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03/05/2024

Sorbonne 2.0 : Politique européenne, la continuité présidentielle

Sorbonne 2.0 : Politique européenne, la continuité présidentielle
 Georgina Wright
Auteur
Directrice adjointe des Études internationales, Experte résidente

Sept ans après son premier discours sur l'Europe, le président de la République s'est exprimé de nouveau sur le thème de l'Europe dans l'amphithéâtre de la Sorbonne jeudi 25 avril. Ce discours, qui se prépare depuis plusieurs années, ne comporte pourtant que très peu d'idées neuves. Il n'aura fait que rassurer ceux qui adhèrent déjà à la vision européenne du chef d'État français, sans parvenir à convaincre les autres, souligne Georgina Wright, expert-résidente et directrice adjointe des Études internationales. 

Dix jours se sont écoulés depuis le discours tant attendu d'Emmanuel Macron sur l'Europe à la Sorbonne - juste assez pour en assimiler le contenu. Comme la plupart de ses discours, ce dernier était long (près de deux heures), soucieux d’exhaustivité et parsemé de quelques phrases chocs. C'était surtout l'occasion pour le président de faire le point sur la politique européenne qu'il a menée jusqu'à présent, et d'exposer ce qu'il espérait accomplir au cours de son second mandat.

Les messages principaux

Le contexte international a grandement évolué depuis le premier discours de la Sorbonne en 2017. À l'époque, personne n'avait entendu parler de "Covid". La Russie n'avait pas encore déclaré une guerre totale à l'Ukraine. Les Européens n’avaient toujours pas complètement digéré la décision du Royaume-Uni de quitter l'UE, ni intégré que Donald Trump était bien à la Maison-Blanche. 

Si les propositions et les idées émises dans ce deuxième discours ne semblent nouvelles, elles furent énoncées avec un ton d'urgence qui était absent en 2017. Désormais, l'UE doit s'adapter aux nouvelles réalités géopolitiques sous peine de "mourir". 

Or, si les propositions et les idées émises dans ce deuxième discours ne semblent nouvelles, elles furent énoncées avec un ton d'urgence qui était absent en 2017. Désormais, l'UE doit s'adapter aux nouvelles réalités géopolitiques sous peine de "mourir". Dans un monde devenu plus compétitif et impitoyable, les grandes puissances comme les États-Unis et la Chine ne respectent plus les règles qui ont régi les relations internationales au cours des cinquante dernières années. L'UE doit cesser d'être naïve et prendre des risques pour protéger son modèle, afin qu’il ne soit pas miné de l'intérieur par des forces politiques hostiles. Elle doit se doter de "nouveaux paradigmes" pour faire face "aux risques de guerre et d'appauvrissement".

Fidèle à son style, Emmanuel Macron a construit son discours autour d'une longue liste d'idées et de propositions, qu'il a articulées autour de trois thèmes centraux : la puissance, la prospérité et l'humanisme. Ces idées s'inscrivent dans la continuité de son discours de 2017 et de l'agenda de la présidence française de l'UE et du Sommet de Versailles de mars 2022, où il insista surtout sur l'industrialisation et la défense européennes. Les paroles du président de la République ont également fait écho à ses discours de la Haye sur la sécurité économique en mars 2023 et de Bratislava sur la sécurité de l'Europe, en mai 2023. 

Le leitmotiv de ces discours, sans cesse rappelé, est qu'il n'y a, pour le président, qu’un seul moyen de résoudre les défis auxquels l'UE est confrontée : il faut plus d'Europe et pas n’importe laquelle, mais celle qu'il défend depuis 2017.

Sur le volet puissance, Emmanuel Macron regrette que le réarmement européen soit trop lent face au reste du monde, malgré la guerre que la Russie mène de façon frontale en Ukraine et de manière hybride avec le reste de l’Europe. Le risque que les États-Unis se retirent d’Europe, ou réduisent leur soutien à la sécurité européenne, accroît l’urgence de ce défi. 

Sur les thématiques de défense nationale, le discours du Président reprend des positions françaises connues. Le chef de l’État veut accélérer la mise en œuvre de la Boussole stratégique - un document stratégique sur l’action extérieure de l’Union européenne adopté pendant la présidence française du Conseil de l’UE en mai 2022, qui comporte, pour la première fois, une analyse commune des menaces pesant sur les pays de l’UE en matière de sécurité et de défense. Il plaide en faveur de nouvelles mesures, y compris la création d’un bouclier antimissile européen, l'instauration d'une préférence européenne dans l'achat de matériel militaire et même la mise en place d'une "académie militaire européenne" pour sensibiliser les futurs cadres militaires et civils européens aux enjeux à venir sur la sécurité et la défense. Il appelle au renforcement du pilier européen de l'OTAN et se fait l'écho de l'appel de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en faveur d'une augmentation des dépenses à l'échelle de l'UE de manière à renforcer la base industrielle de défense. Enfin, il appelle à la création d’une "intimité stratégique" entre les armées européennes, signe d’une volonté de développer une stratégie européenne commune, et souligne la nécessité de développer les capacités en matière de cybersécurité et cyberdéfense.

Une certaine dose d'ambiguïté plane pourtant sur ces propos. À entendre Emmanuel Macron, il demeure difficile de déterminer s'il plaide pour davantage d'initiatives de la part de l'UE ou au contraire de l'OTAN, aujourd’hui le véritable cœur de la défense européenne. S'il décrit la dissuasion nucléaire de la France comme étant "par essence un élément incontournable de la défense du continent européen", il ne dit pas ce que ferait la France au cas où les États-Unis décideraient de retirer leur bouclier nucléaire en Europe - hypothèse qui inquiète de nombreuses capitales européennes dans l'éventualité d'un retour de Trump à la Maison-Blanche en novembre.

En matière de politique de croissance, il a pointé du doigt les défis posés par la révolution technologique et par les politiques industrielles interventionnistes des autres grandes puissances. L'Europe a pris du retard sur les États-Unis et la Chine. Emmanuel Macron a notamment appelé à davantage d'investissements pour soutenir l'industrie européenne. Selon lui, cinq secteurs devraient être prioritaires : l'intelligence artificielle, l'informatique quantique, l'espace, les biotechnologies et les nouvelles énergies.

L'Europe a pris du retard sur les États-Unis et la Chine.

Il veut rompre avec "l'Europe compliquée", c'est-à-dire mettre un terme à l’inflation réglementaire, simplifier les normes européennes et mieux faire valoir le principe de subsidiarité, impératif également soulevé dans le récent rapport d'Enrico Letta sur la réforme du marché unique. Il soutient même un degré de dérégulation pour encourager la prise de risque et l’innovation. L'UE devrait ainsi revoir sa politique de concurrence afin d’assurer ses ambitions de compétitivité. Le président n'est toutefois pas allé jusqu'à préciser les mesures concrètes qu'elle devrait mettre en place, sans doute parce que de nombreux États membres craignent un relâchement accru des règles qui fausserait les règles du jeu à l'intérieur du marché unique. Il a exprimé son plein soutien au développement des startups, aux projets de marché unique des capitaux et à la réindustrialisation.

Conscient que davantage d'investissements signifie nécessairement davantage d'argent, Emmanuel Macron n’a pas précisé si sa préférence allait à un nouvel emprunt européen, à l’augmentation du budget européen ou à la réallocation des enveloppes existantes, reconnaissant ainsi que cette décision devra faire l’objet de consultations préalables au niveau européen. Il a néanmoins rappelé le besoin de "ressources propres" européennes financées notamment par le Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), également connu sous l'acronyme anglais CBAM. Un appel à plus de budget européen n’aurait pas manqué d’inquiéter certaines capitales européennes - plusieurs d’entres elles, notamment les frugales, reprochent à la France d’être incapable de maîtriser ses dépenses publiques et de contrôler son déficit, qui s'élève aujourd'hui à 5,5 % du PIB.

Parce qu'elle était dépourvue de pistes de mise en œuvre opérationnelle, la partie sur l’Europe humaniste était sans doute la plus faible du discours. "De Paris à Varsovie, de Lisbonne à Odessa", le Président veut que l’UE fasse davantage pour protéger l’humanisme européen "qui nous singularise". Il est notamment revenu sur le besoin de listes transnationales, sur la nécessité de faciliter les échanges entres États membres et de combattre les ingérences qui menacent nos démocraties - mais sans pour autant étayer de mesures concrètes.

Un regard vers les autres pays européens

Le discours de 2024, contrairement à celui de 2017, témoigne d'une prise de conscience présidentielle de l'importance qu'il y a à mieux prendre en compte les préoccupations des autres pays de l'UE. L'autonomie stratégique, que beaucoup d’États membres considèrent comme une tentative d'isolement des États-Unis, a presque entièrement disparu de son lexique. Il a reconnu que l'avenir de la sécurité de l'Europe ne pouvait pas se limiter à l'UE. Elle reposera aussi sur les formats flexibles comme le triangle de Weimar entre la France, l'Allemagne et la Pologne, ou encore la coopération renforcée entre l'UE et ses voisins.

Le discours de 2024, contrairement à celui de 2017, témoigne d'une prise de conscience présidentielle de l'importance qu'il y a à mieux prendre en compte les préoccupations des autres pays de l'UE.

Son ton à l'égard du Royaume-Uni était particulièrement positif. "Les Britanniques sont des alliés naturels, profonds et les traités qui nous lient, dont celui de Lancaster House, jettent des bases solides." Il a notamment plaidé en faveur d'une coopération renforcée avec Londres, au niveau bilatéral ainsi que dans le contexte du prochain sommet de la communauté politique européenne, qui se tiendra au Royaume-Uni en juillet.

Le président a probablement manqué une occasion de revenir sur certains commentaires hâtifs ou malvenus dont il avait été l’auteur ces dernières années, comme ceux qui, à propos de l’éventualité d’une invasion de Taïwan par la Chine, avaient suscité l'incompréhension (il avait déclaré en avril 2023 que les Européens ne devaient pas "être suivistes sur ce sujet et [s’]adapter au rythme américain") ​​ou encore ceux affirmant la nécessité de "ne pas humilier la Russie" en cas de défaite en Ukraine, en juin 2022. Entretemps, le président français est devenu l’un des chefs d'État européens les plus critiques du régime du Kremlin. Tout en reconnaissant le rôle important joué par l'administration Biden dans le soutien à l'Ukraine et la sécurité européenne, il a clairement indiqué que les États-Unis et la Chine constituaient une menace croissante pour la compétitivité européenne.

Le choix des mots est risqué : beaucoup d'États membres, surtout ceux qui dépendent du parapluie sécuritaire américain, n’aiment pas mettre la Chine et les États-Unis dans le même panier et sont méfiants de toute tentative européenne en matière de défense perçue comme trop indépendante des États-Unis, ou aboutissant à mettre Washington à l'écart.

Le président français est devenu l'un des chefs d'État européens les plus critiques du régime du Kremlin. 

Enfin, on reprochera sans doute au président une effervescence de propositions, avancées sans préciser les modalités de leur mise en œuvre. Les détracteurs d'Emmanuel Macron y voient une forme d’inconséquence, étant donné que la dimension opérationnalisable est une condition essentielle pour peser sur l'agenda européen. 

Un discours sur l’Europe mais avec des mises en garde en vue des élections européennes

Bien qu'il ne s'agisse pas d'un discours de campagne électorale dans le cadre des Européennes, certains passages s'adressaient clairement à l'électorat français. Le chef de l’État a félicité l'UE pour son adoption du Pacte sur la migration et l'asile et a plaidé en faveur d'un renforcement des frontières extérieures de l'Union - deux sujets de préoccupation majeurs pour les Français. S'il a exprimé son soutien à l'agenda de la politique commerciale de l'UE, allant jusqu'à rappeler aux citoyens français les avantages des accords commerciaux pour les exportations françaises, il a rappelé que le libre échange ne doit pas pour autant créer les conditions de pratiques déloyales.

Mais il a également formulé des mises en garde à l'approche des élections européennes, qui se tiendront du 6 au 9 juin.

Le président a commencé son discours en déclarant que le combat pour l'Union européenne n'était pas encore gagné et que "nous nous trouvions à un moment de bascule". 

Le président a commencé son discours en déclarant que le combat pour l'Union européenne n'était pas encore gagné et que "nous nous trouvions à un moment de bascule". Il a lancé quelques allusions voilées visant le Rassemblement national, qui devrait arriver en tête des élections de juin, en comparant l’extrême-droite, partout en Europe, aux "habitants d'un immeuble qui ne souhaitent pas de règles de copropriété", marquant ainsi son opposition avec la vision de "l’Europe des Nations", portée notamment par le RN. Le Président a clairement indiqué que le projet européen était "mortel", et qu'il appartenait aux Européens de décider de son évolution. 

L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a d’ailleurs pris la décision de décompter le discours de la Sorbonne du temps de parole de la liste conduite par Valérie Hayer, tête de la liste de la majorité, ajoutant "qu'en l'espèce, si les propos du président de la République n'exprimaient pas un soutien explicite à la liste conduite par Valérie Hayer, ils présentaient néanmoins, dans leur intégralité, un lien direct avec l'élection, notamment dans la mesure où, contribuant à dresser un bilan de l'action passée et exposant les éléments d'un programme, ils pouvaient avoir une incidence sur le scrutin". 

Ces propos sont-ils susceptibles d’inciter les électeurs français à soutenir la liste d'Emmanuel Macron, en juin ? Pour de nombreux Français, les élections européennes constituent une opportunité d’exprimer mécontentement ou approbation à l'égard du gouvernement français, plutôt que de déterminer des préférences quant à l'avenir de l'UE La cote de popularité d'Emmanuel Macron stagne à seulement 31 % d'opinions favorables. 45 % de Français considèrent que le bilan du gouvernement est positif. Dans ce contexte, il est tout à fait possible que les capitales européennes aient prêté plus d'attention à ce discours que les citoyens français.

Emmanuel Macron apparaît aujourd'hui comme le seul dirigeant capable de prononcer un discours aussi complet sur l'Europe. Il aura eu le mérite de rassurer les États membres sur le fait que l'Union européenne resterait une priorité pour la France. La question est maintenant de savoir s'il sera en mesure de mettre en œuvre sa feuille de route avant la prochaine élection présidentielle de 2027.

 

 

Copyright Image :  Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

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