AccueilExpressions par MontaigneLégislatives en Moldavie - "C’est une partie de l’avenir de l’UE et de la politique d’élargissement...La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Europe01/10/2025ImprimerPARTAGERLégislatives en Moldavie - "C’est une partie de l’avenir de l’UE et de la politique d’élargissement qui se joue"Auteur Florent Parmentier Secrétaire général du CEVIPOF Des élections législatives en Moldavie se sont tenues le 28 septembre, huit mois après une élection présidentielle qui s’était déroulée dans un climat d’extrême tension et s’était doublée d’un référendum sur la constitutionnalisation de l’intégration européenne, où le “oui” l’avait emporté de justesse avec 50,35 % des voix (50% de participation). Ingérence russe, débats intérieurs et place de l’UE dans ce petit pays de 2,6 millions d’habitants à la frontière de l’Ukraine : quel bilan peut-on dresser de cette nouvelle élection ? Un entretien avec Florent Parmentier. Quel premier bilan de la présidence de Maia Sandu peut-on établir et comment la présidente s’est-elle positionnée durant la campagne ?La récente séquence électorale correspond bien au mouvement de balancier qui caractérise la vie politique moldave depuis 1991 : une préférence européenne contrebalancée par les effets de la dépendance envers la Russie. Longtemps, les Moldaves se sont accommodés d’une double logique : se rapprocher de l’UE tout en entretenant de bonnes relations avec la Russie. Ainsi, lors de la présidentielle de 2020, Maia Sandu a été élue sans disposer de la majorité requise pour satisfaire son ambition pro-européenne. En revanche, en 2024, elle a eu suffisamment de voix pour mettre en œuvre une politique de rapprochement avec l’UE. L’invasion russe, et la guerre en Ukraine, étaient passées par là : la guerre aux portes de l’UE est une véritable source de terreur, d’autant plus forte que ses conséquences sont tangibles : les Moldaves ont vu défiler sur leur territoire un million de réfugiés ukrainiens, dont 110 000 sont restés dans le pays. Le pays était jusqu’alors considéré comme secondaire dans la politique de partenariat oriental.La menace de la guerre a ainsi permis de faire évoluer le positionnement géopolitique de la Moldavie, aussi bien côté moldave que côté européen. Le pays était jusqu’alors considéré comme secondaire dans la politique de partenariat oriental, ce volet de la politique européenne de voisinage lancé en 2009 à l’adresse de six pays partenaires d'Europe orientale, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, l'Ukraine, la Biélorussie, la Géorgie et, bien sûr, la Moldavie.Cette dernière pesait peu politiquement, ses dirigeants étaient peu visibles et mal connus, face au mastodonte ukrainien, qui représente 60 % de la population, des richesses et de la superficie de tous les pays concernés par la politique de partenariat oriental. Le revenu par tête en Moldavie était moitié moins important que celui de l’Ukraine.L’invasion russe a tout changé : la Moldavie n’est plus un pays parmi d’autres, dans l’ensemble de ceux qui veulent se rapprocher de l’UE. Elle est devenue, du fait de sa frontière partagée avec l’Ukraine, un pays prioritaire dans un contexte régional fortement perturbé : la Biélorussie est sous l‘emprise des Russes. L’Ukraine est en guerre. La Géorgie a tourné le dos à l’UE depuis les élections législatives du 26 octobre où le parti “Rêve géorgien” fondé par l’oligarque Bidzina Ivanishvili l’a emporté avec 54 % des suffrages et que le Premier ministre Kobakhidze, prorusse, a annoncé le report des négociations d’entrée dans l’UE jusqu’en 2028 (alors même que cet objectif était inscrit dans la Constitution de la Géorgie). Les relations entre l’Azerbaïdjan et l'Arménie sont peut-être en voie de normalisation mais Erevan et Bakou regardent vers Washington et ne comptent plus guère sur l’Europe. Le bilan est donc bien que la Moldavie est le seul pays pour lequel la politique de voisinage fait encore sens. Volodymyr Zelenski s’en est fait l’écho, en déclarant à la tribune de l’Assemblée générale de l'ONU le 24 septembre “nous avons déjà perdu la Géorgie, ne perdrez pas la Moldavie” et l’UE en est consciente : Ursula von der Leyen, en déplacement à Chisinau en octobre 2024, avait annoncé un plan d’aides de 1,9 milliard d’euros pour la Moldavie, approuvé en mars par le Parlement. Ce regain d’intérêt des Européens était aussi manifeste le 27 août dernier, lors de la visite à Chisinau des dirigeants du triangle de Weimar, le Polonais Donald Tusk, l’Allemand Fridrich Merz et Emmanuel Macron, à l’occasion de la fête de l’indépendance.Ces investissements européens et cette prise de conscience moldave expliquent la netteté du résultat des scrutins.Mouvement alternatif national de Ion Ceban, PAS, Bloc électoral patriotique (communistes et socialistes, pro-Russes) : quelles sont les principales forces politiques moldaves et comment les caractériser ?Longtemps, les clivages partisans dans la République de Moldavie n’ont pas recouvert les clivages qui sont classiques dans la culture ouest-européenne. Les partis dits de gauche étaient plus favorables aux valeurs traditionnelles, tournés vers Moscou, favorables aux minorités russophones mais très éloignés de la défense des minorités “culturelles” (de genre etc.). Les partis de droite quant à eux étaient plutôt favorables aux partenariats avec la Roumanie et l’UE, partagés entre la promotion des valeurs traditionnelles ou des valeurs de tolérance. Un certain consensus, quels que soient les partis, était la règle concernant les sujets économiques : lutte contre la pauvreté et l’inflation.Le Parti action et solidarité créé en 2016 par Maia Sandu, économiste qui a travaillé pour la Banque Mondiale, et présidé depuis 2020 par Igor Grosu, est un parti de centre droit pro-européen, qui serait assimilé au PPE. Il s’agit d’un parti gestionnaire, favorable à un rapprochement pragmatique avec la Roumanie, ce qui explique le poids de la diaspora au sein de son électorat : le parti dispose d’un fort socle électoral sur le territoire national, 44 %, mais il ne dépasse la majorité que grâce à sa diaspora (+ 6 points, ce qui est considérable).La diaspora moldave joue d’ailleurs un rôle fondamental dans la dynamique électorale. L’Italie compte par exemple 110 000 Moldaves, qui ont souvent la double nationalité (avec la roumaine) et sont largement spécialisés dans les fonctions liées au soin. Cette migration de travail, installée en dehors des frontières moldaves sur le long terme, est acquise au PAS. 75 bureaux de vote pour cette diaspora étaient installés en Italie, où Maia Sandu s’était d’ailleurs rendue avant les élections législatives pour rencontrer Giorgia Meloni et le pape Léon XIV. Le PAS a ainsi obtenu 80 % des suffrages des Moldaves établis en Italie.C'est une tendance spécifique à la Moldavie : la diaspora roumaine, elle, avait plutôt soutenu les candidats nationalistes (George Simion, qui a repris le flambeau de l’ex-candidat d’extrême-droite à la présidentielle Călin Georgescu, dont l’élection en novembre 2024 avait été annulée en raison de soupçons d’ingérence étrangère)Face au PAS, on trouve une alliance de trois partis pro-russes, anciennement hégémoniques : le “Bloc des Patriotes”, composé des socialistes d’Igor Dogon, des communistes et du Parti de la Renaissance). Il a remporté environ un quart des voix, soit environ trente députés.Le Parti des socialistes de la République de Moldavie (PSRM), dirigé par Igor Dodon, constitue le pilier du bloc prorusse. Issu d’une scission du Parti des communistes en 2011, il a rapidement gagné en influence, remportant les législatives de 2014 et propulsant Dodon à la présidence de la République entre 2016 et 2020. Défenseur d’un rapprochement stratégique avec Moscou, le PSRM milite pour l’intégration à l’Union économique eurasiatique et affiche son euroscepticisme. Son discours conservateur et souverainiste séduit une partie de l’électorat rural et russophone. Mais depuis la montée en puissance du PAS pro-européen, le PSRM recule : il ne recueille plus que 24 % des voix aux législatives de 2025, malgré une alliance avec les communistes et d’autres formations prorussesLe Parti des communistes pèse particulièrement lourd dans ce bloc. Il avait remporté la majorité absolue au Parlement en 2001 (il avait même la majorité constitutionnelle, c’est-à-dire le seuil de voix à partir duquel un parti peut modifier la Constitution à lui tout seul) et 2005. Eurosceptique sans être anti-européen, le PC moldave veut favoriser le rapprochement avec Moscou, escomptant ainsi bénéficier d’une énergie à bas coût. Le prédécesseur de Maia Sandu à la présidentielle, Igor Dodon (2016-2020) émanait de ses rangs. Le PC moldave va néanmoins en s’affaiblissant : son leader, Vladimir Voronine, âgé de 84 ans, est vieillissant.Mentionnons aussi le parti Cœur de la Moldavie, d’Irinia Vlah, qui a été interdit d'activité pendant douze mois le 26 septembre, à l'avant-veille des élections. Il faisait partie du Bloc des Patriotes, ce qui a obligé la coalition à refaire toute sa liste, avec la difficulté de respecter l’obligation de parité qui fixe un seuil minimal de 40 % de femmes. Le Parti Șor, autre parti nationaliste pro-russe, avait aussi été interdit en 2023.Trois nouveaux partis ont fait leur apparition au sein du paysage politique moldave. Le Mouvement alternatif national, dirigé par le maire de Chișinău, Ion Ceban, se présente comme pro-européen malgré des accointances passées avec la Russie (il avait manifesté contre l'accord d'association de la Moldavie à l'UE en 2014). Depuis juin 2025, le dirigeant fait l’objet d’une interdiction d'accès au territoire de Roumanie et de l'espace Schengen pour cinq ans, les services secrets roumains ayant estimé qu’il représentait un danger pour la sécurité nationale.Notre parti, fondé par Renato Usatîi, l’un des chefs de file de l’opposition, incarne une mouvance de populisme dégagiste, qui remporte un certain succès dans l’électorat traditionnellement acquis à gauche.Enfin, le parti Démocratie à la maison de Vasile Costiuc, de droite populiste, qui milite pour l’unification de la Moldavie et de la Roumanie, a fait son entrée au Parlement pour la première fois depuis sa fondation en 2011.Au total, vingt-trois partis sont représentés.Comment analysez-vous le résultat de cette élection ?La victoire de Maia Sandu est plus forte qu'attendue. On s'attendait à ce que son parti arrive en tête mais pas en de telles proportions (52 % de participation, 50 % des voix). Le parti pouvait faire valoir son bilan diplomatique, exceptionnel, mais était affaibli par un bilan social et économique plus mitigé. L’inflation cumulée sur 4 ans est importante en Moldavie (7 %, avec un pic à quasi 35 % après l’invasion russe), le taux de pauvreté a augmenté, la croissance est à la peine (tout juste 1 %). Maia Sandu a fondé sa campagne sur le motif d’un combat pour l’existence même de la Moldavie, en refusant toute forme d'alliance avec un autre parti.La stratégie de la Russie a cependant échoué : Maia Sandu a fondé sa campagne sur le motif d’un combat pour l’existence même de la Moldavie, en refusant toute forme d'alliance avec un autre parti. En dramatisant l’enjeu, en arrêtant certaines personnalités accusées d’organiser l’instabilité, en agitant la carte de l'épouvantail russe, elle a fait jouer un réflexe légitimiste. On observe souvent, chez les électeurs, une forte réticence à changer de capitaine quand le navire est au plus fort de la tempête !Maia Sandu dispose ainsi d’une avance confortable (55 sièges sur 101), qui lui laisse pleine latitude pour former rapidement un gouvernement et accélérer le rapprochement avec l’UE, ce qui n’était pas acquis.Quels ont été les sujets du débat politique sur les enjeux intérieurs ?Trois enjeux principaux préoccupent l'opinion publique moldave : la corruption, la pauvreté et les bas salaires. Ce sont bien des enjeux intérieurs. La demande politique est d’ordre socio-économique, mais l’offre politique, telle que formulée, est centrée sur les défis extérieurs : c’est sur ces questions que chaque camp s’est positionné.L’opposition pro-russe a taxé Maia Sandu de belliciste, l’accusant de pousser pour envoyer sept cents hommes dans la coalition des volontaires emmenée par Paris et Londres, en dépit de la Constitution moldave qui énonce que le pays est un État neutre. Entre un très fort rejet et une grande popularité, Maia Sandu témoigne de la polarisation affective grandissante de la scène politique moldave. En 2024, le ministère de l’Intérieur moldave a estimé que Moscou avait dépensé environ 100 millions de dollars avant le premier tour (15 millions directement versés à des électeurs) de l’élection présidentielle. Que veulent les Russes ? Pourquoi s’intéressent-ils à la Moldavie ?La question des débouchés énergétiques est secondaire pour les Russes. Il ne s’agit pas d’exporter du gaz peu cher mais bien de renverser la dynamique d’intégration européenne.En effet, au-delà des seuls aspects économiques, Moscou s’intéresse à Chisinau pour des raisons plus profondes, d’ordre historique : les liens sont anciens. Le territoire moldave a été annexé par la Russie en 1812 puis a intégré la Roumanie sous le nom de Bessarabie au moment de l’extension du royaume, avant de rejoindre l’URSS après la Seconde Guerre mondiale.La question de la Transnistrie, qui est au cœur des enjeux russo-moldave, n’a toujours pas trouvé de solution politique. Cet État autoproclamé, sous occupation militaire russe depuis le cessez-le-feu du 21 juillet 1992, bénéficiait d’une situation avantageuse : des exportations facilitées vers l’UE, un accès au gaz russe, le débouché d’Odessa. Évidemment tout a changé depuis le 24 février 2022.Une présence accrue de l’armée russe en Moldavie permettrait de mener des opérations dans le sud de l’Ukraine et paraît même capitale pour s’emparer d’Odessa.Comme depuis l’indépendance, le Kremlin voudrait contrôler l’ensemble du territoire moldave, et ne pas se contenter de la seule Transnistrie. Une présence accrue de l’armée russe en Moldavie permettrait de mener des opérations dans le sud de l’Ukraine et paraît même capitale pour s’emparer d’Odessa.Quelles suites ont été données aux ingérences révélées lors des présidentielles de 2024 (désinformation, achat de vote) ?Depuis 2022, la Moldavie a tenté de renforcer sa protection contre les ingérences : interdiction de certaines chaînes, canaux telegram contrôlés … Mais, quoi qu’il en soit, la régulation technique sera toujours à la traîne par rapport aux fraudeurs et autres agitateurs politiques. Toutefois, et malgré le développement de l’utilisation de l’IA, les opérations d’ingérence russes n’ont pas empêché le parti pro-européen de l’emporter. Alors que les achats de voix avaient été considérables au moment de la présidentielle de novembre, ils ont beaucoup moins joué le 28 septembre. Les manifestations contestataires pro-russes, dont on avait affirmé qu’elles seraient légion en cas de victoire du PAS, n’ont pas perturbé l’annonce des résultats du fait de l’écart, trop massif pour être contesté, en faveur de Maia Sandu.Notons que Pavel Durov a commenté les élections moldaves en incriminant les services de renseignement français pour lui avoir proposé de supprimer des chaînes Telegram défavorables au PAS en échange de l’abandon de certaines charges après son arrestation durant l’été 2024 - il est accusé d’infractions liées à sa messagerie cryptée, qui vont de l'escroquerie au trafic de stupéfiants en passant par le cyberharcèlement. L’accusation de Durov a été reprise et approuvée par Elon Musk (“Wow !” a-t-il éloquemment tweeté).La crainte de l’extension de la guerre semble néanmoins l’avoir emporté sur toutes les tentatives russes de convaincre l'électorat moldave ; même les électeurs indécis se sont ralliés à Maia Sandu dans la dernière ligne droite de la campagne. Les partis pro-russes n’ont pas disparu, sans pour autant parvenir à mobiliser leur électorat pour autant.La Moldavie est un pays candidat à l’Union européenne depuis mars 2022. L'élargissement est-il une option crédible dans une UE à la peine ?C'est une question cruciale.Que la Moldavie, un État de seulement 2,6 millions d’habitants, en paix depuis 1992, ne parvienne pas à intégrer l’UE à terme signifierait a fortiori un aveu d’échec pour la politique d’élargissement au sens large.Dimanche se jouait une partie de l’avenir de l’UE et de la politique d’élargissement. Que la Moldavie, un État de seulement 2,6 millions d’habitants, en paix depuis 1992, ne parvienne pas à intégrer l’UE à terme signifierait a fortiori un aveu d’échec pour la politique d’élargissement au sens large. Au moment où la Géorgie s’éloigne de l’UE, l’Albanie, le Monténégro et la Moldavie sont des tests que l’UE ne peut se permettre de rater.Le projet d'élargissement européen passe par Chisinau : la capitale moldave est devenue le symbole de la crédibilité de l'UE dans son voisinage oriental.Propos recueillis par Hortense MiginiacMaia Sandu le 29 septembre à Chisinau Copyright Daniel MIHAILESCU / AFP ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneJanvier 2025L'après 2024 : crépuscule ou renouveau démocratique ?L’année 2024 a battu tous les records jamais enregistrés s’agissant de la tenue d’élections dans le monde. Plus de 60 pays étaient appelés aux urnes. Plus de 60 pays étaient appelés aux urnes, dont les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, Taiwan, l’Inde, la Russie ou la Turquie. Dans quel état se trouve la démocratie en ce début d’année 2025 ? Quels tout premiers enseignements peut-on tirer des différents scrutins ? L’année la plus démocratique de l’histoire récente serait-elle aussi celle de sa grande déconsolidation ?Consultez la Note d'enjeux