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03/10/2019

LOM : moderniser la mobilité des territoires

Regards croisés entre Agnès Audier et Manon Guyot

LOM : moderniser la mobilité des territoires
 Agnès Audier
Rapporteure Générale pour l'Institut Montaigne
 Manon Guyot
Responsable des ressources humaines

Le réexamen de la loi d’orientation des mobilités à l’Assemblée nationale est l’occasion de revenir sur ses enjeux, aussi bien en termes de modernisation, d’inclusion des échelons territoriaux que de financements, principal point d’achoppement entre députés et sénateurs. Agnès Audier, Senior Advisor au Boston Consulting Group et Manon Guyot, chargée d’études à l’Institut Montaigne, nous livrent leur analyse.


Dans quel contexte s'inscrit la LOM, et quelles sont ses ambitions ?

AGNÈS AUDIER

Le contexte "transport" (pour ne pas parler du contexte politique) a énormément changé entre le lancement des travaux sur le texte en septembre 2017, six mois après l’élection du Président de la République, et le vote en septembre 2019. En 24 mois, deux sujets indirectement abordés par la LOM ont envahi l’espace politique : les Gilets jaunes et la question de la France "périphérique", mal desservie par les transports en commun, mais aussi quasi oubliée par les nouvelles mobilités, et l’urgence d’agir sur les sujets environnement, alors que par exemple l'"autosolisme", le fait d’utiliser seul un véhicule, apparaît comme un comportement de plus en plus contestable du point de vue environnemental. Dans le plus strict domaine des transports, ces deux ans ont aussi été marqués par une réforme ambitieuse de la SNCF qui a aussi été un temps politique fort ou encore l’arrivée dans le débat public du "free floating" (les vélos et autres scooters à louer via des applications sur le mobile) et de l’usage de la trottinette. Bref, 24 mois intenses dans le champ transport, indépendamment de la préparation et la négociation du texte.

Le texte est né comme un texte de modernisation, lié au besoin d’adapter le cadre législatif pour permettre notamment le développement des nouvelles mobilités (voyageurs ou marchandises) et de l’utilisation des données de mobilité. Le secteur des transports (y compris la logistique) est très encadré par des textes législatifs, mais le sujet ayant la réputation d’être peu "sexy" et un peu dangereux, il y a très peu de lois et de débats parlementaires qui lui sont dédiés. N’oublions pas aussi que la compétence transports a été très largement décentralisée : nous sommes dans un de ces nombreux domaines où les politiques publiques sont largement décentralisées, mais le pouvoir de régulation reste à l'État et au Parlement. Elisabeth Borne avait un triple objectif au départ : moderniser les textes (notamment sur les données de mobilité et la programmation des infrastructures mais aussi sur des dizaines d’autres sujets qui en avaient techniquement fortement besoin de toilettage), donner du sens par exemple en intégrant les dimensions sociales et péri-urbaines, et abordant le sujet de la "mobilité inclusive", et aider à mettre de la cohérence et de l’efficacité dans les actions des collectivités locales, ce qui supposait de ne pas ouvrir la boîte de Pandore des répartitions de compétences.
 
Pour être complet sur le contexte, il est utile de rappeler que les relations entre le gouvernement et le Sénat sont tendues. La LOM intégrant des sujets touchant aux compétences des collectivités locales et au financement des infrastructures, cette tension s’est clairement exprimée !


Les principales mesures proposées vont-elles dans le bon sens ?

MANON GUYOT

Le projet de loi va globalement dans le bon sens, notamment en ce qui concerne les mesures proposées pour accélérer la croissance des nouvelles solutions de mobilité. Nous pouvons saluer l’approche incitative pour encourager le développement du covoiturage, une solution encore sous développée en France. En effet, selon le sondage réalisé par l’Institut Montaigne en juin 2017, seuls 6 % des Français utilisaient ce mode de transport au quotidien. Depuis, la situation n’a que peu évolué. La mise en place de voies réservées au covoiturage ou aux véhicules les moins polluants sur les grands axes n’est pas nouvelle : ce dispositif est très répandu aux Etats-Unis depuis les années 70, notamment à Los Angeles, Seattle, ou Washington DC.
 
Dans son rapport Quelle place pour la voiture demain ?, l’Institut Montaigne privilégie le recours à des mécanismes incitatifs plutôt que des restrictions de circulation pour faire face aux enjeux de pollution dans les zones urbaines denses. C’est pourquoi l’option retenue dans la LOM de zones à faibles émissions mobilité (ZFE) - qui pourront être crées à l’initiative des collectivités locales pour interdire la circulation de véhicules polluants dans certaines zones, et à certaines heures dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants - nous paraît juste dans le diagnostic (urgence environnementale), mais inadaptée dans l’approche (coercitive au lieu d’être incitative).

Proposition n° 5  du rapport de l’Institut Montaigne : Mettre en œuvre des mécanismes incitatifs (plutôt que des restrictions de circulation) pour réguler le trafic et la pollution dans les zones urbaines les plus denses, de manière efficace et équitable.

Pour encourager l’abandon de la voiture individuelle au profit d’autres solutions de mobilité, il est essentiel de faciliter la planification et le paiement de trajets pour plusieurs modes de transport sur une plateforme unique (appelé Mobility as a Service). Depuis 2016 et le lancement de l’application Whim, Helsinki est devenue un banc d'essai mondial pour les solutions Mobility as a Service. La LOM souhaite inscrire la France dans cette dynamique, en accompagnant l’ouverture des données de l’offre de mobilité.
 
Par ailleurs, le numérique, et notamment l’utilisation des données récoltées, est essentiel à la réduction des fractures territoriales concernant l’offre de transports publics, qui est aujourd’hui trop rigide. Des services de transports collectifs à la demande (VTC collectifs) ont déjà été mis en place au Canada et gagneraient à être implantés en France. La LOM cherche justement à simplifier, pour les autorités organisatrices de la mobilité, le déploiement de nouveaux services, comme le transport à la demande.

Proposition n° 1 du rapport de l’Institut Montaigne : Susciter le développement, par les acteurs publics et privés de la mobilité, de solutions intelligentes et intermodales de transports permettant d’ajuster en temps réel l’offre à la demande ("VTC collectif" en zone peu dense notamment).

Bien que cette réalité semble encore lointaine, les véhicules autonomes feront leur apparition sur nos routes, peut-être plus rapidement que ce qu’on ne le pense. En effet, PWC estime qu'en 2030 en Europe 27 millions de véhicules autonomes (soit 13% de l'inventaire total) pourraient être responsables de plus de 40 % du kilométrage personnel. Il est donc impératif de préparer cette transition notamment pour nos industriels, et de combler le retard français en la matière, constaté par l’Institut Montaigne en 2017. C’est pourquoi la mise en place d’un cadre juridique pour mener des expérimentations de solutions nouvelles de mobilité dans les territoires peu denses, et pour autoriser la circulation des véhicules autonomes en régime permanent d’ici 2020 à 2022 va dans le bon sens. La France a beaucoup accéléré depuis la nomination d’Anne-Marie Idrac comme coordinatrice du sujet.

Proposition n° 8 : Combler le retard français en matière d’expérimentation de véhicules autonomes en conditions réelles. Pour ce faire, associer dans une logique d’innovation ouverte les différents acteurs de la mobilité (constructeurs, start-ups, opérateurs de transport, pouvoirs publics, etc.) afin de développer davantage de lieux et de programmes d’expérimentation et faciliter le financement des innovations.


Quel impact aura la LOM sur l'organisation territoriale des mobilités ?

AGNÈS AUDIER

Parce que les compétences sont décentralisées, la LOM impose peu, mais elle permet, par exemple, beaucoup plus de cohérence en permettant aux AOM (autorités organisatrices des transports) qui gèrent l’offre au niveau d’une métropole, d’une intercommunalité d’un département ou d’une région de développer des solutions alternatives à la voiture dans des zones dont personne n’était en charge. Ces AOM devront veiller "à l'existence de services d'information multimodale sur les services de transport et de mobilité". Donc vont se développer partout – et pas seulement dans les grandes villes – des applications vous offrant des options pour aller d’un point à un autre, en utilisant tous les transports publics disponibles, mais aussi les taxis et VTC.
 
Par ailleurs, le financement de ces nouvelles formes de mobilités est également un enjeu clé entre les échelons territoriaux. Sur le sujet financier, le vrai sujet est bien sûr le financement correspondant à la programmation des grandes infrastructures de transport pour les 15 prochaines années, laquelle traduit le résultat de plusieurs années de prise de conscience de l’urgence de redéployer les moyens financiers sur la maintenance, plusieurs années aussi de négociations entre les acteurs. C’est une étape importante, même si on peut regretter que le sujet du financement soit reporté à de futures lois de finances, ce qui affaiblit la portée du texte selon certains.
 
MANON GUYOT

Bien que la LOM ait pour objectif de renforcer le rôle de la région comme chef de file de la mobilité et de faciliter la coordination avec les autorités organisatrices de mobilité sur leur territoire, un enjeu de clarification des compétences entre les différents échelons dans l’organisation des offres de mobilité persiste. Le gouvernement devra faire un effort de pédagogie, notamment en vue des élections municipales 2020.


Copyright : PHILIPPE DESMAZES / AFP

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