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04/12/2019

Israël : l’inévitable impasse

Trois questions à Dominique Moïsi

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Israël : l’inévitable impasse
 Dominique Moïsi
Conseiller Spécial - Géopolitique

Israël fait face aujourd'hui à d’importantes contradictions. D’un côté, le pays est profondément fragilisé de l’intérieur, à la fois par la mise en examen sous trois chefs d’accusation de son Premier ministre et par l'incapacité des partis politiques à former un nouveau gouvernement. De l’autre, Israël est aussi renforcé par la reconnaissance par les États-Unis (et uniquement par eux), du caractère légal des colonies israéliennes installées sur les territoires palestiniens. Quelles peuvent en être les conséquences et quel avenir pour la vie politique israélienne ? Dominique Moïsi, conseiller spécial géopolitique de l’Institut Montaigne, répond à nos questions.

Comment expliquer le changement de politique de l’administration américaine, qui considère désormais que les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont pas contraires au droit international ?

Il est tout d’abord nécessaire de dire que la décision américaine de reconnaître les colonies de peuplement comme parfaitement légales ne change en aucun cas leur statut aux yeux du droit international. Cette décision, qui va à l’encontre des positions réaffirmées par l’Union européenne, s’inscrit en réalité dans une logique de continuité unilatérale américaine, servant ses propres intérêts.

Il n’est pas question ici de quelconque résolution des conflits. J’identifie deux raisons pouvant expliquer un tel positionnement à ce moment précis.

  • Premièrement, en matière de politique étrangère, Donald Trump souhaite soutenir Benjamin Netanyahou dans un moment difficile et décisif de sa carrière politique.
     
  • La deuxième raison, et la principale selon moi, se joue du côté du calendrier électoral américain. L’objectif est, pour Donald Trump, de renforcer le soutien des évangélistes à sa candidature. Ceci indique, une fois de plus, que le Président américain fait évoluer sa politique étrangère en fonction des urgences de son calendrier politique.

Cette décision est par ailleurs un symbole important pour la droite israélienne : l’idée que l’occupation des territoires de Palestine par Israël est, depuis le début, non seulement juste aux yeux de l’histoire, mais aussi légale.

À travers ce positionnement, les États-Unis ne font, et c’est plus grave encore, qu’encourager les positions de la Russie de Poutine sur la Crimée et celle du Premier ministre indien, Narendra Modi, sur la question du Cachemire. De façon plus générale, cette prise de position permet à Donald Trump d’affirmer la ligne directrice de sa politique : la force crée le droit.

La solution à deux États était-elle encore envisageable ?

Cette dernière décision américaine apparaît comme le dernier clou dans le cercueil de la solution à deux États. Comment envisager un État palestinien, ou même des négociations avec la Palestine, si les États-Unis concèdent tout aux positions de la droite israélienne ?

Si l’état hébreu entend rester juif, il ne sera plus démocratique. S’il demeure démocratique compte tenu de la démographie locale, il ne sera plus juif. 

La question est donc désormais de savoir comment s'organisera la solution à un seul État. Pour aller à l’essentiel, si l’état hébreu entend rester juif, il ne sera plus démocratique. S’il demeure démocratique compte tenu de la démographie locale, il ne sera plus juif. 

En outre, la possibilité de paix passe par la notion de sacrifices réciproques : Israël doit renoncer à l’essentiel des territoires qu’il contrôle et les Palestiniens doivent renoncer, de façon quasiment totale, au droit de retour des réfugiés.

Après l’échec de la part du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de l’ancien chef d'État-Major, Benny Gantz, à constituer un gouvernement, comment le pays peut-il sortir de l’impasse politique dans laquelle il se trouve ? Cette situation peut-elle contraindre Israël à modifier son système électoral à la proportionnelle quasi absolu ?

Si Israël est dans la confusion politique la plus totale, une seule chose est sûre : l’après-Netanyahou a commencé, même s’il ne faut pas enterrer trop vite celui qui est toujours Premier ministre de l’État d’Israël. Il se battra bec et ongles pour préserver son poste. Il faut dire que la décision du juge ne vient que confirmer un processus de lassitude et d’éloignement progressif à l’égard d’un homme qui est tout simplement en place depuis trop longtemps et souffre de l’usure du pouvoir. Il convient désormais de savoir quand et comment le Premier ministre devra officiellement renoncer à cette position.

Concernant les élections législatives, la grande majorité des Israéliens ne veut pas d’un troisième scrutin, qui selon eux ne résoudra en rien les problèmes liés à la polarisation extrême de la société. En l’absence d’alternative, et si aucune solution n’est trouvée dans les trois semaines à venir, le Président israélien, Reuven Rivlin, se verra néanmoins dans l’obligation de dissoudre le Parlement et d'enclencher de nouvelles élections. Le seul moyen d’éviter celles-ci serait d’établir un gouvernement d’unité nationale entre le Likoud et le parti Bleu-blanc, alliance jusqu’ici rendue impossible par la volonté de Netanyahou d’exercer en premier dans un système d’alternance la fonction de Premier ministre.

Benjamin Netanyahou et Donald Trump constituent tous les deux, et de façon similaire, des risques pour l’avenir de la démocratie dans leurs pays respectifs.

Benjamin Netanyahou et Donald Trump constituent tous les deux, et de façon similaire, des risques pour l’avenir de la démocratie dans leurs pays respectifs. Avec bien sûr un gigantesque espoir : et si la chute annoncée de Netanyahou ne faisait qu'annoncer et précéder celle de Trump ?

De manière plus globale, il est intéressant de voir que les trois grandes puissances de la région - Iran, Turquie et Israël - font face à une même contradiction : une puissance externe toujours plus grande accompagnée d’une grande vulnérabilité interne. Historiquement, des puissances comme la France à la veille de la Guerre Franco-Prusse en 1869, ou les Empires Austro-Hongrois et Russe en 1913, ont trop souvent eu recours à l’aventure extérieure pour trouver des solutions à leurs problèmes internes. "Rien ne vaut une bonne petite guerre" pensaient-ils. En sera-t-il de même au Moyen-Orient en ce premier quart du XXIe siècle ? Les risques de dérapage vers la guerre sont plus grand que jamais.

 

Copyright : GALI TIBBON / AFP

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