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12/05/2014

Les contre-vérités de la sortie de la monnaie unique

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Les contre-vérités de la sortie de la monnaie unique
 Institut Montaigne
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Tribune de Claude Bébéar parue dans Le Figaro économie du 12 mai 2014

Faire de la pédagogie de l'euro nécessite de regarder au-delà de nos frontières et de le prendre pour ce qu'il est, sans doute l'événement économique le plus important de ce début de XXIe siècle. Il est ainsi le levier majeur de la création d'un ensemble qui pourrait être la première puissance économique mondiale, regroupant 500 millions d'habitants pour le PIB le plus élevé et le quart des échanges planétaires.

Depuis douze ans, l'euro a permis la réalisation d'un grand marché européen, débouché essentiel et principal des produits et des services français. En outre, il a installé un environnement de stabilité des prix dans l'ensemble de la zone euro, qui avait connu dans les années 1980 une inflation de 7% par an. Chacun a d'ailleurs pu constater pendant la crise provoquée par l'économie américaine en 2008 que l'euro a permis une stabilité économique forte et évité une explosion des taux d'intérêt. Contrairement à ce que les responsables politiques français avancent souvent, la monnaie unique ne bride pas le commerce ni les exportations puisque la zone euro a dégagé un excédent de plus de 150 milliards d'euros en 2013 et qu'elle maintient ses parts de marché. Le "choc de compétitivité" attendu d'une sortie de l'euro - ou même d'une forte dévaluation - est une chimère dont les effets seraient de courte durée. Seules des réformes structurelles peuvent avoir un impact réel et de long terme sur la compétitivité de l'économie française. Le retour à un franc dévalué par rapport à l'euro ne serait que le début d'une vaste guerre commerciale avec nos meilleurs partenaires. Elle ne permettrait en rien la restauration de notre compétitivité puisque les exportations de la France hors zone euro ne représentent que 11% du PIB français contre 20% du PIB pour l'ensemble de la zone euro.

Il faut rappeler sans relâche les vrais effets, de court et de long termes, d'une sortie ou d'un éclatement de l'euro, même négocié. Calculés à plusieurs reprises depuis 2012, ils ressemblent à un tsunami économique : appauvrissement des épargnants, renchérissement des importations (notamment l'essence et de nombreux produits de consommation courante) mise à mal de notre agriculture directement menacée par nos voisins italiens et espagnols, mise en danger de nos établissements financiers, explosion de la charge de la dette publique, assèchement du financement pour nos entreprises et pour l'État. Très difficile à chiffrer, ce choc économique représenterait, selon l'Institut Montaigne, une destruction de 12% de notre richesse nationale et d'un million d'emplois.

L'évocation de cet engrenage n'a que peu de prise sur le discours des plus démagogues de nos représentants politiques, qui garnissent les rangs du large front qui a fait de l'euro le bouc émissaire des difficultés passées et actuelles. Cette curieuse alliance regroupe l'extrême gauche et l’extrême droite, attirant ceux qui préfèrent ignorer les conséquences de la mondialisation et reporter sempiternellement les efforts d'ajustement de notre pays. On ne s'étonnera pas de trouver à leurs côtés une partie de la presse nord-américaine et britannique - pourtant de qualité -, qui ne rechigne pas à semer le doute sur la soutenabilité de la zone euro.

Les arguments des contempteurs de l'euro mettent en avant la perte du pouvoir protecteur de l'Europe depuis qu'elle a laissé muter une crise périphérique - celle de la Grèce - en une crise systémique. Des faits tangibles alimentent cette défiance, comme par exemple l'érosion très forte de la part de marché mondiale de la France (-44% entre 1999 et 2013 contre -18% pour l'Allemagne) : ils n'ont pourtant rien à voir avec la monnaie unique. Ils renvoient à notre propre incapacité à nous réformer. Pendant des années, les faibles taux d'intérêt permis par l'euro ont anesthésié les efforts de réforme et alimenté une certaine forme de paresse politique.

Si certains Français ont le sentiment d'avoir perdu leur prospérité comme leur souveraineté à cause de l'euro, se sont  bien les décisions de nos gouvernements successifs, et pas de la Commission européenne ni de la BCE, qui ont sans cesse retardé la modernisation du fonctionnement de notre pays et les réformes structurelles qu'elle exige. Curieuse démocratie où des personnalités non élues - entrepreneurs, intellectuels, hauts fonctionnaires... - montent au front rappeler les dirigeants politiques à leur devoir de vérité et de réforme.

Nous voulons un choc de compétitivité ? Il ne dépend que de nous-mêmes. Commençons par refuser le mensonge énorme selon lequel il serait plus facile de sortir de l'euro que d'en finir avec les 35 heures. Qu'il serait impossible de réformer le fonctionnement souvent irréel du marché du travail français. Que nous devrions garder 40 000 collectivités locales. Ou encore qu'économiser 50 milliards d'euros sur un total de 1200 milliards de dépenses publiques est une marche impossible à franchir.

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