Amérique a adopté une attitude protectionniste, notamment avec l’IRA, comparable à celle que les Chinois pratiquent depuis longtemps avec leurs distorsions des règles du marché (subventions en particulier).

Le risque démocratique achève de rendre l’Europe mortelle, en raison de la montée à la fois des nationalismes et des mutations technologique et culturelle. Était-il nécessaire de reprendre pour les lecteurs de The Economist les mêmes raisonnements que ceux développés sous la coupole de l’université parisienne ? Si le discours de la Sorbonne n°2 a sans doute porté en Europe, le grand hebdomadaire de Londres offre à la pensée présidentielle une diffusion mondiale. L’interview permet en outre au président une présentation plus nerveuse de ses idées et l’occasion de préciser celle-ci sur certains points, tout en accentuant une ouverture vers le gouvernement britannique.

Nous ne reviendrons pas ici sur l’analyse, déjà faite sur ce site par notre collègue Georgina Wright, des propositions du président Macron. À la lumière de son entretien avec The Economist, deux points méritent cependant à notre sens d’être soulignés. D’abord, il importe de le noter, il y a dans les propos d’Emmanuel Macron une hauteur de vue, une maîtrise des enjeux tant géopolitiques, économiques ou politiques, qui le distinguent de la plupart des dirigeants politiques contemporains. Avouons que son diagnostic paraît difficilement contestable. On remarquera aussi que l’expérience du pouvoir n’a nullement atténué son ambition.

D’une certaine façon, le discours de la Sorbonne n°2 apparaît plus radical que celui de 2017 : à la fois parce que la situation en Europe est beaucoup plus grave qu’en 2017, parce que sur des sujets comme l’Intelligence artificielle ou les clean techs c’est maintenant que la partie se joue, aussi parce que l’Union européenne a connu en 2020 le “moment hamiltonien” de l’emprunt post-Covid.

D’une certaine façon, le discours de la Sorbonne n°2 apparaît plus radical que celui de 2017.

De ce fait, l’opportunité de capitaliser sur ce qui pourrait avoir constitué un précédent, c’est-à-dire d’utiliser dans des proportions encore plus vastes qu’en 2020 la capacité unique de l’Union européenne de lever des financements par l’emprunt, constitue le fil commun aux propositions du président pour la politique de défense comme pour la politique industrielle de l’Europe. Même si, manifestement pour ne pas effaroucher Berlin, Emmanuel Macron procède par touches successives et évite "les gros sabots".

Quel effet d'entraînement sur les autres Européens ?

Cela nous amène à notre seconde remarque. On se souvient que l’Allemagne – en fait la chancelière Merkel - avait longtemps fait la sourde oreille aux propositions de la Sorbonne n°1. Les propositions avancées en ce mois de mai 2024 par le président de la République trouveront-elles plus d’écho, non seulement à Berlin mais dans les autres capitales européennes, y compris d’ailleurs Londres ? Sur ce point, il est tentant de se montrer sceptique. Dans un article pour le Financial Times du 29 avril, Shahin Vallée argumente depuis la capitale allemande que le Président Macron a échoué à définir une stratégie précise susceptible de réunir un consensus pour la mise en œuvre de ses idées.

Shahin Vallée indique par exemple que les schémas de plus grande union fiscale en Europe ou de budget de l’UE beaucoup plus lourd ne sont guère crédibles venant d’un pays aussi endetté que la France. De même, le think-tanker berlinois estime que les appels du président français à "acheter européen" pour développer une industrie militaire européenne seront inévitablement perçus comme une opération de soutien à la seule industrie de défense française.

Ne nions pas bien sûr la difficulté pour la France affaiblie d’aujourd’hui d’exercer un leadership sur les affaires européennes. Cependant, les critiques du président passent, nous semble-t-il à côté d’un autre élément frappant de son approche d’aujourd’hui : à la différence de ce qui a pu être le cas il y a quelques années, Emmanuel Macron ne procède plus par propositions à prendre ou à laisser. Il indique des options à débattre pour chercher une voie commune. Si son ambition n’a pas baissé, ses méthodes pour convaincre se sont peut-être améliorées.

Emmanuel Macron ne procède plus par propositions à prendre ou à laisser. Il indique des options à débattre pour chercher une voie commune.

Ainsi, sur les questions industrielles, il dénonce le "juste retour", qui empêche la constitution de grands groupes européens en exigeant des retombées nationales pour chacun des États-Membres ; il ouvre la perspective de quelques "champions" européens répartis entre quelques pays. Il parle ainsi de "trois ou quatre champions dans le spatial, trois ou quatre dans l’intelligence artificielle, trois ou quatre dans le quantique".

En matière de défense, les commentateurs se sont beaucoup polarisés sur la notion de dissuasion française (et britannique) élargie au bénéfice de l’Europe, de façon assez paradoxale puisque cette notion remonte à François Mitterrand, si ce n’est même à Valéry Giscard d’Estaing (cf. : la déclaration d’Ottawa de l’Otan reconnaissant en 1974 la contribution des deux forces nationales européennes à la défense du monde libre). L’originalité des propos présidentiels est double : M. Macron évoque le thème d’une capacité de frappe en profondeur et celui d’un bouclier anti-missile, à l’échelon européen ; c’étaient jusqu’ici des sujets peu abordés par les dirigeants français compte tenu de la tradition nationale de centrer notre défense sur la dissuasion nucléaire et les opérations extérieures.

S’agissant d’un bouclier anti-missiles européen, le président ouvre l’option de rejoindre le projet avancé par le Chancelier Scholz, qu’il avait dans un premier temps rejeté. Surtout, sur la dissuasion, les missiles et le bouclier, il préconise un vaste débat entre Européens (en fixant toutefois une date limite de quelques mois à celui-ci), il n’avance pas de solutions toutes faites. Dans quel cadre mener un tel débat ? Emmanuel Macron pense non à l’UE, le forum naturel pour les Français pour les projets européens, mais à la Communauté Politique Européenne (la CPE, initiative réunissant, depuis 2022, les 27 États membres et 20 États de l'Europe "géographique", dont le Royaume-Uni, la Suisse et la Turquie), dont il se trouve que la prochaine rencontre doit se tenir sous présidence du Royaume-Uni à Londres en juillet. Il tend donc une perche à ce pays avec lequel, souligne-t-il, la France a de toute façon des liens particuliers en matière de défense.

Nous noterons pour conclure qu’en proposant ce cadre de discussion, le président risque de se heurter aux réflexes otaniens habituels de nos partenaires.

Paris aurait peut-être intérêt, pour contourner la difficulté, à suggérer que les débats de la CPE soient préparés d’abord en franco-britannique, puis dans un groupe restreint de quelques autres partenaires ; mais un exercice du même type doit se dérouler – cette fois sans le Royaume-Uni – pour préparer le Conseil Européen du mois de juin, qui doit décider de nouvelles sources de financements au sein de l’UE pour soutenir dans la durée l’effort européen d’aide militaire à l’Ukraine.

Paris aurait peut-être intérêt, pour contourner la difficulté, à suggérer que les débats de la CPE soient préparés d’abord en franco-britannique, puis dans un groupe restreint de quelques autres partenaires.

Copyright image : Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

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