AccueilExpressions par MontaigneLa Cour de Karlsruhe peut-elle remettre en cause la politique de la BCE ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.12/06/2013La Cour de Karlsruhe peut-elle remettre en cause la politique de la BCE ?ImprimerPARTAGERAuteur Alexia de Monterno Directrice adjointe de l'Institut Montaigne La Cour constitutionnelle de Karlsruhe examine aujourd'hui un recours porté par Peter Gauweiler (député de la très conservatrice CSU), des députés de gauche ainsi que par un collectif de citoyens. En cause, le programme OMT (outright monetary transactions) annoncé par Mario Draghi en septembre 2012 autorisant la Banque centrale européenne (BCE) à racheter de façon illimitée les dettes publiques des pays européens alors sous la pression des marchés. La Cour de Karlsruhe doit examiner si les conditions posées par la Loi fondamentale allemande pour déléguer à la BCE la politique monétaire sont respectées par les OMT.La seule annonce du programme OMT a permis, on s’en souvient, de calmer les attaques spéculatives des marchés et d’éloigner pour le moment le spectre de l’éclatement de la zone euro. Mais, pour un certain nombre d’eurosceptiques, la BCE outrepasse son mandat en négligeant l’interdiction qui lui est faite de financer les Etats, prend le risque de relancer l’inflation dans la zone euro et agit sans légitimité démocratique. C’est également la position de la Bundesbank (la « Buba ») qui, par la voie de son nouveau président, Jens Weidmann, n’a de cesse de critiquer l’action de la BCE en la matière.Les raisons du recoursCe débat peut sembler un peu baroque aux yeux de tous ceux qui estiment que l’action de la BCE a permis de sauver la zone euro et de donner du temps à des pays engagés sur la voie de réformes structurelles complexes (Grèce, Italie, Espagne... France ? ). La Bundesbank estime, au contraire, que le programme des OMT ne résout en rien les problèmes sous-jacents des pays concernés. Pire, qu’en relâchant la pression financière sur ces pays, il leur donne l’opportunité de reporter les réformes pourtant urgentes et nécessaires. En bref, pourquoi ces pays feraient-ils des efforts par nature douloureux si la BCE, et donc in fine, les autres pays européens, prennent systématiquement en charge leur endettement ? Cette inquiétude fait largement écho à des interrogations croissantes outre-Rhin sur le poids fiscal que peut induire la politique de sauvetage des pays du sud. L’émergence récente du parti Alternative für Deutschland (AfD) qui milite pour la sortie de l’Allemagne de la zone euro - et qui est crédité de 2 % aux prochaines législatives, en témoigne.L’inflation est également un sujet d’inquiétude. Aujourd’hui, en raison de la crise, l’expansion monétaire conduite par la BCE ne trouve pas de traduction dans les prix mais dès que la situation s’améliorera, le risque inflationniste deviendra réel si l’on ne résorbe pas rapidement l’excès de liquidités. Cette crainte renvoie à deux éléments fondamentaux qui structurent profondément la vie politique allemande : l’attachement à la stabilité des prix d’une part, garantie par une banque centrale indépendante et imperméable à toute tentative d’intrusion politique, d’autre part. L’imaginaire collectif du pays continue à être hanté par l’hyperinflation des années 1920 et par l’explosion du chômage qui s’en est suivie. Depuis sa création en 1957, la Bundesbank a bâti sa réputation sur la stabilité des prix et vit mal tout accroc à ce dogme.Enfin, la question de la légitimité de la BCE à agir sans mandat démocratique et sans que les Traités ne l’y autorisent (estime la Buba), est un vrai sujet. L’ambiguïté est due au fait que si les Traités interdisent à la BCE d’acheter directement des obligations d’Etat, ils ne lui interdisent pas explicitement d’intervenir sur le marché secondaire. L’attachement aux Traités, le gouvernement par la règle sont des réalités tangibles en Allemagne. S’agissant par exemple de l’Union bancaire, si la Buba estime qu’une autorité unique de résolution bancaire au niveau européen est nécessaire, elle indique également qu’il n’y a pas de fondement juridique à en confier la responsabilité à la BCE. Sur ce sujet comme sur celui des OMT, la modification des Traités est jugée indispensable.Quels sont les risques réels du recours ?Rappelons tout d’abord que la Cour de Karlsruhe a validé récemment le principe du Mécanisme européen de stabilité (MES). En outre, sa décision n’est pas attendue avant septembre. Enfin, une décision de la Cour ne concernerait que le champ d’action de la Bundesbank, la BCE ne pouvant être contrainte que par le juge européen. Néanmoins, si la Buba était interdite de participer au rachat de titres souverains, c’est tout l’Eurosystème qui serait fragilisé.ImprimerPARTAGER