AccueilExpressions par MontaigneL’IA et le service public : transformation profonde ou effet gadget ?La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Technologies13/11/2025ImprimerPARTAGERL’IA et le service public : transformation profonde ou effet gadget ?Auteur Alexandre Meyer Ingénieur du Corps des Mines L'administration, univers à haute intensité textuelle, se voit transformée par l’Intelligence artificielle. Gadget ? Ou levier de transformation ? À partir d'une étude en immersion qu'il a conduite, Alexander Meyer analyse 5 enjeux de l'IA dans l’administration, pour en montrer les bénéfices possibles et les effets pervers (inflation textuelle, homogénéisation des contenus et des approches, risque de paresse, boucle IA-IA ...). Plus largement, sa réflexion interroge sur les conditions auxquelles l'IA pourra réellement améliorer la productivité, au meilleur sens du terme. L’introduction de l’intelligence artificielle générative dans l’administration publique répond à une logique fonctionnelle forte : la nature massivement textuelle du travail administratif trouve un écho direct dans les capacités de génération, de synthèse et d’analyse de texte qu’offre l’IA générative. Cette complémentarité entre technologie et besoin métier crée un terrain propice à une transformation profonde. Son potentiel pour améliorer le service public est considérable. Cependant, l’adoption de l’IA générative n’obéit pas à une logique mécanique de progrès : ses effets sont tout sauf automatiques. L’effet de l’IA générative sur le travail administratif n’est ni uniformément positif ni mécaniquement négatif. Il est contextuel, réversible et dépend étroitement des conditions de son intégration. Son introduction dans l’administration peut ainsi servir deux trajectoires opposées : celle d’une modernisation réelle, fondée sur la simplification des pratiques et la revalorisation du rôle humain ; ou celle d’une automatisation partielle, appliquée en surface, sans transformation profonde, où l’IA générative devient un simple pansement technologique sur une complexité inchangée. Son impact sur les métiers, les organisations et la relation aux usagers est profondément conditionné par les choix faits en amont : conception des outils, modalités d’usage, gouvernance du changement. À ce titre, l’IA générative ne transforme pas le service public : elle agit comme un révélateur et interroge la capacité de l’administration à se transformer. Elle pose la question de la mutabilité du service public - sa capacité à évoluer avec son temps.Aller au-delà des fantasmesDepuis quelques mois, les administrations françaises utilisent de plus en plus fréquemment les grands modèles de langage. Que faut-il en attendre ? Destruction d’emplois, déshumanisation des métiers ? Ou, au contraire, débureaucratisation des démarches ? À moins que la technologie ne glisse sur des fonctionnaires imperméables à toute innovation… Entre visions catastrophistes et promesses miraculeuses, les discours sont tranchés - souvent trop. D’un côté, on présente l’IA comme une réponse miracle : capable d’absorber la surcharge de travail, de compenser les difficultés de recrutement, d’améliorer la qualité des services rendus aux usagers, de simplifier les procédures administratives. De l’autre, on y voit au contraire une menace existentielle : robotisation des fonctions, appauvrissement des métiers, perte de sens pour les agents.Entre visions catastrophistes et promesses miraculeuses, les discours sont tranchés - souvent trop.Mais que se passe-t-il réellement, loin des narratifs médiatiques ? Quels usages les agents font-ils de ces outils ? Gagnent-ils réellement du temps ? Leur quotidien s’en trouve-t-il profondément transformé ou seulement modifié à la marge ? Comment l’usage de cette nouvelle technologie modifie-t-il la qualité du travail et la gestion des compétences ?Déshumanise-t-il le travail ou peut-il (paradoxalement) réhumaniser certains métiers ? Et surtout : l’IA générative représente-t-elle une véritable transformation du service public, ou n’est-elle qu’un gadget technologique plaqué sur des structures inchangées ?Une enquête de terrainAu-delà des projections théoriques et des exercices de prospective, rares sont les études qui plongent au cœur des usages concrets de cette technologie, et plus rares encore celles qui explorent les pratiques au sein de l’administration. Durant 8 mois, c’est précisément une enquête de terrain que l’auteur a menée, auprès d’agents, d’usagers et de concepteurs de solutions IA générative dans différents services publics (administrations centrales et déconcentrées, direction régionales, cour de justice, autorités indépendantes...). Près de 100 entretiens semi-directifs et 4 immersions au sein d’équipes concernées par des projets d’IA générative ont permis de dresser un tableau nuancé, parfois inattendu, de la manière dont ces outils s’insèrent dans les pratiques quotidiennes.L’objectif était clair : donner la parole aux premiers concernés, et documenter les formes silencieuses mais réelles de transformation à l’œuvre dans les métiers de l’administration.La première observation que l’on puisse faire, à contre-courant de certaines idées reçues, c’est que l’administration n’est pas restée en marge de l’exploration de cette nouvelle technologie (même si beaucoup reste à faire en termes de passage à l'échelle et de mise en production). Les initiatives foisonnent. L’IA Générative, popularisée auprès du grand public avec le lancement de ChatGPT fin 2022, s’est diffusée de manière rapide dans l’administration. En à peine 2 ans, elle a trouvé sa place dans les pratiques quotidiennes d’un nombre significatif d’agents, tous niveaux hiérarchiques confondus et au sein de tous les ministères, agences et autorités administratives indépendantes rencontrés.Ici, l’IA s’appelle Albert, et c’est un assistant qui aide les conseillers des France Services (des guichets de proximité destinés à accompagner les usagers dans leurs démarches administratives) en leur suggérant des réponses possibles, les sources officielles correspondantes, ainsi que des liens et fiches pratiques utiles. Là, elle prend le nom de LlaMandement : la direction générale des Finances Publiques (DGFiP) utilise l’IAG pour résumer et analyser les très nombreux amendements de la Loi de Finance, afin de mieux préparer les débats parlementaires. Elle résume 10 000 amendements en moins de quinze minutes. Dans une direction régionale, une équipe d’inspecteurs utilise un modèle génératif pour analyser des dossiers techniques volumineux; ici, elle répond au nom de LIRIAE (Liseuse et Recherche Intelligente pour les autorités environnementales). Dans un ministère, une cellule d'expertise teste des assistants pour naviguer dans des bases réglementaires éclatées. À Ballard, on a préféré "GenIAl" pour prénommer l’assistant IA polyvalent pour les agents du ministère des Armées, tandis que celui du ministère de l'Intérieur a pris le doux nom de MirAI. Chez France Travail, le ChatGPT des agents s’appelle ChatFT ; il leur permet de leur libérer du temps passé sur des tâches administratives.Un peu partout, des agents ouvrent, souvent discrètement, des fenêtres d’expérimentation.Cinq grandes leçonsDe ces projets d’intégration de l’IA générative, suivis sur un an, émergent cinq enseignements majeurs. Ensemble, ils dessinent une histoire contrastée : celle d’un outil qui répond à une nécessité fonctionnelle forte, qui transforme en profondeur le travail administratif… mais dont l’impact dépend entièrement de la manière dont il est intégré.Leçon 1. Un outil taillé pour la haute intensité textuelle de l’administrationSi ces outils suscitent autant d’intérêt, c’est en raison de la très forte intensité textuelle qui est au cœur de l’action bureaucratique : l’administration bat au rythme des mots : notes, rapports, circulaires, délibérations, courriels, procédures. Les tâches sont denses, répétitives, exigeantes. Et c’est précisément là que l’IA générative trouve sa place. Son introduction dans l’administration publique répond à une logique fonctionnelle forte : celle de l’intensité textuelle du travail administratif, à laquelle répond la capacité de génération et d’analyse de texte de l’IA générative. Dans un univers saturé de documents, de dossiers et de normes, ces outils apportent une aide directe et concrète pour :la production de documents standardisés ou semi-standardisés ;la génération de synthèses à partir de dossiers volumineux, hétérogènes ou techniques;la recherche d’information dans des corpus éclatés ou mal indexés, notamment dans les bases réglementaires, les textes budgétaires ou les guides internes, même quand ceux-ci sont répartis entre fichiers Word, mails et intranet ;la traduction de documents, en particulier pour les services en contact avec des publics non francophones, ou dans les ministères à dimension européenne et internationale ;la transcription de réunions ou d’échanges avec les citoyens, qui permet aux agents de se concentrer sur l’interaction avec l’usager plutôt que sur la prise de notes ;l’idéation : brainstorming, formulation de propositions, exploration de solutions, ou rédaction d’avant-projets de texte (note, discours, argumentaire) ;En somme, l’IA générative ne frappe pas à une porte inconnue : elle s'insère dans un univers textuel dont elle parle la langue.Leçon 2. L’IA générative reconfigure les tâches et, au travers d’elles, les métiersL’IA générative reconfigure la répartition des tâches et redéfinit les pratiques professionnelles.C’est d’abord la nature des tâches qui est modifiée : lorsqu’ils décident d’utiliser l’IA générative, la tâche des agents n’est plus de produire un document (note, mail, code informatique) mais de spécifier les caractéristiques du contenu attendu.C’est d’abord la nature des tâches qui est modifiée : lorsqu’ils décident d’utiliser l’IA générative, la tâche des agents n’est plus de produire un document (note, mail, code informatique) mais de spécifier les caractéristiques du contenu attendu (ce qu’on appelle un "prompt", c’est-à-dire les instructions données à l’IA générative en langage naturel) et d’en contrôler la teneur et la qualité après génération par l’IA générative.Dans les faits, l’IA générative ne supprime pas le travail : elle le déplace, le fragmente, le recompose. Le cœur du travail ne réside plus dans la production d’un contenu, mais dans la capacité à formuler un besoin, à interpréter une réponse, à filtrer, corriger, ajuster. Ce mouvement vers un rôle de "méta-producteur" suppose de nouvelles compétences (curation, esprit critique, capacité de prompting…).C’est ensuite, la rapidité d'exécution des tâches qui évolue : certaines activités routinières sont automatisées ou accélérées, tandis que de nouvelles compétences émergent : formulation de requêtes efficaces, contrôle critique des résultats générés, réécriture, orchestration d’outils.Mais une fois introduite dans les pratiques, l’IA générative ne se contente pas d’alléger la charge de travail : elle reconfigure subtilement les gestes professionnels, mais aussi les relations de travail, les chaînes de validation et, plus largement, le sens du métier. L’IA générative ne change pas les métiers du jour au lendemain - elle les fait évoluer de l’intérieur. Les réunions changent de dynamique : moins de prise de notes frénétique, plus d’interactions humaines. La posture professionnelle évolue. Certains agents s’y sentent libérés, d’autres déstabilisés. L’IA générative ne remplace pas les métiers - elle en déplace les frontières, redéfinissant peu à peu ce que signifie "faire son travail".Leçon 3. L’impact réel de l’IA générative n’est pas déterministe mais dépendant des modalités de son intégrationL’impact réel de l’IA générative sur le travail reste souvent ambivalent. Son effet n’est pas déterministe mais bien dépendant des modalités de son intégration. Selon les pratiques instaurées, l’IA générative peut aussi bien :- augmenter la productivité ou la réduire : du côté de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP), l’IA générative "Llamandement" a permis de traiter les 5 400 amendements au projet de loi de finances 2024 en 15 minutes, là où l’opération mobilisait auparavant plusieurs dizaines d’heures (attribution aux bons services, identification d’amendements similaires, rédaction de résumés). Mais cet effet d’accélération est loin d’être systématique. Plusieurs agents soulignent que le temps gagné peut être en partie compensé, voire annulé, par le temps investi : en amont, pour formuler un prompt pertinent, souvent par essais-erreurs, mais aussi en aval, pour relire, corriger, reformuler les contenus produits. Par ailleurs, si l’IA générative accélère l’exécution des tâches, elle induit en retour une augmentation mécanique du volume de travail global. Une dynamique paradoxale - bien connue sous le nom "d’effet rebond" se met en place : parce qu’il est plus facile et plus rapide de produire des contenus, plus de contenus sont effectivement produits. On assiste ainsi à une inflation textuelle dans de nombreux services : plus d’e-mails à traiter, plus de réponses détaillées aux appels d’offres, plus de documents générés en interne. L’IA générative abaisse les barrières à la production écrite et rend ainsi l’exigence de réponse plus intense. Le temps gagné sur la rédaction est souvent réinvesti dans plus de rédaction. Une dynamique paradoxale - bien connue sous le nom "d’effet rebond" se met en place : parce qu’il est plus facile et plus rapide de produire des contenus, plus de contenus sont effectivement produits.- Améliorer ou dégrader la qualité du travail : dans plusieurs cas d’usage, l’IA générative permet une amélioration sensible de la qualité des services rendus. Sur la plateforme Services Public+, où les usagers peuvent laisser un avis et recevoir une réponse de l’administration, 68 % des usagers jugent utile une réponse rédigée à l’aide de l’IA générative (puis validée par un agent), contre 57 % pour les réponses entièrement humaines.Deux raisons principales sont évoquées : d’une part, des formulations perçues comme plus polies, plus respectueuses ; d’autre part, des contenus plus riches et contextualisés, l’IA générative s’appuyant sur les bases de connaissance internes à l’administration. Plus largement, les agents notent un nivellement par le haut de certaines dimensions du travail. Moins de fautes d’orthographe, moins d’oublis dans les comptes rendus ou les notes de réunion, un accès facilité et homogène à l’information grâce aux corpus intégrés dans les modèles… autant d’effets qui concourent à démocratiser la qualité du travail écrit et à élever le niveau global de certaines productions. Mais cette montée en qualité individuelle ne va pas sans effets ambivalents à l’échelle collective. Plusieurs agents expriment une inquiétude croissante face à l’homogénéisation des contenus : une forme de standardisation s’installe, qui peut appauvrir la diversité des styles, des approches, voire des argumentations. Cette homogénéisation nourrit une suspicion croissante envers l’origine des productions écrites : "Cette note a-t-elle été rédigée par ChatGPT ? Est-elle relue ? Est-elle fiable ?" Dans un univers administratif où la culture de l’écrit fonde la confiance professionnelle, cette incertitude fragilise les repères collectifs et les mécanismes de validation implicites. À cette homogénéisation s’ajoute un risque plus insidieux : la baisse de vigilance des agents, parfois décrite comme un effet de "falling asleep at the wheel" [s'endormir au volant]. L’habitude de recevoir des contenus clairs, bien structurés, et rapidement disponibles peut conduire à une forme de paresse intellectuelle, où l’agent devient lecteur passif plutôt qu’auteur ou évaluateur critique.- déshumaniser ou au contraire réhumaniser les relations entre agents et avec les usagers. Lorsqu’elle se substitue à l’échange humain (à travers des chatbots, des assistants vocaux ou des réponses automatisées), l’IA générative est perçue par certains comme un facteur de déshumanisation. Les usagers, confrontés à des interfaces impersonnelles, ont parfois le sentiment d’un service standardisé, désincarné, voire inaccessible. Mais, de façon paradoxale, certains usages de l’IA générative semblent contribuer à une forme de réhumanisation de la relation. Plusieurs agents soulignent que l’automatisation de certaines tâches (rédaction d’emails types, traitement initial des demandes, tri des dossiers) leur permet de dégager du temps pour les interactions humaines : répondre au téléphone, accueillir en personne, écouter avec attention. Dans ces situations, l’IA générative joue un rôle de soutien, en arrière-plan, et non de substitut. L’exemple de France Travail est particulièrement éclairant. L’intégration du speech-to-text via ChatFT Écoutes, qui retranscrit automatiquement les échanges oraux, permet aux agents de s’affranchir de l’écran et du clavier, pour revenir à une posture d’écoute active. "Avant, cela ressemblait à une déposition dans un commissariat", raconte un agent. Désormais, le regard et la parole redeviennent centraux dans l’entretien, facilitant une relation plus fluide, plus humaine, centrée sur l’usager plutôt que sur le formulaire. Ces retours soulignent une vérité importante : ce n’est pas tant l’IA générative elle-même qui humanise ou déshumanise, mais la manière dont elle est déployée, les choix d’interface, de posture, de complémentarité entre humains et machines. Lorsqu’elle est utilisée pour délester l’agent de certaines contraintes, elle peut renforcer la dimension humaine du service public. Lorsqu’elle remplace le lien humain, elle en sape la nature même.Ce n’est pas tant l’IA générative elle-même qui humanise ou déshumanise, mais la manière dont elle est déployée, les choix d’interface, de posture, de complémentarité entre humains et machines.Cette absence de déterminisme explique la diversité des observations de terrain. Certains projets d’IA générative portent une véritable promesse de simplification et de modernisation du service public, en réduisant la bureaucratie et en facilitant le travail des agents, voire en le ré-humanisant. D’autres, en revanche, n’apportent qu’une amélioration superficielle ou renforcent les rigidités existantes.Leçon 4. L’IA générative est trop souvent mobilisée comme un simple "pansement technologique"Trop fréquemment, l’IA générative est mobilisée comme un simple "pansement technologique" sur la complexité administrative plutôt qu'un véritable levier de modernisation des métiers, appliqué à la marge pour compenser la lourdeur ou la complexité des processus existants, sans remise en question des organisations ni transformation structurelle. Si certaines expérimentations démontrent une réelle promesse de modernisation, d'autres usages ne produisent qu’un effet cosmétique, et peuvent même, paradoxalement, accroître la bureaucratie, en superposant une couche technologique sans repenser les processus sous-jacents : on peut très bien automatiser une complexité inutile. Le risque : perpétuer la complexité administrative plutôt que de la simplifier. Au lieu de transformer en profondeur les organisations de travail, l’IA générative pourrait amplifier les rigidités existantes. Pire, dans certains cas, l’IA semble se parler à elle-même. Cette "boucle IA-IA" - déjà observée dans certaines procédures administratives - interroge la pertinence et la finalité de l’usage de l’IA générative. Par exemple, des entreprises mobilisent des IA génératives pour générer automatiquement des réponses aux appels d'offres, parfois volumineuses et standardisées ; en retour, l’administration emploie l’IA générative pour filtrer, classer et évaluer ces mêmes dossiers. Le même phénomène est observé dans le champ parlementaire, où l’IA générative est utilisée pour rédiger des amendements en grand nombre, tandis que l’administration s’en sert pour les trier, les résumer et les affecter aux bons services. Quel intérêt à utiliser l’IA générative pour analyser des amendements eux-mêmes rédigés par l’IA ? Ces usages extrêmes invitent à repenser les conditions d’un usage "juste" de l’IA générative, c’est-à-dire orienté vers l’amélioration du service rendu, sans perte de substance ni d’humanité dans les processus. Ils rappellent que l’utilité d’une innovation ne se mesure pas seulement à sa performance technique, mais à sa capacité à renforcer la qualité, la clarté et le sens de l’action administrative.Ainsi, sans réflexion sur l’ensemble des processus, l’intégration de l’IA générative pourrait se limiter à une automatisation inefficace.Leçon 5. Sans espaces de discussions collectives et sans vision claire sur sa finalité d’utilisation, l’IA générative risque de rester un simple gadgetDe nombreux agents expérimentent l’IA générative de manière individuelle, sans cadre officiel, parfois sans en parler autour d’eux. Cette pratique du "shadow AI" traduit un réel appétit pour l’innovation, mais aussi l’absence d’espaces de discussion collectifs. Ce silence freine l’adoption, le partage des bonnes pratiques et la réinvention des pratiques professionnelles. L’innovation avance, mais souvent en marge des structures formelles, dans une zone grise entre initiative personnelle et absence de stratégie collective. À l’inverse, certains déploiements top-down, imposés sans concertation et sans laisser aux équipes la possibilité d’expérimenter et d’identifier elles-mêmes les cas d’usage pertinents, suscitent méfiance et freins. De nombreux agents expérimentent l’IA générative de manière individuelle, sans cadre officiel, parfois sans en parler autour d’eux. Cette pratique du "shadow AI" traduit un réel appétit pour l’innovation, mais aussi l’absence d’espaces de discussion collectifs.Par ailleurs, si l’IA générative est de plus en plus adoptée à titre individuel par les agents, son déploiement à l’échelle suscite des inquiétudes collectives sur la transformation des métiers.Dans chacun des trois précédents cas, l’absence de dialogue risque de générer une perception biaisée et négative de l’IA générative, compromettant ses bénéfices potentiels et risquant de faire rater son intégration au sein des collectifs de travail.De l’outil au levier de transformation : le véritable enjeu est de transformer l’administration, pas seulement l’équiperQue retenir de ces leçons ? Notre enquête de terrain le montre : le potentiel de l’IA générative est considérable. Mais il ne se concrétisera que si elle est pensée comme une opportunité de refonder les pratiques administratives, et non comme une solution miracle plaquée sur des structures inchangées.L’IA générative peut véritablement contribuer à débureaucratiser et réhumaniser les métiers du service public - mais à une condition essentielle : qu’elle soit déployée non comme une solution technique plaquée sur l’existant, mais comme un levier de transformation organisationnelle et professionnelle. Plus précisément, son potentiel se réalisera notamment si :Elle est l’occasion de repenser, simplifier et améliorer les procédures métiers des agents, si l’IA générative est mise au service d’une simplification réelle des procédures, et non d’une automatisation d’une complexité inchangée ;Elle libère du temps aux agents pour les faire renouer avec le cœur de leur mission : contact social avec les usagers des services publics : accueil, accompagnement, prise de décision… ;Elle est mobilisée dans des contextes où les tâches sont maîtrisées par les agents, qui sont alors en mesure d’en contrôler la qualité et la véracité - et non la subir comme une "boîte noire" imposée.Elle permet à l’administration de remplir pleinement son rôle alors qu’une surcharge l’empêchait de le faire auparavant, en raison de délais contraints et moyens humains limités.Elle s’inscrit dans une logique de co-construction avec les agents et les usagers, en leur laissant le temps et l’espace pour expérimenter, identifier les cas d’usage utiles, et adapter l’outil à leur réalité professionnelle et à leurs besoins concrets. L’IA générative interroge la mutabilité du service public - sa capacité à évoluer avec son temps. Historiquement, les administrations ont su s’adapter aux transformations sociotechniques majeures. L’IA générative constitue une nouvelle inflexion de cette longue trajectoire : elle appelle non seulement à intégrer une technologie, mais aussi à repenser l’organisation, la posture professionnelle et le lien aux usagers, dans un contexte de montée des attentes en matière de proximité, d’agilité et de personnalisation.La mutabilité, pour le service public, ne signifie pas céder à toutes les injonctions technologiques, mais discerner, expérimenter, ajuster.La mutabilité, pour le service public, ne signifie pas céder à toutes les injonctions technologiques, mais discerner, expérimenter, ajuster. Cela suppose une gouvernance plus horizontale, des espaces d’expérimentation réels, une capacité à associer les agents comme les usagers à la construction des usages. C’est à ce prix que l’IA générative pourra devenir non pas une couche technique supplémentaire, mais un moteur de transformation organique, utile et au service de l’intérêt général.Copyright image : Thibaud MORITZ / AFP L’ancienne ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique Clara Chappaz lors d’une réunion à Paris le 26 août 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneJanvier 2024Pour une Autorité française de l’IAL'année 2023 a été marquée par la déferlante IA. Le monde a découvert ChatGPT, l’intelligence artificielle à usage général de l’entreprise américaine OpenIA. Alors que plusieurs pays leaders de l’IA ont déjà pris les devants en annonçant la création de leurs propres Instituts de Sûreté de l’IA et que l’Europe s’apprête à mettre en place des règles contraignantes en matière de développement et d’usage, la France manque à l’appel de cette réflexion et prend un retard impardonnable.Consultez la Note d'action 11/02/2025 Intelligence artificielle, efficacité automatique ? Transformations de notr... Nicolas Spatola 30/01/2025 Deepseek : la réussite, et le conte de Noël chinois François Godement 11/03/2024 Préparons proactivement l’Europe à la révolution de l’IA Aiman Ezzat Paul Hermelin