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13/11/2025
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Législatives aux Pays-Bas - "Le style politique devient de plus en plus central"

Législatives aux Pays-Bas -
 Rem Korteweg
Auteur
Senior Research Fellow au Clingendael Institute

Les Pays-Bas votaient lors de législatives anticipées, mercredi 29 octobre. Les 18 millions d’électeurs de la 5e puissance l’Union européenne appelés aux urnes ont donné la majorité relative de leurs voix au parti social-libéral D66 de Rob Jetten, au coude-à-coude avec le parti de droite populiste de Geert Wilders, le PVV. Le climat politique était incertain : violentes manifestations anti-immigration inspirées des rassemblements d’extrême droite britanniques du 13 septembre, campagne clivante, succession de blocages politiques, difficiles négociations de coalition : quel bilan dresser de ces législatives ? Peut-on en tirer des leçons politiques plus larges sur les grandes dynamiques européennes, et notamment la place de l’extrême-droite ? Un entretien avec Rem Korteweg. 

 

Comment caractériser le PVV et comment expliquer son essor depuis sa création en 2006 ? Le parti s’est-il dédiabolisé, lui qui demandait la sortie de l’UE, et si oui, avec quel succès ? Quelles sont les particularités du populisme néerlandais ? 

Le Parti pour la liberté, PVV, a été créé en 2006 par un député dissident du Parti populaire pour la liberté et la démocratie de centre droit, élu pour la première fois en 1998, Geert Wilders. 

Le PVV est un parti d’extrême-droite hyper-personnalisé, centré autour de la figure de son fondateur : Wilders est le parti, et le parti, c’est Wilders. La dirigeante du VVD (Parti populaire pour la liberté et la démocratie, centre-droit)  Dilan Yeşilgöz-Zegerius l’a résumé en ces termes : le PVV, c’est "un homme en colère doté d'un compte Twitter…". Cette hyperpersonnalisation est un handicap quand il s’agit de mobiliser les électeurs dans les élections moins personnalisées, comme les législatives. Toutefois, Wilders n’est pas "trumpien" : il n’est pas antisystème mais veut plutôt utiliser le système à son profit pour faire voter son programme. 

Le PVV est un parti d’extrême-droite hyper-personnalisé, centré autour de la figure de son fondateur : Wilders est le parti, et le parti, c’est Wilders.

Lequel programme a changé à travers les années. La constante en est une ligne violemment anti-islam et anti-Europe, à laquelle s’est ajoutée ces dernières années une focale sur les enjeux sociaux-économiques. Le PVV lie l'augmentation du coût de la vie et la perte de pouvoir d'achat ressentie par le Néerlandais moyen à l’immigration et aux politiques européennes.

Le discours anti-élite sur lequel le parti s’appuie est assez paradoxal : Wilders n’a rien d’un novice, il fait partie des plus anciens membres du Parlement. Lui qui hante les couloirs du parlement depuis quasi 20 ans continue pourtant de brandir l’argumentaire "dégagiste", et accuse l’establishment d’être ligué contre lui et contre les "hommes ordinaires". 

Le PVV a joué un rôle déterminant pour configurer le débat aux Pays-Bas. Il a réussi à mettre l’immigration au cœur de l’arène politique. Son bilan au gouvernement a été moins probant, mais il s’en exonère en arguant du fait qu’il n'était pas premier ministre.

Comment analysez-vous les résultats ?

Le paysage politique néerlandais se caractérise par sa fragmentation et la mobilité de ses électeurs, qui n’hésitent pas à changer de parti. Dès lors, les résultats aux élections fluctuent donc beaucoup au gré des affiliations temporaires des Néerlandais mais les cohortes de sensibilités restent globalement les mêmes

À la différence de la France, le parlementarisme néerlandais est strictement proportionnel : il n’existe aucun seuil pour être représenté. Dès lors, le système politique est particulièrement fragmenté. Sur les 25 partis qui présentaient des députés aux législatives, 14 ont obtenu des sièges au Parlement. Les partis qui ont obtenu le plus de voix sont le parti Démocrates 66 (centriste, fondé en 1966) de Rob Jetten (27 sièges, 17 % des voix), au coude-à-coude avec le PVV de Wilders (26 sièges, 16,7 % des voix). Viennent ensuite le parti libéral VVD (22 sièges, 14 % des voix), les travaillistes de Frans Timmermans (20 sièges, 13 % des voix) et le centre droit des Chrétiens démocrates CDA (18 sièges). 

Si l’on se concentre sur le parti qui a gagné le plus de sièges, qui est le plus susceptible de mener une coalition et de donner un Premier ministre, incontestablement, c’est le D66. C’est aussi le parti qui a gagné le plus de sièges par rapport aux élections de 2023 (9 sièges, 6 % des voix). Toutefois, le PVV a le même nombre de sièges que D66. Et il faut compter que l’extrême droite n’a pas décru par rapport à 2023 : le vote s’est seulement dispersé. Presque un quart des électeurs a voté pour l’extrême droite. Il faut donc tempérer les annonces d’une nette victoire du D66.

Le grand perdant, si l’on renverse la question, est le parti du Nouveau Contrat social, NSC, issu des Chrétiens-démocrates et fondé en 2023 par Pieter Omtzigt, figure très populaire qui avait siégé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Son parti, fondé sur la défense de la règle de droit, la moralisation de la vie publique, la "décence politique", s’est effondré : des 20 sièges remportés en 2023, il n’en a gardé aucun. Ce n'est pas que les électeurs de gauche se soient soudain mis à voter à l’extrême-droite mais plutôt qu’ils ont voté pour un autre parti du centre. Le résultat des élections ne doit pas être interprété comme un changement massif de vote, mais comme une répartition différente des voix

L’extrême droite n’a pas décru par rapport à 2023 : le vote s’est seulement dispersé.

À l’extrême-droite, on trouve trois partis : le PVV de Geert Wilders, à sa droite, le Forum pour la Démocratie de Thierry Baudet ainsi qu’un parti dissident de celui-ci, moins violemment anti-immigrattion et plus respectable : Y21 (Yes 21).

Ensemble, ces trois partis ont gagné à peu près autant de voix que lors de précédentes élections. Wilders a perdu quelques sièges par rapport à 2023 mais, comme il aime le répéter, le PVV a réalisé le 2e meilleur record de son histoire et l’extrême-droite affirme son ancrage politique : par rapport à 2023, le Y21 a gagné quelques voix, de même que le Forum pour la démocratie.

Quel bilan peut-on faire, au terme de quasi deux années de pouvoir du PVV, au niveau national ?

Le PVV n’a rien fait mais pour justifier ce bilan quasi nul, au sens littéral du terme, le PVV argue qu’il n’était pas vraiment au pouvoir, malgré les 6 membres du parti qui siégeaient parmi les 17 au gouvernement (Vice-premier ministre, ministres du Commerce extérieur et de l'Aide au développement, Infrastructures et des Eaux, Affaires économiques, Asile et de l'Immigration, Santé et Sports). Geert Wilder estime qu’il a été bloqué et que ses ministres n’ont pas pu appliquer le programme pour lequel leurs électeurs avaient voté. L'argument est simple : le système a saboté la victoire

De fait, si l’on prend l’exemple de la ministre de l’Asile et de l’immigration, Marjolein Faber, elle n'est pas parvenue à mettre en place "la politique anti-migratoire la plus sévère d’Europe" : être nommé à la tête d’un ministère n’empêche pas qu’il faille prendre en compte les contraintes institutionnelles de l’organisation politique, le système législatif ou les traités internationaux. Cela demande un certain temps, une certaine habileté politique, une capacité de compromis, une excellente connaissance des procédures intérieures et européennes… Faber a par exemple annoncé à la Commission européenne, le 17 septembre, dès les premières semaines de son mandat, que les Pays-Bas demandaient à bénéficier d’une clause de non-participation au programme de politique migratoire de l’UE. En réponse, Bruxelles a indiqué le processus d’opt-out en rappelant qu’il fallait dans l'intervalle que les Pays-bas respectent les traités qu’ils avaient signés (et notamment le Pacte sur l’Immigration et l’Asile, voté par le Parlement européen en avril 2024 et signé par le Conseil de l’UE en mai) : en effet, depuis le Traité de Lisbonne en 2007, la politique d'immigration est une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres. Il ne s’agit donc pas de dénoncer une emprise de l’UE sur les États membres mais de constater que les Pays-Bas sont un État de droit, qui est en tant que tel lié par les traités auxquels il a choisi de participer. 

Au-delà de la règle de droit, le système politique des Pays-Bas requiert, pour fonctionner, de former des coalitions, à moins qu’un parti n’obtienne la majorité absolue (76 députés sur 150) : ce n’était pas le cas du PVV en 2023, qui avait obtenu 37 sièges avec 23,5 % des voix. Après six mois de coalition, trois partis (le VVD, le NSC et le Mouvement agriculteur-citoyen - BoerBurgerBeweging, BBB) sont parvenus à un accord de coalition avec Geert Wilders à condition que ni lui ni un membre de son parti ne soit Premier ministre. C’est donc un Premier ministre technocrate sans expérience politique avérée, Dick Schoof, ancien directeur général du Renseignement, qui a pris la tête du gouvernement. Après le départ des ministres du PVV, mécontents du refus de leur programme pour "La politique de l’asile la plus stricte", Schoof a, à son tour, remis sa démission au roi Willem-Alexander en juin 2025. Après cela, plus aucun parti n’a accepté d'entrer dans une coalition avec le PVV, à l’exception de Yes21, le BBB et le Forum pour la démocratie, mais ils ne suffisaient pas à réunir une majorité. 

Le PVV a mis à profit le jeu politique normal pour se donner des excuses et créer de fausses frustrations auprès de ses électeurs. Le fait est qu’il n’est pas parvenu à réunir de majorité. La vraie question est donc moins celle de savoir quel a été le bilan du PVV, mais ce qu’il aurait pu être si le PVV avait su appliquer son programme. Il aurait dû rendre des comptes à ses électeurs sans pouvoir s’exonérer de tout : la perception de Geert Wilders en aurait sans doute été changée.

Le PVV a mis à profit le jeu politique normal pour se donner des excuses et créer de fausses frustrations auprès de ses électeurs.

La leçon à retenir est peut-être que si les électeurs donnent le pouvoir à un parti, il faut que ce parti assume la responsabilité politique qui va avec, pour qu’il ne puisse pas recourir à la rhétorique populiste de l’excuse.

Au niveau européen, quel est le positionnement du PVV, parti affilié au groupe des Patriotes pour l’Europe (présidé par Jordan Bardella) au Parlement européen ? Plus précisément, comment se situe-t-il concernant la guerre en Ukraine et les questions de défense ? 

Après avoir défendu un "Nexit" ou fortement critiqué le soutien militaire à Kiev et l’augmentation des dépenses de défense (le sommet de l’OTAN à l’issue duquel les parties se sont engagées, à la demande pressante de Donald Trump, à hisser leurs dépenses de défense à 5 % de leur PIB, s’est pourtant tenu à la Haye les 24 et 25 juin ; c’est aussi l’ancien Premier ministre Mark Rutte qui est secrétaire général de l'Organisation), Geert Wilder a adouci ses positions. Il a rencontré l’ambassadeur d’Ukraine Karasevych en janvier 2024 et a reconnu la légitimité du soutien à Kiev. Désormais, il conditionne l'augmentation des crédits de défense demandée par l’OTAN à une augmentation parallèle du budget lié aux dépenses sociales. Il est assez aligné avec les positions de Viktor Orbán et souhaite mettre en place aussi vite que possible des discussions en vue de cessez-le-feu, afin de pouvoir se concentrer de nouveau sur les dépenses sociales.

Quel est l’état de l’opinion publique néerlandaise vis-à-vis de la politique ? Qui est Rob Jetten, le leader centriste des D66, et comment expliquer sa victoire ? 

Le taux de participation à ces élections est monté à 78 %, malgré une instabilité politique qui dure. C'est un peu moins qu’en 2021 (79 %), quasi inchangé par rapport à 2023 (77 %), mais le chiffre demeure positif compte tenu d’un taux de confiance dans la politique assez bas (57 % des Néerlandais n’ont pas confiance dans la politique selon la 16e vague du baromètre de la confiance politique du Cevipof, en février 2025). 

Les partis centristes attribuent ces mauvais chiffres au coût symbolique que Wilders fait peser sur la vie politique - usage néfaste d’une certaine rhétorique, polarisation grandissante, communication brutale du PVV ; Wilders l'explique par le fait que son parti se serait vu confisquer le pouvoir malgré sa victoire en 2023

Quelle que soit la réponse choisie, le faible taux de confiance dans la politique est sans doute aussi ce qui explique les bons chiffres de la participation : dans un climat politique délétère, Rob Jetten a été capable de construire un discours positif et a ancré sa campagne dans un ton constructif et optimiste, donnant voie au désir de changement, de mobilisation, d’action. Le D66 a beau avoir un programme de centre-gauche progressif, très volontariste sur les enjeux liés à l’immigration et l’Europe, il a su l’adapter à son électorat, en le reportant un peu à droite et en axant sa campagne sur les enjeux qui ont le plus d’écho auprès de la majorité des électeurs (enjeux culturels et sociétaux délaissés au profit des enjeux socio-économique, du coût de la vie, du pouvoir d'achat), en vertu d’une approche très pragmatique de la politique. Il a construit un narratif patriote et optimiste - considérant pare exemple qu’il n’y avait aucune raison pour que le drapeau des Pays-Bas soit "confisqué" par les partis identitaires, il a appelé tous les Néerlandais à faire fleurir les couleurs de leur pays, ce qui a très bien fonctionné). En somme, c'est le positionnement de Jetten plutôt que le programme du D66 qui l’a emporté.

Le faible taux de confiance dans la politique est sans doute aussi ce qui explique les bons chiffres de la participation : dans un climat politique délétère, Rob Jetten a été capable de construire un discours positif et a ancré sa campagne dans un ton constructif et optimiste.

Le contraste avec Timmermans, qui avait adopté une approche réactive et très défensive, était frappant. La ligne de Jetten était d'autant plus efficace qu'aux Pays-Bas, la loyauté de l’électorat à un parti n’est pas la règle, et que ce que la fragmentation du paysage partisan a encore accentué. Il est donc parvenu, grâce à son style politique, à recruter de nouveaux électeurs.

C'est l’autre leçon pour l’Europe de l’élection aux Pays-Bas : le style politique devient de plus en plus central. Plus que jamais, un jeune homme qui présente bien est capable de l’emporter face aux hommes politiques "à la Timmermans". 

Si Geert Wilders n’est pas Premier ministre, qui pourrait occuper le poste ? Quelles seraient les coalitions possibles et avec quelles conséquences pour l’Europe ?

Il a fallu 271 jours de négociations avant d’aboutir au contrat de gouvernement qui a conduit Mark Rutte à la place de Premier ministre (Cabinet Rutte IV, de janvier 2022 à juillet 2024). De même, entre les législatives de novembre 2023 et la mise en place du cabinet Schoof en juillet 2024, sept mois s’étaient écoulés. Les discussions devraient prendre du temps, là encore. 

L’idée d’abord envisagée d’une coalition de quatre partis - le D66, le CDA (12 % des voix, 18 sièges), les libéraux du VVD (14 % des voix, 22 sièges) et les travaillistes (12 % des voix, 20 sièges), n’a plus cours : le VVD a refusé d’intégrer une coalition avec les travaillistes et les Verts. Il est vrai que la précédente coalition entre le VVD et le Labour (cabinet Rutte II, de 2012 à 2017) avait laissé le souvenir d’immenses difficultés et que le parti travailliste fait face à un changement de direction depuis l’annonce de la démission de Frans Timmermans, l’ancien commissaire européen chargé du Pacte vert pour l’Europe, qui le présidait. 

Désormais, l’hypothèse la plus probable, conseillée par Wouter Koolmees (ancien vice-Premier ministre des Pays-Bas sous le gouvernement de Mark Rutte et membre de D66) qui a été désigné pour jouer le rôle de médiateur entre les partis, est celle d’un compromis entre les partis D66 et CDA : une fois défini un pacte de coalition, d’autres forces pourraient choisir de s’y joindre

Toute alternative, sans le D66 par exemple, serait d’une immense complexité mais reste envisageable et, compte tenu de la configuration actuelle, on ne peut exclure une coalition menée par le PVV si dans six mois les partis centristes n’étaient toujours pas parvenus à former une coalition. En attendant, l’ancien gouvernement expédie les affaires courantes, mais inutile d’expliquer de quoi il s’agit à des Français je crois…

Propos recueillis par Hortense Miginiac
Copyright image : Robin Utrecht / ANP / AFP
Le dirigeant du PVV Geert Wilders et celui du D66, Rob Jetten, à Tilburg, le 25 octobre 2025.

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