AccueilExpressions par MontaigneLueur d'espoir dans la relation franco-britanniqueL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.29/03/2023Lueur d'espoir dans la relation franco-britannique EuropeImprimerPARTAGERAuteur Georgina Wright Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident Alors que la visite officielle du Roi Charles III à Paris a dû être reportée, dans un contexte domestique particulièrement fragile, la directrice de notre programme Europe, Georgina Wright, replace la relation franco-britannique en perspective. Suite au 36ème sommet qui s'est tenu au mois de mars entre le président Macron et le Premier ministre Sunak, quelles évolutions de la relation bilatérale peut-on attendre ? Après le Brexit, la confiance et la normalité sont-elles de retour ? Éléments d'explications. Alliés, adversaires, meilleurs ennemis. Si la rivalité entre la France et le Royaume-Uni n'est pas la plus ancienne qui existe, elle n'en est pas moins historique. Depuis toujours, ces voisins se comparent et se disputent. Leur histoire témoigne à la fois d'un fort potentiel de coopération et de rivalités tenaces.Après une séquence difficile, marquée par le Brexit, l'AUKUS, les problèmes migratoires à Calais, sans oublier les nombreuses dénonciations de part et d’autre de la Manche, les deux puissances ont affirmé vouloir travailler ensemble. "Un nouveau départ et une nouvelle ambition" : voici le message qui est ressorti du 36e Sommet franco-britannique qui s'est tenu à Paris le vendredi 10 mars 2023. Si le nombre de livrables reste modeste, le Sommet marque tout de même un tournant dans la relation bilatérale. Même le report de la visite du Roi Charles III ne pourra freiner l’enthousiasme.Leur collaboration est également indispensable. Dans un monde où le "modèle occidental" est de plus en plus contesté, dans une Europe qui voit le retour de la guerre, la France et le Royaume-Uni n’ont plus à tergiverser. Ils ont besoin de l’un et l’autre pour relever leurs défis communs et défendre leurs valeurs communes de liberté, de démocratie et d'État de droit. Le prochain sommet, prévu pour 2024, nous dira si l’ambition affichée le 10 mars aura porté ses fruits.Un Sommet longuement attenduCinq ans se sont écoulés depuis la dernière rencontre à Sandhurst, au Royaume-Uni, en présence de Theresa May et d'Emmanuel Macron. Une période marquée par la pandémie, le retour de la guerre en Europe, une crise énergétique et, pour le Royaume-Uni, la sortie de l'Union européenne. Voilà deux ans que l’on entendait des rumeurs courir sur l'organisation d'une rencontre franco-britannique : Boris Johnson, l’ancien Premier ministre Britannique, un francophile malgré ses critiques à l’égard de la France, y tenait tout particulièrement. Mais c’est sous le leadership de Liz Truss que les préparatifs ont vraiment débuté.Il était important pour les deux administrations que ce sommet soit un succès. Il était important pour les deux administrations que ce sommet soit un succès. Il s'agissait du premier sommet bilatéral de Rishi Sunak depuis sa nomination officielle au poste de Premier ministre en octobre 2022 et sa deuxième visite en Europe après Kiev.Pour ceux qui lui reprochaient de ne pas s'intéresser suffisamment à l’Europe, cette visite a été l’occasion de montrer que le vieux continent demeurait au cœur des préoccupations de son gouvernement. Sa visite lui aura également permis de donner suite à son ambition de renforcer la coopération du Royaume-Uni avec les États membres de l’Union européenne (UE).Pour le président Macron, le Sommet s’est tenu un an, jour pour jour, après le Sommet extraordinaire des 27 États membres de l'UE à Versailles dont le but était de définir "les termes de l'autonomie stratégique européenne" qui repose, entre autres, sur une coopération étroite entre l'UE et la plupart de ses pays voisins. Ce Sommet répond notamment à ce besoin.Il s'est également tenu à un moment où les grandes orientations géopolitiques des deux pays se dessinent : le Royaume-Uni a publié, à la suite du Sommet, la mise à jour de la Revue Intégrée, un document stratégique qui met en évidence les principales priorités de la politique étrangère britannique Post-brexit. Elle a été suivie d’une revue de dépense qui précise les ressources dont dispose le gouvernement britannique pour mettre en œuvre sa politique étrangère. Outre-Manche, la France a publié sa propre revue nationale stratégique en novembre 2022, bientôt suivie par la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 qui devrait être présentée en Conseil des ministres le 6 avril. Ce Sommet aurait pu dérailler à plusieurs reprises. Le nouveau projet de loi sur l'immigration, qui a été déposé au Parlement britannique quelques jours avant le déplacement de Sunak, a été évoqué par de nombreux médias et ONGs comme posant de réels problèmes juridiques et moraux. De même, certains se sont inquiétés des répercussions d’une révision des 18 mois de consultations du partenariat AUKUS prévue trois jours après le Sommet. Cependant, les annonces ont été assez limitées.Le retour de la confiancePour la France et le Royaume-Uni, ce Sommet était avant tout l'occasion d’afficher un front politique commun. C’était réussi. La conférence de presse a reflété cette confiance entre les deux dirigeants - qui ont par ailleurs décidé de s’entretenir pendant une heure en l’absence de leurs conseillers. Après cinq ans de relations tumultueuses, cette confiance est nécessaire et bienvenue. L'autre objectif de ce Sommet était d’établir une nouvelle méthode de travail entre les deux administrations qui leur permette de se rencontrer plus régulièrement.Avant le Brexit, les diplomates prenaient ponctuellement des nouvelles en marge des réunions de l'UE - parfois jusqu'à plusieurs fois par semaine. De plus, les instances bilatérales actuelles, cimentées dans les Accords de Lancaster House de 2010, privilégient avant tout la coopération politique dans le domaine de la défense. Or, comme en témoigne le Sommet, la relation bilatérale a une portée beaucoup plus large : il n’est pas anodin que la déclaration de Chequers en 1995, dans laquelle le président Chirac et le Premier ministre sir John Major appelaient à une coopération ambitieuse, ait été rappelée dans la déclaration commune à l’issue du 36ème Sommet.L'autre objectif de ce Sommet était d'établir une nouvelle méthode de travail entre les deux administrations qui leur permette de se rencontrer plus régulièrement. Pour y répondre, le Royaume-Uni et la France se sont engagés à créer de nouveaux dialogues, par exemple entre la Direction générale du Trésor et le Trésor britannique sur les questions financières internationales, ainsi qu'un dialogue sur les questions cyber. Ces dialogues sont suffisamment flexibles pour évoluer selon les besoins. Ils n'ont pas vocation à être exclusifs et pourraient, si tel est le souhait, être étendus à d’autres pays. Ces échanges leur permettront ainsi de s’entretenir et de se coordonner avant les sommets du G7, de l’OTAN ou encore des Nations unies. De l'ambition, faute de mesures concrètesAprès cinq ans d'absence, certains risquent d'être déçus par les engagements annoncés, qui restent modestes et plutôt techniques. Néanmoins, cette critique ignore deux éléments importants : premièrement, elle oublie que plusieurs annonces ont été faites en amont du Sommet, notamment dans le domaine du nucléaire civil et de l'immigration dans la Manche. Dans un second temps, il a également été nécessaire de relancer la machine bilatérale afin de pouvoir par la suite travailler à la mise en place de livrables spécifiques. Le prochain sommet nous dira le rapprochement a porté ses fruits.Cela dit, plusieurs avancées sont à considérer. D'abord, Londres et Paris ont voulu faire converger leurs travaux dans le domaine de la défense, qui a notamment été impactée par le Brexit, AUKUS et la pandémie du Covid-19. Sans surprise, la guerre en Ukraine figure comme première priorité. La France et le Royaume-Uni ont promis davantage de soutien financier et militaire à l'Ukraine, notamment dans la formation des Marines ukrainiens. Sans surprise, la guerre en Ukraine figure comme première priorité. La France et le Royaume-Uni ont promis davantage de soutien financier et militaire à l'UkraineLe Royaume-Uni se dit également prêt à participer à la mission d'assistance militaire de l'Union européenne en soutien à l'Ukraine (EUMAM Ukraine) dont le but est de former des soldats ukrainiens. Les deux voisins ont également convenu de coopérer afin que les responsables de crimes commis par la Russie en Ukraine, notamment les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, soient poursuivis devant les tribunaux compétents. Ils ont également convenu de coordonner leurs déploiements dans l'Indopacifique et de mutualiser l'accès à leurs bases militaires respectives.La déclaration semble laisser la porte ouverte à l'adhésion de la France au partenariat AUKUS. Les deux puissances ont convenu de travailler davantage ensemble au Sahel et dans la Corne de l'Afrique, ainsi qu'au Moyen Orient, et de trouver un moyen de tirer parti de la force conjointe franco-britannique (CJEF), une force opérationnelle mise en place avec les traités de Lancaster House, dans le Grand Nord. Le Royaume-Uni participera également à la conférence sur la défense aérienne organisée à Paris en juin 2023 à l’initiative du président de la République française. Un point de faiblesse concerne sans doute la coopération industrielle dans le domaine de l'armement. Si la déclaration met en avant les partenariats existants (notamment l'avenir missile antinavire / futur missile de croisière (FMAN/FMC), piloté par MBDA, elle n'énonce pas de nouveaux projets. Au lieu de cela, elle prévoit une coopération plus opérationnelle, dans l'approvisionnement de matériaux critiques par exemple, ou encore la possibilité pour le Royaume-Uni de participer à des projets et programmes de défense de l’Union européenne sans préciser les conditions de participation. Ce n'est pas tout à fait surprenant dans la mesure où cette coopération dépend plus largement de la relation entre le Royaume-Uni et l'UE dans le domaine de la défense. Ici aussi, les nouvelles sont bonnes : le quotidien britannique Financial Times précise que des discussions sont en cours pour renforcer la coopération en matière de défense et de sécurité en réponse à la guerre en Ukraine - notamment pour mieux coordonner l'augmentation de la production d'armes en Europe. Londres et Paris ont également noué un partenariat stratégique pour l'énergie, notamment dans le domaine du nucléaire civil (en novembre 2022, le gouvernement britannique a confirmé sa décision d’investir dans le projet nucléaire de Sizewell, en partenariat avec EDF). Le Royaume-Uni est un allié naturel pour la France, car tous deux considèrent que l’électricité nucléaire doit jouer un rôle important dans la décarbonation industrielle pendant la période de transition.Londres et Paris ont également noué un partenariat stratégique pour l'énergie, notamment dans le domaine du nucléaire civil.C'est un sujet qui divise actuellement l'Union européenne où certains États membres, dont la France, considèrent que les objectifs d’hydrogène renouvelable fixés au niveau européen seront extrêmement difficiles à atteindre - et que l'UE sera plus susceptible de les atteindre si elle ouvre ses objectifs à l'hydrogène bas carbone, c’est-à-dire produit notamment à partir d'électricité nucléaire.La question des traversées illégales de migrants dans La Manche ("petites embarcations") a également été adressée au Sommet. Pour les Britanniques, et particulièrement pour le gouvernement, mettre fin aux traversées illégales et aux drames qui en découlent reste une priorité majeure. Rishi Sunak l’a identifié comme une de ces cinq priorités pour l'année 2023 - au même titre que l'inflation, la crise du système de santé, l'endettement du pays et l’économie. Le Premier ministre britannique l'a d’ailleurs énoncé en premier lors de la conférence de presse à l’issue du Sommet (le Président Macron a préféré commencer par la coopération en matière de défense et puis en matière de nucléaire).Certains commentateurs voient ce renforcement de coopération opérationnelle, à travers la création d’un centre à Lille sous direction française, comme une forme de sous-traitance au Royaume-Uni. En réalité, ce renforcement a été bâti sur des progrès effectués en novembre 2022 quand les deux ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin et Suella Braverman, ont annoncé une série de mesures dans le cadre de leur coopération continue. De plus, le gouvernement britannique semble lui aussi avoir changé de narratif. On ne parle plus de "laxisme français" mais bien de "gestion commune" et "responsabilité partagée" entre Londres et Paris. Le Royaume-Uni s'est aussi engagé sur un financement pluriannuel en appui des efforts français : la contribution du Royaume-Uni sera de 141 millions d'euros en 2023-24, 191 millions d’euros en 2024-25 et de 209 millions d’euros en 2025-26. Malgré les rumeurs, la France a également refusé de mettre en place un accord de réadmission qui la contraindrait d’accueillir les migrants expulsés du territoire britannique. On ne parle plus de "laxisme français" mais bien de "gestion commune" et "responsabilité partagée" entre Londres et Paris. Cependant, la déclaration laisse la possibilité d'une discussion européenne au sein du "Groupe Calais" qui réunit le Royaume-Uni, mais aussi les autres voisins européens concernés par les traversées illégales de migrants dans la Manche. Ceci pourrait donner place à des voies légales et des propositions en faveur d’une meilleure gestion commune de ce problème.Enfin, la déclaration se fixe pour objectif de renouer les liens entre les sociétés civiles et de favoriser les échanges et les investissements croisés, dont la vitalité et la densité ont été ralenties par le Brexit et la pandémie. Un dialogue sur la mobilité a été créé à cet effet, afin de faciliter les voyages linguistiques ou excursions scolaires au Royaume-Uni pour les lycéens français (et vice versa). Il est également question de réinstaurer les volontariats internationaux (VIE) au Royaume-Uni qui permettent aux jeunes français et ressortissants d'un pays de l'Espace Economique Européen, âgés de 18 à 28 ans, de débuter leur carrière à l’international. C’est particulièrement intéressant étant donné que le Royaume-Uni reste le troisième pays pour les investissements français (la France, elle, est le cinquième partenaire commercial du Royaume-Uni). 189 000 Français y habitent encore aujourd’hui.Le prochain sommet nous dira si le rapprochement souhaité s'est concrétiséCinq ans se sont écoulés entre les deux derniers sommets franco-britanniques qui ont habituellement lieu tous les ans ou deux ans. Ce Sommet de mars est le résultat de mois d'échanges et d’un rapprochement progressif entre les deux gouvernements. La déclaration commune peut manquer de clarté et de lisibilité, mais elle n'est pas dépourvue d'ambitions. La volonté partagée est assez claire : faire davantage ensemble pour peser plus ensemble, tout en élargissant les champs de coopérations. Et il faut s'en réjouir. Il est parfaitement naturel, et même souhaitable, que les deux plus grandes puissances militaires et nucléaires d'Europe puissent travailler ensemble dans un monde de plus en plus bouleversé. Il faut néanmoins souligner qu'une dimension du succès de la relation bilatérale dépend de l’Union européenne ; si les relations entre le Royaume-Uni et l'UE s'améliorent, cela laissera plus d’espace pour la relation franco-britannique.C'est le prochain sommet qui compte car c'est à ce moment là seulement que nous pourrons observer si cette ambition s’est traduite en actions concrètes. Comme le reconnaît justement la déclaration, de nombreux travaux seront "nécessaires". S'ils y parviennent, ce sera le rappel que cette Entente Cordiale, qui fêtera son 120ème anniversaire l’année prochaine, est non seulement nécessaire mais utile pour la sécurité des deux pays, de l’Europe et du reste du monde.L'auteur remercie tout particulièrement Camille Le Mitouard, chargée de projets Allemagne et Russie et Louise Chetcuti, chargée de projets États-Unis et Transatlantique à l’Institut Montaigne, qui l’ont assistée dans la relecture de cet article. Copyright : KIN CHEUNG / POOL / AFPLe président français Emmanuel Macron (à droite) serre la main du Premier ministre britannique Rishi Sunak (à gauche) à son arrivée au palais de l'Élysée, à Paris, le 10 mars 2023. ImprimerPARTAGERcontenus associés 14/10/2022 Truss et Macron ont raison de réinvestir la relation franco-britannique Georgina Wright 19/03/2021 La Revue intégrée du Royaume-Uni : que signifie la stratégie "Global Britai... Georgina Wright Bruno Tertrais