AccueilExpressions par Montaigne[Le monde vu d'ailleurs] - Nouvel élan pour le président français ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.24/01/2024[Le monde vu d'ailleurs] - Nouvel élan pour le président français ? Union Européenne Europe Vie démocratiqueImprimerPARTAGERAuteur Bernard Chappedelaine Ancien conseiller des Affaires étrangères Le monde vu d'ailleursTous les quinze jours, Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères, nous propose un regard décalé sur l'actualité internationale. Nourris d'une grande variété de sources officielles, médiatiques et universitaires, ses décryptages synthétisent les grands enjeux du moment et nous invitent à poursuivre la réflexion en compagnie des meilleurs experts étrangers. Cette semaine, il explore le quinquennat d'E. Macron et la coopération franco-allemande.Les observateurs étrangers peinent à identifier une orientation claire dans les récentes interventions d’E. Macron et soulignent la faiblesse des marges de manœuvre du nouveau gouvernement. Les commentateurs libéraux se félicitent toutefois que des réformes soient toujours à l’ordre du jour. Outre-Rhin, les éditorialistes soulignent le volontarisme et l’optimisme du Président français ainsi que son plaidoyer en faveur de la coopération franco-allemande, qui tranchent avec l’attitude en retrait d’O. Scholz. Quelles sont les perspectives de la coopération franco-allemande ? Quel regard porte Berlin sur le nouveau "cap" initié par le remaniement et annoncé lors de la conférence de presse du 16 janvier ? Comment donner un nouvel élan au quinquennat ?"Enfant-prodige" de la politique française, E. Macron porte les traces de sept années de pouvoir, note le Washington Post, sa popularité est basse, il sort d'une année de mouvements sociaux, provoqués par une réforme impopulaire des retraites, marquée par des émeutes urbaines et par le vote d'une loi contestée sur l'immigration. Aussi, estime le quotidien, "Macron est à la recherche d'un nouveau départ et d'une nouvelle image". En nommant Gabriel Attal, 34 ans, au poste de Premier ministre, il souhaite donner un nouvel élan, mais E. Macron n'est plus le Président des jeunes. Ce sont avant tout les électeurs âgés qui l'ont reconduit, observe die Zeit. "Emmanuel Macron est un Président Netflix", affirme Joseph de Weck, qui ne dispose ni de marges budgétaires, ni d'une majorité parlementaire."Emmanuel Macron est un Président Netflix", affirme Joseph de Weck, qui ne dispose ni de marges budgétaires, ni d'une majorité parlementaire.Aussi va-t-il pratiquer la politique du "spectacle" et du "symbole", car "rien ne rend les Français plus nerveux que l'ennui". D'autres commentateurs relèvent que la plupart des ministères-clé sont confiés à des représentants de la droite et décèlent un ton conservateur dans le discours d'E. Macron ("pour que la France reste la France"), illustration que la France, elle aussi, a changé, observe le FT.Depuis la pandémie de coronavirus, la politique économique de la France est fondée sur des "programmes de subventions massifs", observe pour sa part Politico, lourdement endetté, le pays se tourne maintenant vers des réformes qui ne devraient plus solliciter les finances publiques, mais relancer l'économie française et attirer des investissements étrangers.La conférence de presse du 16 janvier - ce "rendez-vous avec la nation" - avait été présentée comme un événement de portée historique. En fait, le Président n'a fait aucune annonce de nature à améliorer significativement la situation des Français et à réduire les déficits accumulés pendant la période du Covid, juge l’hebdomadaire die Zeit ("De petites idées pour de grands problèmes"). L'objectif affiché est de diminuer les dépenses de 12 Mds€, mais les sources d'économies n'ont pas été identifiées. Aucune mesure concrète de nature à répondre aux émeutes urbaines de ces derniers mois n'a été annoncée, déplore l'hebdomadaire, les seules décisions concernent l'école. E. Macron éprouve des difficultés à donner un contenu à son deuxième mandat, conclut die Zeit. Ce qui se cache derrière le terme de "réarmement", utilisé à l’envi, reste à définir, relève le Handelsblatt, pour qui le "nouveau gouvernement est condamné au succès", un échec aux élections européennes le conduirait à se concentrer sur ses problèmes internes.Quel agenda de réforme pour la France et l'UE ?Sa vision de la France, pour les prochaines années, se concentre sur la loi et l'ordre, l'éducation, elle inclut aussi une politique pro-business, souligne le Guardian. E. Macron revient à son "ADN libéral", affirme Politico, qui en veut pour preuve "l'agenda de réformes" exposé à Davos, sous les mots d'ordre "accélération, attractivité et innovation", et qui devrait notamment se traduire par une "loi Macron II", avec pour objectifs d’alléger les procédures administratives, d’encourager les initiatives privées et de rendre le marché du travail plus flexible. Le Président Macron veut rendre la France plus attractive aux yeux des investisseurs, remarque Politico.Au printemps, le gouvernement va présenter de nouvelles mesures destinées à convaincre des établissements financiers de s'établir à Paris, moyennant une réforme du code du travail et des avantages fiscaux. Promettant de "briser les tabous, de déréguler l'économie et de combattre l'extrême-droite"Le Président Macron veut rendre la France plus attractive aux yeux des investisseurs, remarque Politico."E. Macron a exposé, lors de sa conférence de presse, sa vision d'une France plus forte, plus juste", rapporte le New York Times, l'accent a été mis sur un plus grand dynamisme, mais aussi sur la recherche d'une plus grande justice sociale. Le problème d'E. Macron est que "l'énergie juvénile et la séduction de l'opinion" ne peuvent modifier les données fondamentales de l’équation, constate The Economist, à savoir comment continuer à réformer la France et prendre des décisions difficiles sans disposer d'une majorité parlementaire. Le New York Times s'attend à ce que de nouvelles mesures de dérégulation suscitent des résistances chez de nombreux Français, attachés à un niveau élevé de protection sociale financé par l'État.Pour sa première intervention au Forum de Davos depuis 2018, le Président Macron a souligné combien les années 2024-25 seraient décisives pour l'avenir de l'UE, les Européens devant "décider s'ils voulaient ou non être souverains", note l’agence Bloomberg. Des progrès ont été réalisés ces dernières années, notamment grâce à la coopération franco-allemande. Le Président de la République a repris l'idée d'eurobonds, évoquée par l'Estonie et par Charles Michel, président du Conseil européen, une "priorité", pour financer le secteur de la défense et la fourniture d'armements à l'Ukraine. Il a également mentionné d’autres initiatives comme la création d’un marché unique européen des capitaux, afin de faciliter les investissements étrangers, et a évoqué l'effort indispensable en faveur des industries vertes et de l'intelligence artificielle. Dans le même temps, créer plus d'emplois bien rémunérés est nécessaire, a-t-il fait valoir, pour endiguer la progression des partis populistes et d’extrême-droite.L’optimisme d’E. Macron, la discrétion d’O. ScholzLe correspondant économique de la FAZ à Paris, Niklas Zàboji, dresse un bilan positif de la politique économique d’E. Macron et de son ministre de l'Économie qui, depuis sept ans, "plaident inlassablement pour un renouveau" et qui, malgré le conservatisme des Français, "encore plus répandu qu'en Allemagne", ont mis en œuvre des réformes structurelles, ce qui fait qu'E. Macron a "conquis les cœurs" du milieu des affaires, "plein d'éloges" à son égard. "Malgré ou peut-être en raison de son impopularité, Macron a de bonnes chances de figurer dans les livres d'histoire comme le modernisateur de la France", affirme Niklas Zàboji."[...]Macron a de bonnes chances de figurer dans les livres d'histoire comme le modernisateur de la France".Même si le Président français n'a pu guérir une "vieille maladie française", consistant à vouloir traiter tous les problèmes en puisant dans les caisses de l'État. Dans un éditorial signé par l’un de ses éditeurs, Gerard Braunberger, la FAZ souligne combien "le contraste avec l'Allemagne est frappant".Berlin et Paris partagent la conviction que la création d'emplois stables et bien rémunérés est le meilleur moyen de faire reculer le populisme, mais les revers électoraux du SPD montrent "ce qu'il lui en a coûté d'être considéré, non plus comme le parti des salariés, mais comme celui des bénéficiaires d'allocations". En matière énergétique, le mix équilibré (nucléaire/renouvelables) recherché à Paris s'oppose au choix exclusif opéré à Berlin au profit de ces dernières, jugé "irrationnel" en France. Plutôt que de poursuivre la discussion sur les eurobonds et sur le "frein à la dette", Gerard Braunberger estime prioritaires l'achèvement du marché intérieur (banques et marché des capitaux) et la débureaucratisation. Il invite la France à plus faire confiance au marché et l'Allemagne à cesser de se présenter comme victime d'un "pillage" de l'Europe du sud, alors qu'elle est responsable de ses propres maux (énergie, migration). L’essentiel, souligne l'éditeur de la FAZ, c’est que "les actes suivent" et que "Berlin et Paris se retrouvent".En l'absence d'O. Scholz, E. Macron a utilisé ce forum international pour apparaître comme "le représentant d'une Europe optimiste, combative et tournée vers l'avenir", analyse Gerard Braunberger, ce qui contraste avec "nombre de débats à Davos qui, malheureusement, assimilent la faiblesse de l'Europe avec la faiblesse effrayante de l'Allemagne". Cet optimisme du Président français doit se répandre dans toute l'UE, et "en premier lieu à Berlin", estime l'éditeur de la FAZ. Le discours d'E. Macron, souligne-t-il, contient "un message qui mérite d'être entendu partout en Europe", l'Union européenne "doit être consciente de ses forces, les unir, défendre avec confiance ses intérêts à l'extérieur et affronter avec détermination en interne ceux qui voient l'avenir dans une forteresse nationale". Sebastian Matthes, rédacteur en chef du Handelsblatt, note qu'E. Macron a mis à profit cette tribune pour se livrer à un "grand événement promotionnel" en parlant de réformes, d'emplois et de start-ups à de potentiels investisseurs. Le journaliste regrette également que le Chancelier ne se soit pas déplacé, alors que, dans les milieux d'affaires étrangers, l'image de l'Allemagne se ternit. "Aux États-Unis on parle de moins en moins de l'économie allemande", lui a confié le directeur du Boston consulting group, et quand on en parle c'est à propos du "terrible exemple" offert par le "tournant énergétique" ("Energiewende"). Dans une Allemagne, désormais touchée par la récession, le débat tourne autour du"frein à la dette" et des "chaufferies", note Sebastian Matthes alors qu'Emmanuel Macron et d'autres "parlent du futur". "L’Allemagne - une puissance de second rang", s’inquiète aussi la Rheinische Post, qui déplore qu’O. Scholz soit "presque invisible sur la scène internationale" et, de part et d’autre, "le manque de volonté de coopérer".La nécessité d’une relance de la coopération franco-allemande"Une ode allemande à Wolfgang Schäuble", c'est ainsi que la FAZ qualifie l'hommage rendu le 22 janvier, jour-anniversaire de la signature du traité de l'Élysée, par le Président Macron à l'ancien ministre et parlementaire, très proche de la France, décédé le 26 décembre dernier, en y associant la mémoire de Jacques Delors, disparu le lendemain. "L'Allemagne a perdu un homme d'État, l'Europe a perdu un pilier, la France a perdu un ami", cette phrase est largement reprise par les médias allemands.Ce discours, ovationné par l'auditoire du Bundestag, composé de nombreuses personnalités allemandes et européennes, a mis certaines d’entre elles "au bord des larmes", relève le Spiegel. C’est un "signal fort" de l'amitié franco-allemande, souligne l'éditeur du Tagesspiegel, émanant d'E. Macron et de Wolfgang Schäuble, ce dernier avait souhaité que cet hommage lui soit rendu par le Président de la République, précise Stephan-Andreas Casdorff."L'Allemagne a perdu un homme d'État, l'Europe a perdu un pilier, la France a perdu un ami", cette phrase est largement reprise par les médias allemands.Un regard sur l'assistance du Bundestag montre que les défis avaient rarement été exposés aussi clairement, d'autant qu’E. Macron s’est exprimé surtout en allemand. "Impossible d'attendre plus d'ouverture, d'affection et d'hommage de la part d'un fier Président de la République française", s'exclame le journaliste berlinois. C'est en effet la première fois, depuis le discours du général de Gaulle à la jeunesse allemande prononcé à Ludwigsburg en 1962, qu'un Président français s'adresse en allemand au public allemand, souligne la FAZ. Dans ses dernières interventions publiques, note le quotidien, Wolfgang Schäuble avait appelé l'Allemagne et la France à exercer leur leadership en matière de politique étrangère et de défense.À l'issue de la cérémonie au Bundestag, E. Macron s'est entretenu avec O. Scholz, en effet "les sujets difficiles ne manquent pas", observe la FAZ. Des frictions existent dans la relation Berlin-Paris, note le Tagesspiegel qui regrette "l'attitude statique" du Chancelier. S’agissant de "l'agression russe en Ukraine, sans aucun doute la plus grande menace pour la France", pour E. Macron, des tensions sont apparues à propos des livraisons d’armes à Kiev. E. Macron a annoncé la fourniture à l’Ukraine de 40 missiles SCALP et de "plusieurs centaines de bombes", l’augmentation de la production des canons Caesar, ainsi que sa prochaine visite à Kiev, manière de répondre à O. Scholz qui avait publiquement appelé certains pays à faire plus, note Politico. Berlin se refuse toujours à livrer des missiles Taurus, hésitation qui s'explique par la crainte de voir ces armes frapper le territoire russe, mais qui accrédite l'idée, fausse, d'un pays réticent à aider l'Ukraine. Globalement en effet, selon les chiffres de l'Institut pour l'économie mondiale de Kiel, contestés à Paris, l'assistance militaire allemande (17,1 Mds€) est nettement supérieure à la contribution française (500 millions€) et le décalage entre un discours volontariste et une réalité plus modeste engendre une frustration croissante à Berlin. Depuis l'arrivée à la Chancellerie d’O. Scholz, il n'y a plus de "projet emblématique" entre Berlin et Paris, constate Euractiv, son gouvernement pourrait entrer dans l'histoire comme celui de la "stagnation" des relations franco-allemandes, alors que "l'importance de cette entente franco-allemande apparaît clairement dès qu'il y a un désaccord, par exemple sur la réforme du marché de l'électricité, la défense européenne ou les règles d'endettement, ce qui ralentit pendant des mois les travaux à Bruxelles".Copyright image : Ludovic MARIN / POOL / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 10/01/2024 [Le monde vu d'ailleurs] - Défi migratoire et élections européennes Bernard Chappedelaine 14/12/2023 [Le monde vu d'ailleurs] - Face au jusqu’au-boutisme russe, quelle stratégi... Bernard Chappedelaine