AccueilExpressions par MontaigneLa résistible ascension de Matteo SalviniL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.27/01/2020La résistible ascension de Matteo Salvini Union Européenne EuropeImprimerPARTAGERAuteur Marc Lazar Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie C’est donc fait. Stefano Bonaccini, son parti, le Parti démocrate (PD), et leurs alliés rassemblés dans une coalition de centre-gauche, ont réussi à conserver la région historiquement la plus rouge d’Italie. Et c’était loin d’être écrit d’avance. De 1946 à 2014, le Parti communiste italien puis, après sa disparition en 1991, tous les autres partis de gauche qui lui ont succédé jusqu’au Parti démocrate né en 2007, ont dominé l’Emilie-Romagne. En 2018, toutefois, ce fut le Mouvement 5 étoiles qui devint le premier parti lors des élections politiques. L’année suivante, aux Européennes, la Ligue obtenait plus de 33 % des suffrages, deux points de plus que le Parti démocrate. Entre-temps, son influence a encore progressé un peu partout - elle s’est même emparée, toujours en 2019, de la ville de Ferrare, dirigée par la gauche depuis 70 ans.Pourtant, les résultats de ce scrutin sont éloquents. La participation a été élevée, 67,7 %, soit 30 points de plus qu’au précédent scrutin régional de 2014. Manifestement, les supporters des deux principaux concurrents se sont fortement mobilisés, réactivant le clivage entre centre-gauche et centre-droit et droite emmené par la Ligue, le Mouvement 5 étoiles sombrant littéralement. Le centre-gauche l’emporte, Stefano Bonaccini rassemblant 51,4 % des suffrages à son nom (deux points de plus qu’en 2014). Mais, au scrutin de liste, le PD, avec 34,7 % recule de dix points ; la Ligue, de son côté, progresse notablement (elle obtient 32 % des voix) ainsi que Frères d’Italie, formation d’extrême droite qui dépasse les 8 % contre moins de 2 % en 2014.Un coup d’arrêt pour Matteo SalviniComment expliquer que l’ascension de Matteo Salvini qui semblait irrésistible (elle s’est d’ailleurs le même jour réalisée en Calabre où la coalition de centre-droit et de droite à laquelle la Ligue appartient a triomphé) ait été ainsi stoppée ? Matteo Salvini n’a pourtant pas ménagé ses efforts. Il s’est personnellement et totalement impliqué dans cette campagne, éclipsant la candidate de son parti, Lucia Borgonzoni. Il a sillonné la région pour tenir des meetings, multiplié les apparitions à la télévision, activé les réseaux sociaux, réalisé des opérations de communication spectaculaires, comme d’aller sonner, devant tous les médias, à l’interphone d’un habitant tunisien d’une zone difficile l’accusant d’être un trafiquant de drogue. Plus que jamais, il a critiqué la présence des immigrés, dénoncé la délinquance et la criminalité (il est vrai en hausse sensible dans cette région), fustigé la gauche au pouvoir. Il a transformé cette élection en un référendum contre le gouvernement du centre-gauche aussi bien au niveau régional qu’à Rome, et pour ou contre sa personne.Les deux stratégies parallèles, celle de l’efficacité des politiques publiques d’un côté, celle de la mobilisation citoyenne de l’autre, se sont révélées gagnantes.Face à lui, ses adversaires ont déployé une double stratégie. Stefano Bonaccini, le Président sortant de la région, a fait une campagne de défense de son bilan. Un bilan avantageux. En effet, la croissance est de retour, l’économie liée au numérique progresse, la région s’affirme comme la deuxième plus riche d’Italie après la Lombardie, le chômage est inférieur à 6 % (contre 9,7 % au niveau national), les services publics sont nombreux et de qualité.Toutefois, la délinquance est en effet assez élevée (on comptait 2 939 délits pour 100 000 habitants en 2019, contre, par exemple, 2 633 en Lombardie et 1 800 en Vénétie), les zones périphériques sont à la traîne, les industries plus traditionnelles souffrent, et la présence d’une immigration qui a considérablement augmenté (12,3 % d’immigrés résidents), suscite des réactions de repli ou de rejet qu’exploite et exacerbe la Ligue. Mais à l’évidence, le positif l’a largement emporté sur le négatif.Par ailleurs, l’Emilie-Romagne a vu surgir en novembre dernier les fameuses sardines. Les promoteurs de ce mouvement citoyen qui a essaimé dans toute la péninsule entendaient combattre Salvini dans les rues au nom de l’antifascisme et de la défense de la Constitution. Ils voulaient rendre sa noblesse à la politique. On redoutait que ces actions aient un effet inverse à celui escompté en polarisant l’attention sur Matteo Salvini. Mais, au total, elles ont profité à Stefano Bonaccini, plus qu’à son parti lui-même, très critiqué par les participants du mouvement. Manifestement, les sardines ont convaincu les électeurs de se rendre aux urnes pour barrer la route à la Ligue et à ses alliés.Ce scrutin d’Emilie-Romagne donne une réponse à une grande question, celle du combat contre le populisme. Les deux stratégies parallèles, celle de l’efficacité des politiques publiques d’un côté, celle de la mobilisation citoyenne de l’autre, se sont révélées gagnantes.Le gouvernement conforté. Jusqu’à quand ?Que peut-il se passer maintenant ? Matteo Salvini avait érigé l’élection en Emilie-Romagne en test pour le gouvernement national. Selon lui, si la Ligue l’emportait en Emilie-Romagne, l’exécutif actuel, dirigé par Giuseppe Conte et soutenu par le PD, le Mouvement 5 étoiles et le nouveau petit parti fondé par Matteo Renzi, Italia Viva, n’aurait plus eu de légitimité. Il aurait alors demandé au président de la République, Sergio Mattarella, de dissoudre les Chambres et de convoquer les électeurs. Le gouvernement continuera donc. Mais il reste impopulaire. Il doit essayer de séduire les électeurs en s’efforçant de relancer l’économie et en approfondissant les politiques sociales qu’il a commencé d’engager.Le gouvernement continuera donc. Mais il reste impopulaire. Il doit essayer de séduire les électeurs en s’efforçant de relancer l’économie et en approfondissant les politiques sociales qu’il a commencé d’engager.De son côté, le leader du PD, Nicola Zingaretti, cherchera à réaliser ce qu’il a annoncé : une transformation du PD pour le rendre plus attractif. La grande inconnue réside du côté du Mouvement 5 étoiles. Son candidat en Emilie-Romagne a sombré avec 3,4 % des suffrages contre 13,3 % il y a six ans, et 27,5 % en 2018 aux élections politiques. Le parti est en pleine crise. Il enregistre défaite sur défaite électorale. Il se déchire sur ses orientations, hésitant entre la poursuite de l’alliance avec le PD, le retour à un accord avec la Ligue, ou le choix de rester seul. Son chef Luigi Di Maio a préféré renoncer à diriger le Mouvement. Tout dépendra donc des choix que fera ce Mouvement, en particulier concernant sa participation directe au gouvernement de Giuseppe Conte. Enfin, Matteo Salvini devra digérer sa nouvelle défaite après celle du mois d’août dernier où il avait ouvert une crise gouvernementale pour, déjà, essayer d’obtenir la dissolution des Chambres. Il enregistre son premier vrai échec électoral depuis qu’il a pris la direction de la Ligue il y a sept ans. Il lui faut se méfier des succès croissants de son alliée, Giorgia Meloni, dirigeante du parti d’extrême droite, Frères d’Italie. Salvini reste néanmoins le grand opposant au gouvernement Giuseppe Conte et aux forces politiques qui le soutiennent. Il lui faut apprendre cette dimension de l’action politique qui s’avère si importante, la patience : "donner du temps au temps" disait le rusé François Mitterrand. Copyright : Filippo MONTEFORTE / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 23/09/2019 France-Italie – Un nouveau départ ? Marc Lazar 30/08/2019 Comprendre la crise politique italienne Marc Lazar