AccueilExpressions par MontaigneLa Russie, si proche, si loin des pays BaltesL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.23/09/2019La Russie, si proche, si loin des pays Baltes RussieImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique Le souvenir des massacres commis par l'URSS reste vivace dans les pays Baltes, qui se raccrochent à la fois à l'Union européenne et à l'Otan face à la Russie de Poutine.Devant la présidence de la République de Lituanie à Vilnius, quatre drapeaux flottent fièrement : ceux du pays et de la ville sont comme entourés, protégés, par le drapeau bleu étoilé de l'Union européenne, et celui bleu également, plus anonyme, de l'Otan. Pour faire bonne mesure, devant le ministère de la Défense, un grand panneau célèbre le quinzième anniversaire de l'entrée du pays dans l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord. Cette démonstration d'appartenance à l'Europe comme à l'Otan se retrouve à Riga comme à Tallinn, les capitales de la Lettonie et de l'Estonie.À elles seules, les petites républiques Baltes justifieraient l'existence de l'Union européenne et de l'Otan ; la première comme gage de prospérité, la seconde comme garantie de sécurité. À Vilnius, l'Union européenne a contribué au financement de la reconstruction des murailles de la ville, détruites au début du XIXe siècle par la Russie impériale. Géographiquement, la Russie est si proche et, historiquement, elle a pris l'habitude de "toujours revenir", comme me le rappelait avec un mélange d'humour et d'appréhension l'un de mes interlocuteurs.De riches Russes à l'abriLes Russes sont en effet toujours présents. En Lettonie, la station balnéaire de Jurmala, proche de Riga, semble avoir été colonisée par de riches Russes, en quête de sécurité, pour leurs biens comme pour leurs personnes.Géographiquement, la Russie est si proche et, historiquement, elle a pris l'habitude de "toujours revenir".Alors que je longe une somptueuse propriété qui fait face à la Baltique, je suis scruté aux jumelles par deux gardes de sécurité armés, parlant le russe entre eux. Ils semblent sortis tout droit, dans leur uniforme noir, de la série télévisée norvégienne Occupied. Suis-je sur la Baltique ou dans un pays d'Amérique latine où les très riches se protègent par des milices et de hauts murs ?La Russie de Poutine peut dénoncer l'irréversible déclin du modèle démocratique à l'occidentale, l'Union européenne n'en rassure pas moins ces riches russes. Ils ont ici le sentiment que le pouvoir ne pourra les dépouiller de leurs biens d'un simple claquement de doigts. Les plus riches des oligarques sont sans doute à Londres. Riga, si proche géographiquement et culturellement, accueille des fortunes moins considérables.La communauté juive disparueÀ Vilnius, en revanche, on retrouve des intellectuels russes, semi-dissidents, qui profitent du climat de liberté qui règne sur la ville pour s'exprimer, avec une certaine prudence - on ne sait jamais - sur l'évolution interne de leur pays.L'Empire russe avait fermé l'université de Vilnius pendant près d'un siècle, comprenant trop bien qu'il y avait un risque à la laisser prospérer. Aujourd'hui, l'université est bien sûr rouverte. Mais l'atmosphère de richesse intellectuelle a, pour partie au moins, disparu. Dans les trois républiques baltes, principalement la Lituanie et la Lettonie, le levain que constituait la communauté juive n'existe tout simplement plus. À Riga, la grande synagogue récemment reconstruite semble surdimensionnée par rapport à une communauté qui a pour l'essentiel disparu. Il y règne comme un parfum étrange qui n'est pas sans évoquer celui qui flotte au-dessus de Vienne, la capitale d'un empire lui aussi disparu, et dont la population semble comme se perdre dans des habits devenus trop grands pour elle.Une volonté d'ancrage à l'OuestLes Baltes eux-mêmes, contrairement à la compagnie aérienne qui porte fièrement leur nom, Air Baltic, se sentent très peu baltes. Leurs cultures, leurs langues, leurs histoires sont différentes, et surtout leurs indépendances nouvelles trop récentes : moins de trente ans. Les Baltes sont prêts à se fondre dans le moule de l'Union européenne. Les avantages sont trop grands et trop immédiatement visibles. Mais collaborer étroitement entre eux semble moins évident et naturel. Les jeunes, qu'ils soient lettons, lituaniens ou estoniens, veulent surtout être perçus comme des Européens du Nord et non pas de l'Est, autrement dit comme de nouveaux Scandinaves. Leur volonté d'ancrage à l'Ouest passe par le Nord. Les Lumières du Nord, au-delà de l'Union européenne et de l'Otan, semblent constituer pour eux comme un troisième mur de protection, social et culturel celui-là, face aux souvenirs de corruption des temps soviétiques.Les présences historiques russe, polonaise, prussienne sont aisément reconnaissables dans l'héritage architectural des villes baltes, mais la modernité est, elle, scandinave. Les nouvelles résidences qui se construisent à Vilnius, comme à Riga ou Tallinn, ne dépareraient pas dans les rues de Stockholm ou d'Oslo. Elles traduisent la prospérité retrouvée de générations en quête de lumière et de simplicité.Les Baltes sont prêts à se fondre dans le moule de l'Union européenne. Les avantages sont trop grands et trop immédiatement visibles.Sur un plan strictement géopolitique, il est clair que, auprès de mes interlocuteurs baltes, la volonté de rapprochement de la France avec la Russie de Poutine passe mal. Ils peuvent en comprendre les fondements stratégiques : ne pas laisser Moscou tomber dans les bras de Pékin, recréer avec la Russie un climat de confiance qui permette d'avancer sur des dossiers aussi différents que ceux de l'Ukraine ou de la Syrie. Mais, précisément, peut-on employer le mot de "confiance" à l'égard d'un régime, sinon d'un pays, qui a fait du mensonge et de la désinformation comme une seconde nature ?Le souvenir du joug soviétiqueL'ambition de Poutine, en réarmant comme il l'a fait son pays et en prenant avec cynisme des risques certains de l'Europe au Moyen-Orient, était sans doute de permettre à la Russie de retrouver, non pas le statut qui était le sien du temps de la guerre froide, mais au moins de se faire entendre à Washington sur le mode suivant : "Je ne suis peut-être plus à votre niveau, mais ma valeur de nuisance est redevenue bien réelle et vous ne pouvez plus faire comme si je n'existais pas, comme vous le fîtes au lendemain de la chute de l'URSS."Une promenade dans les rues de Vilnius est comme un long chemin de croix d'un type très particulier. Des plaques dans les églises rappellent le souvenir des atrocités commises par les Russes. À Vilnius, le Musée du génocide est consacré aux souffrances des Lituaniens déportés, voire exécutés, par l'URSS.Les républiques baltes nous font comprendre tout à la fois le pourquoi de l'Europe et de l'Otan et la nécessité de trouver un nouveau type de relation, sans naïveté mais sans rigidité, avec une Russie si européenne par sa géographie.Avec l'aimable autorisation des Echos(publié le 23/09/2019)Copyright : PETRAS MALUKAS / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 13/05/2019 La diplomatie à l'envers de Vladimir Poutine Dominique Moïsi 03/12/2018 L'Europe et les Etats-Unis doivent maintenir les sanctions contre la Russie Dominique Moïsi