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18/04/2019

Libye – premières leçons de l’offensive du Maréchal Haftar sur Tripoli

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Libye – premières leçons de l’offensive du Maréchal Haftar sur Tripoli
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

L’offensive de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) – dirigée par le Maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen – sur Tripoli, déclenchée le 4 avril, emporte en première analyse deux conséquences : elle marque probablement le début d’une "troisième guerre civile" libyenne ; elle fait apparaître sous un jour cruel les divisions, plus feutrées qu’ailleurs peut-être mais néanmoins essentielles pour comprendre la situation en Libye, entre les puissances extérieures intéressées.

Le conflit interne en Libye se double de plus en plus d’une guerre civile régionale, rappelant à certains égards celle qui s’éternise en Syrie, sans pour autant avoir dégénéré pour l’instant, comme c’est le cas en Syrie, en une guerre civile globalisée.

Le Maréchal Haftar et son rival, le Premier ministre siégeant à Tripoli, Fayez el-Sarraj, s’étaient retrouvés à Abou Dhabi en février sous les auspices des Nations Unies. Comme ils l’avaient fait à la Celle-Saint-Cloud au printemps 2017, dans le cadre d’une tentative de médiation française, puis à nouveau à Paris en mai 2018 et enfin à Palerme en novembre de la même année, à l’initiative cette fois des Italiens, les deux hommes s’étaient engagés à trouver un accord permettant de dégager la voie à des élections et au rétablissement d’institutions unifiées.

Il était clair en fait, au moins depuis la rencontre de Palerme, que l’agenda de l’ancien compagnon d’armes de Kadhafi se situait sur un autre terrain que celui d’un règlement politique. Sans doute le chef du camp de l’Ouest, Fayez el-Sarraj, en sa capacité de chef du Gouvernement d’Union Nationale (GUN) reconnu par la communauté internationale, mettait-il peu d’empressement à mettre en œuvre sa part du contrat. Si l’homme de Tripoli avait eu une attitude plus constructive au cours des dernières semaines, une chance aurait-elle existé que le Maréchal, soutenu de son côté par le parlement de Tobrouk (l’autorité rivale du Gouvernement d’Union Nationale), adopte une ligne moins agressive ? C’est tout à fait douteux pour au moins trois raisons.

En premier lieu, le profil de Khalifa Haftar rend difficile d’imaginer qu’il puisse sagement se plier aux contraintes d’un processus politique. Tous les diplomates qui l’ont rencontré décrivent un homme étranger aux considérations politiques, un chef militaire du bois dont on fait les dictateurs, prompt à qualifier de terroristes ses adversaires, persuadé que ses compatriotes ne sont pas mûrs pour la démocratie, adepte avant tout de l’ordre reposant sur la coercition.

Khalifa Haftar a maintenant 75 ans : sa conversion à la démocratie ou même simplement au sens du compromis eût été surprenante.

Entré en rébellion contre Kadhafi dans les années 1980 uniquement parce que le président libyen voulait lui faire porter le chapeau d’une défaite devant les Tchadiens, passé ensuite au service de la CIA, Khalifa Haftar a maintenant 75 ans : sa conversion à la démocratie ou même simplement au sens du compromis eût été surprenante. Le moment choisi pour lancer l’offensive sur Tripoli – alors que le Secrétaire général des Nations Unies, M. Gutierrez, y était en visite – montre bien son indifférence aux institutions internationales.

Il se trouve en second lieu que l’aventure du Maréchal comme chef de guerre de la Libye post-Kadhafi, après des débuts difficiles en 2014-2015, avait tourné de plus en plus au succès ces dernières années. Depuis sa base initiale de Benghazi, il réussit à prendre le contrôle du croissant pétrolier qui borde le Golfe de Syrte en 2016. Il progresse ensuite inexorablement, en amalgamant des forces diverses, allant des demi-soldes de l’époque Kadhafi aux salafistes dits "madkhalistes" (dont l’inspirateur, un cheikh saoudien, prône "l’obéissance au gouverneur" quel qu’il soit). L’ANL contrôle aujourd’hui 70 % du pays. Il est clair que le Maréchal a pensé que le rapport de force lui permettait de conquérir Tripoli et d’établir son pouvoir sur toute la Libye.

Ce pari va-t-il réussir ? Pour beaucoup d’observateurs, la réponse est non : Haftar avait compté sur le ralliements d’un certain nombre de milices et de factions tribales supposées toujours prêtes à tourner casaque ; en fait, l’autre grande force militaire du pays, les milices de Misrata, se sont portées au secours du Gouvernement d’Union Nationale qui a su aussi trouver des soutiens dans les groupes armés qui règnent à Tripoli (dont des groupes islamistes peu recommandables). Certains vont jusqu’à dire qu’un échec militaire devant Tripoli risque d'entraîner la chute politique du Maréchal. Le plus probable cependant reste une escalade du conflit. Un facteur important sera le soutien extérieur – et notamment l’approvisionnement en armes – dont bénéficieront les deux camps.

On en arrive ainsi à la troisième raison qui rendait prévisible un coup de force du Maréchal Haftar. Celui-ci reçoit depuis longtemps des armes des Emirats Arabes Unis – dont le panel d’experts des Nations Unies a constaté en 2017 et 2018 qu’ils ne respectaient pas l’embargo onusien ; il est soutenu par l’Egypte, avec laquelle il a passé des accords importants pour sécuriser la frontière égypto-libyenne. En mars, il était reçu par le roi d’Arabie saoudite, qui lui aurait consenti des crédits significatifs.

L’Armée Nationale Libyenne contrôle aujourd’hui 70 % du pays.

On dit qu’il vient d’effectuer un voyage secret à Moscou ; cela n’est pas sûr mais il est certain en revanche que les Russes ont entretenu avec lui ces dernières années un dialogue soutenu. Dans l’autre camp, sans surprise, on trouve comme ailleurs, la Turquie et le Qatar.

Et puis, il y les Européens. À Misrata, en ce moment, des manifestants défilent dans la rue en dénonçant l’aide de la France au Maréchal putschiste. Chacun sait en effet que le gouvernement français a appuyé l’ANL il y a quelques années par l’envoi de forces spéciales, voire des frappes aériennes, lorsque les troupes du Maréchal Haftar ont liquidé des poches de djihadistes qui s’étaient installées au sud et à l’est du pays. Un des atouts dont dispose le Maréchal vis-à-vis des Européens est sa capacité à faire barrage au retour des Libyens partis en Syrie dans les rangs de Daesh, ainsi qu’à empêcher le départ des migrants vers l’Europe. Bien qu’ayant souvent paru en concurrence, les Italiens et le Français, par leurs médiations, ont contribué à conférer une honorabilité au personnage. Seuls les Allemands – qui s’étaient abstenus sur la résolution 1973 autorisant l’intervention de 2011 – tiennent ferme dans leur réprobation du Maréchal Haftar. Les Britanniques s’efforcent de développer une action internationale en faveur d’un cessez-le-feu.

En apparence cependant, la communauté internationale reste unie dans son appel à la désescalade et son soutien à la médiation onusienne. On est encore loin de ce point de vue d’une "globalisation du conflit", auquel d’ailleurs Washington s’intéresse peu. Des "signaux faibles" montrent cependant les limites de l’unité des puissances concernées : l’Egypte ne s’est jointe à aucun appel commun ; la Russie n’a pas voulu que l’ANL soit mentionnée dans un texte du Conseil de Sécurité à New York ; chez les Européens, de forts soupçons pèsent sur le rôle jugé ambigu joué par la France. Très engagé sur le dossier, M. Le Drian se trouvait encore en Libye, où il a de nouveau rencontré M. Sarraj mais aussi le Maréchal, quelques jours avant l’offensive sur Tripoli. En termes d’image, la diplomatie française joue gros dans cette affaire : elle a donné l’impression au cours des dernières années de se compromettre avec un apprenti dictateur ; cette attitude risquée peut trouver une justification si cela lui donne les moyens aujourd’hui de faire passer des messages convaincants d’arrêt des combats au Maréchal Haftar. Cela serait d’autant plus important qu’au moment où ce dernier cherche à se réapproprier le rôle d’"homme fort" galonné, suscitant l’indulgence des puissances étrangères pour son hostilité aux islamistes, les Algériens et les Soudanais montrent que l’aspiration à se débarrasser des régimes autoritaires reste vivace dans la région.

 

Copyright : Mahmud TURKIA / AFP

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