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23/08/2019

Hong Kong – le dernier sursaut

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Hong Kong – le dernier sursaut
 François Godement
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

L'intelligence collective et le comportement civilisé des habitants de Hong Kong, qui ont encore une fois manifesté massivement le 18 août, méritent toute notre admiration.
 
Mais le sort de Hong Kong avait été scellé en 1984, lorsque le gouvernement Thatcher a signé la Déclaration conjointe entérinant la rétrocession du territoire à la Chine en 1997. Certes, un sursis de 50 ans était prévu, faisant de Hong Kong une Région administrative spéciale régie par la formule "un pays, deux systèmes". Mais déjà, Deng Xiaoping avait exigé (en passant outre, d’ailleurs, l’avis du ministre de la Défense Geng Biao, premier patron de Xi Jinping) que des unités de l'Armée populaire de libération soient stationnées à Hong Kong à partir de 1997. Si, à l'époque, la Chine promouvait le slogan "les Hongkongais gouvernent Hong Kong", elle n'a jamais accepté l’idée d’une transition démocratique complète en remplacement du régime colonial. Peu importe les changements incroyablement complexes de la loi électorale depuis le début des années 1990, c’était une base de l’accord avec les Britanniques, que des "circonscriptions fonctionnelles" représentant des groupes professionnels et d'intérêts, ainsi que des comités électoraux nommés, équilibreraient les effets prévisibles du vote démocratique direct. Ni les Hongkongais, ni la Chine n'ont changé d’avis : en 1991, deux ans après Tian'anmen, les militants démocratiques remportaient 68 % des voix aux élections directes.En 2016, ils obtenaient toujours 55 % des voix. Le “Mouvement des parapluies” de 2014 a ciblé, avant tout, les comités électoraux. Au cœur de la mobilisation extraordinaire de cet été, il y a de nouveau cette revendication d’un vote direct à 100 %. Mais si certains détails du système électoral de Hong Kong ont pu varier dans la vision qu’en a la Chine, cette dernière n'a jamais transigé sur l'article principal : le refus de la démocratie directe et le contrôle de la nomination du chef de l’exécutif de la région.
 
Les événements auxquels nous assistons actuellement sont une conséquence différée de la Déclaration commune. Seul Christopher Patten, le dernier gouverneur colonial de Hong Kong, avait tenté d'insuffler davantage de démocratie dans les futures règles électorales ; cela lui a valu d’être mis au pilori par la Chine. Si la jeunesse a été au premier plan du Mouvement des parapluies et des manifestations massives actuelles, ce n’est pas seulement parce qu’elle subit l’énorme poids des inégalités économiques à Hong Kong, mais simplement parce qu’elle sait qu’elle vivra le Hong Kong d’après 2047. En réalité, les jeunes ont bien saisi que la préparation à ce tournant se jouait dès maintenant. On peut prendre en exemple les immenses travaux d’infrastructure qui créent la Guangdong-Hong Kong-Macao-Greater Bay Area, ou encore certains changements subtils comme le transfert du contrôle du transit vers les gares urbaines à l'intérieur de Hong Kong, ou le projet de loi d'extradition faisant suite à des cas d’enlèvements à Hong Kong même, ou le contrôle renforcé de la presse par des moyens financiers... tout semble suggérer une autre réalité : la protection permise par la formule "un pays, deux systèmes" commence déjà à s’estomper, bien avant 2047. Et prétendre que nous sommes surpris que cela arrive relève d’une naïveté feinte.

Le sort de Hong Kong avait été scellé en 1984, lorsque le gouvernement Thatcher a signé la Déclaration conjointe entérinant la rétrocession du territoire à la Chine en 1997.

Le fait que la composante la plus militante du mouvement de masse ait choisi l'aéroport de Hong Kong comme lieu de manifestation est révélateur. Quitter Hong Kong, c'est ce que la majorité des Hongkongais, qui ne détiennent pas un passeport du Commonwealth ou un passeport étranger, auront le plus de mal à réaliser à l'avenir. Dans ce qui est aujourd’hui une métropole globale du commerce et de la finance, les voilà coincés, avec pour horizon la promesse d’une domination par le Parti communiste chinois, qui n'a fait que devenir plus inflexible avec le temps. Les menaces proférées par Pékin, la décision (à peine plus subtile) annoncée par le Conseil des affaires de l’État chinois de promouvoir Shenzhen comme "modèle mondial", le fait que Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif hongkongais, ait supplié les manifestants de ne pas "pousser Hong Kong vers l’abîme", sont autant d’indices d’une réalité inexorable.

La République populaire de Chine ne lâchera pas Hong Kong, et optera pour l’effacement des différences entre Hong Kong et le reste de son territoire. Dans ce contexte, les protestations de masse qui rassemblent les Hongkongais constituent le dernier sursaut de Hong Kong en tant que ville libre. Le mouvement ne peut espérer obtenir qu’un simple ralentissement de l'érosion des normes hongkongaises, mais qui sera accompagné par une pression croissante de la part de Pékin - qu’elle soit économique, sociale ou par de la brutalité pure et simple.
 
Que devraient faire les démocraties ? Elles ne se sont guère mobilisées dans le cas de la région du Xinjiang, où un nombre incalculable de musulmans locaux dépérissent dans des camps de rééducation : en dépit de tout le mépris qu’ont à son égard les libéraux, Donald Trump est le seul à avoir effectué des gestes symboliques importants.
 
Les démocraties ne peuvent revenir de manière unilatérale sur les principales dispositions de l'accord de rétrocession, qui a été approuvé au niveau international. Donald Trump l'a exprimé avec la simplicité qu’on lui connaît : "ils (la Chine et les Hongkongais) devront s'en occuper eux-mêmes". Avant de s’indigner de ces propos, écoutons d’abord le silence qui émane d'un grand nombre d'interlocuteurs occidentaux de la Chine. Au mieux, notons cette déclaration commune de Federica Mogherini au nom de l’Union européenne et du gouvernement de Justin Trudeau dénonçant "un nombre croissant d’incidents violents inacceptables" avant d’appeler les parties à "faire preuve de retenue". La France et l'Allemagne sont restées extrêmement discrètes, voire mutiques dans leurs réactions. Pourtant, s'il y a bien une situation attestant du rejet par le Parti communiste chinois de toute dérive vers la démocratie, c'est bien l'impasse actuelle à Hong Kong.
 
La prudence de ces réactions est en partie explicable, sinon justifiable. Nous devons nous garder d’encourager la population de Hong Kong à aller vers une protestation violente : à partir d’un certain point, cela reviendrait à un suicide assisté, face auquel l'Occident restera spectateur. Si les militants hongkongais ne peuvent obtenir qu'un soutien symbolique, il est préférable qu’ils le sachent. Il y a des objectifs réalistes, et nous devons chercher à les atteindre, même s'ils ne sont que défensifs : protéger nos systèmes démocratiques des politiques d'influence menées par le Parti communiste chinois est déjà une tâche ardue. La mise en place d'une ligne de défense contre l'économie chinoise dirigée par l'État, qui utlise cyniquement l’ouverture des économies de marché,  est aussi suffisamment délicate, compte tenu des intérêts spéciaux qui font du lobbying en faveur de la Chine.
 
Ceci dit, il y a tout de même une ligne minimale à tenir. Nous pouvons et devons exprimer de la sympathie, y compris celle de nos gouvernements eux-mêmes, à l'égard de demandes locales qui seraient considérées comme naturelles dans toute démocratie. Au-delà de cette position morale, il y a une réalité qu’il convient de souligner à Pékin : le statut durable de Hong Kong en qualité de membre de l'Organisation mondiale du commerce et territoire douanier distinct, tout comme son statut de plaque tournante financière entre la Chine et le monde, sont largement conditionnés par une autonomie administrative et juridique vis-à-vis de la Chine. Si la Chine pousse effectivement Hong Kong "dans l'abîme", pourquoi les partenaires de la Chine devraient-ils s'accrocher à un statut que la République populaire détruit ? Si la Chine renverse la table, devons-nous prétendre que les règles sont inchangées ? Si Pékin, en utilisant le projet de Shenzhen et la Greater Bay, réduit l'autonomie de Hong Kong à une niche financière et commerciale bien commode, pourquoi les autres devraient-ils se prêter au jeu?
 
L'impasse hongkongaise va sans doute se prolonger, sous la forme d’un jeu du chat et de la souris. Ce scénario reste infiniment préférable à un dénouement violent. Il est peu probable que le gouvernement central puisse réprimer rapidement les manifestations sans recourir à la force. Il nous revient au moins de rappeler à l’Etat-parti chinois que les avantages tirés par la Chine de Hong Kong sont dépendants d’une autonomie véritable. Shenzhen, ou n'importe quelle zone économique spéciale dans la stratégie chinoise, ne peuvent pas se prévaloir de celle-ci.
 

Copyright : Manan VATSYAYANA / AFP

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