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31/08/2017

La Pologne : une épine dans le pied de la politique européenne d’Emmanuel Macron ? Entretien avec François Bafoil

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La Pologne : une épine dans le pied de la politique européenne d’Emmanuel Macron ? Entretien avec François Bafoil
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François Bafoil, directeur de recherche au CNRS / CERI - Sciences Po Paris et spécialiste de l'Europe centrale et orientale nous livre son analyse, sur la Pologne, pays qui tente d'accroître son influence au sein de l'Union européenne mais qui demeure réticent à un certain nombre de réformes.

Comment définiriez-vous la politique actuelle du gouvernement polonais ? 

La Pologne cherche actuellement à augmenter son influence sur la scène européenne et internationale. Traditionnellement, Varsovie souhaite se démarquer de Berlin et de Moscou, ses deux grands voisins, et demeurer proche des Etats-Unis dont elle se veut depuis 1990 le fidèle allié en Europe. Cela explique pourquoi elle développe une politique visant à unifier politiquement et économiquement les pays d’Europe centrale et orientale. A ce titre, elle a lancé en 2016 avec la Croatie un important projet d’infrastructures pour relier la mer Baltique, la mer Adriatique et la mer Noire : "Three Seas Initiative" ou "Initiative des Trois Mers". Une douzaine de pays ont rejoint ce projet – la Hongrie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, la Croatie et l’Autriche – et, en signe de soutien, le président américain Donald Trump a participé au sommet de juillet 2017 réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement de ces différents pays.

Il est certain que la politique intérieure menée actuellement par le gouvernement polonais nuit à son image internationale et fragilise son influence au sein de l’Union européenne (UE). Plusieurs réformes ont été fortement décriées par les différentes capitales européennes ainsi que par les institutions de l’UE, qui accusent la Pologne de ne pas respecter les principes de l’Etat de droit et les valeurs européennes. C’est le cas de la réforme constitutionnelle, de la réforme du système judiciaire ou du projet finalement abandonné d’interdiction de l’avortement. De surcroît, l’actuel gouvernement défend une ligne souverainiste et s’oppose à bon nombre des réformes européennes en cours de négociation entre les Etats membres.

La Pologne peut-elle contrecarrer la politique européenne volontariste d’Emmanuel Macron ?

Lors de sa visite officielle en Bulgarie, vendredi 25 août dernier, Emmanuel Macron a prononcé des mots très forts à l’encontre de la Pologne. Le président français a ainsi expliqué que le pays avait décidé "d’aller à l’encontre des intérêts européens", et que "l’Europe s’est construite sur des libertés publiques qu’enfreint aujourd’hui la Pologne". Il a ajouté que "Le peuple polonais mérite mieux que cela". Beata Szydlo, Premier ministre polonais, a considéré par la suite qu’il s’agissait de "déclarations arrogantes (…) dues à son manque d’expérience et de pratiques politiques". Nul doute que la véhémence de cet échange ternira les relations diplomatiques futures entre les deux pays.

Pour répondre précisément à votre question, il appartient selon moi à Angela Merkel de déterminer s’il est nécessaire de continuer à faire pression sur le gouvernement polonais pour qu’il accepte de modérer sa politique, ou s’il convient au contraire de prendre acte de la ligne politique actuelle afin de ne pas renforcer le conflit latent avec cet important pays. Le gouvernement polonais considère quant à lui que l’Allemagne n’a pas d’autre choix que de rechercher le compromis et continue de culpabiliser son puissant voisin en ravivant sans cesse le contentieux tragique entre les deux pays et notamment les plaies de la Seconde Guerre mondiale. Pour parvenir à ses fins sur la scène européenne, Emmanuel Macron a besoin de l’appui d’Angela Merkel. Si les deux capitales parlent d’une voix unie, il sera difficile pour la Pologne de s’enfermer dans une posture contre-productive qui nuirait à ses relations avec ses principaux partenaires économiques. Le gouvernement polonais peut chercher à diviser les deux alliés mais tant sur le dossier des migrations que sur celui des travailleurs détachés, il ne dispose d’aucun véritable atout et s’enferme dans une posture de refus.

Enfin, à bien regarder, le groupe de Visegrád – dont font partie la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie – ne semble pas si uni que cela. A titre d’exemple, la Hongrie de Viktor Orbán mène une politique pro-russe à l’exact opposé de l’hostilité traditionnelle de la Pologne envers la Russie. Il n’est donc pas certain que Varsovie puisse s’appuyer durablement sur ce groupe pour continuer à peser au sein des institutions européennes. Il semblerait, par ailleurs, que les responsables Slovaque et Tchèque aient été sensibles aux arguments du président français lors de sa récente visite et ne seraient pas prêts à sacrifier leurs relations avec les pays fondateurs de l’UE au seul profit de la politique polonaise.

Comment pensez-vous que la situation évoluera au cours des prochains mois ?

La Pologne est le premier bénéficiaire des fonds structurels européens. Sur la période 2014-2020, plus de 60 milliards d’euros lui ont été alloués. Dans quelques mois s’ouvriront les négociations pour l’allocation des fonds pour la période 2021-2027. L’Allemagne et la France ont déjà laissé entendre qu’elles pourraient demander une diminution des sommes allouées à la Pologne en réaction à sa politique actuelle. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, y est favorable. De nombreux parlementaires européens, des Verts aux socialistes et jusqu’à certains membres du PPE (Parti populaire européen), le sont tout autant. Cela semble pourtant difficile. Les fonds européens sont versés en fonction de règles juridiques précises et non pour des motifs politiques. Il faudrait donc réformer ces règles, ce que le Conseil européen peut toutefois décider à la majorité qualifiée.

La bonne situation économique actuelle du pays participe du sentiment de confiance qui domine au sein de l’exécutif polonais. En 2016, le pays a connu une croissance de 2,8 % et le chômage y est aujourd’hui sous la barre des 5 %. Ces bons résultats économiques, ainsi que les déclarations accusatoires de certaines capitales européennes et des institutions bruxelloises, renforcent le soutien de l’opinion publique au gouvernement. Selon un sondage de l’Institut CBOS réalisé en août 2017, près de 51 % des polonais se disent satisfaits de la performance du gouvernement actuel. En cas d’élections, le parti "Droit et Justice" (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) obtiendrait aujourd’hui 40 % des voix, un résultat supérieur à celui réalisé en 2015.

Au mois d’octobre prochain, les ministres du travail des vingt-huit Etats membres se réuniront à Bruxelles pour statuer sur la possible révision de la directive sur les travailleurs détachés. Emmanuel Macron a fait de cette réforme sa première bataille politique européenne. En raison du grand nombre de travailleurs détachés polonais au sein du marché intérieur, Varsovie pèse de tout son poids pour s’opposer à cette réforme. Rien ne doit être fait qui puisse, selon elle, ressembler à une quelconque égalisation fiscale. Cette controverse entre les deux capitales risque de s’accentuer au cours des prochaines semaines et il est impossible de prédire aujourd’hui qui obtiendra gain de cause.

Malgré le discours souverainiste et eurosceptique du gouvernement, les élites polonaises savent que leur destin est d’être membre de l’UE. De 2004, date de son adhésion, jusqu’au retour au pouvoir du parti "Droit et Justice" en 2015, la Pologne a défendu une ligne politique pro-européenne. La contestation du projet européen ne fait donc pas partie du discours traditionnel du pays. De plus, le gouvernement actuel paraît désemparé par le front uni qu’offrent l’UE et les Etats membres dans leur négociation avec le Royaume-Uni. Le gouvernement polonais aurait préféré que le Brexit ait un impact déstabilisateur sur la cohésion de l’UE. Tel n’a pas été le cas. L’UE est actuellement plus forte qu’elle ne l’était à la veille du référendum britannique et cela contrecarre les plans de Varsovie. 

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