Formation des soignants : au-delà des compétences techniques

Santé

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Formation des soignants : au-delà des compétences techniques

Auteur

François Jaulin

Mathématicien et médecin anesthésiste-réanimateur

Auteur

Manon Macé

Responsable marketing chez SafeTeam Academy

Avec le vieillissement de la population et l’amélioration des prises en charge thérapeutiques, notre système de santé est amené à traiter de plus en plus de maladies chroniques. Alors que ces pathologies ont contribué à transformer durablement les parcours de soins - en mobilisant simultanément des professionnels de santé de l’hôpital, de la ville ou du domicile - comment les formations des soignants sont-elles adaptées à ces évolutions ? Dans cette interview, François Jaulin, mathématicien et médecin, ainsi que Manon Macé, spécialiste en marketing stratégique et opérationnel, dressent le constat d’un manque de synchronisation entre les professionnels des hôpitaux et de la médecine de ville, ainsi qu’entre les membres des équipes soignantes.

Cette absence de coopération peut être porteuse de risques, non seulement pour le patient, mais aussi pour les soignants. Pour l’Institut Montaigne, les auteurs identifient donc les compétences non-techniques (gestion du stress et de la fatigue, leadership et travail en équipe, communication, prise de décision, conscience de la situation) à inclure dans la formation des soignants.

Quels ont été les principaux changements auxquels a fait face notre système de santé au cours des dernières années ? Quelles conséquences ces changements ont-ils eu sur la pratique médicale ?

Les pathologies se sont complexifiées au cours du temps. Les progrès de la médecine ont permis une vigilance et une détection accrues des pathologies, ce qui a entraîné une augmentation générale du nombre de patients pris en charge par le système de santé. Entre 2016 et 2021, le nombre de séjours en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCO) est ainsi passé de 16,4 à 18,2 millions.

En parallèle, les techniques de soins se sont sophistiquées, du fait de la nécessité de prendre en charge un large éventail de pathologies chez des individus fragiles, les personnes âgées notamment. L'augmentation de l’espérance de vie (qui en 20 ans, a progressé de 2,9 ans pour les femmes et de 4,7 ans pour les hommes en France) et le vieillissement de la population ont accentué cette tendance. Alors que les plus de 60 ans représentaient 16,2 % de la population de France métropolitaine en 1950, il compte pour 26,9 % de celle-ci en 2020. Cette tendance ira dans cette même direction à l’avenir, étant donné que les plus de 65 ans représenteront plus de 30 % de la population française à partir de 2050.

Les pathologies se sont complexifiées, entraînant une augmentation générale du nombre de patients. Les techniques de soins se sont sophistiquées.

De même, les lieux des soins se sont multipliés : avec l’essor des pratiques ambulatoires et domiciliaires, les patients peuvent désormais être pris en charge aussi bien à l’hôpital qu’à domicile mais aussi au sein des différents cabinets médicaux (de médecine générale, de kinésithérapie, etc.). Le domicile va compter au rang des enjeux prioritaires des prochaines années, étant donné que 75 % des Français souhaiteraient être pris en charge chez eux dans le cadre d’une pathologie ne nécessitant pas de soins complexes et que 85 % des Français désirent vieillir à domicile.

Si l’essor d’outils numériques de télémédecine et de suivi apporte de multiples opportunités, il n’est pas sans poser de nouveaux défis à nos systèmes de santé. À ce jour, les solutions numériques en santé portent sur une ou deux étapes du parcours de soin, sans réellement intégrer l’ensemble de ce parcours - et donc des professionnels de santé qui en sont les acteurs. Ce "hachage" de la prise en charge s'avère souvent préjudiciable pour la construction d’une prise en charge du patient fluide et cohérente.

Pour finir, la pandémie de Covid-19 a infligé un stress majeur au système de santé et à ses professionnels, ce qui a provoqué sa réévaluation en profondeur. En 2021, l’ATIH a recensé 20,8 millions d’admissions aux urgences au sein des quelque 3 000 établissements MCO de France. De surcroît, 25 % des salariés ont quitté l’hôpital public, "suite à la surcharge de travail, physique comme mentale, qui est soit causée, soit mise en exergue par la pandémie", selon une étude de la Drees parue en juillet 2022.

Les parcours de soins des patients mobilisent de nombreux professionnels de santé et exigent une interaction coordonnée entre ces acteurs.

L’ensemble de ces changements ont profondément bouleversé le quotidien des professionnels de santé : les parcours de soins des patients mobilisent désormais de nombreux professionnels de santé et exigent une interaction constante et coordonnée entre les différents acteurs impliqués.

Face à ces nouveaux parcours de soins, quelles compétences pourtant essentielles manquent actuellement à la formation des soignants ? Quelles évolutions au sein de la formation des soignants pourraient être envisagées ?

Les soignants manquent de formation au travail d’équipe. La formation médicale repose encore sur une vision du système de santé remontant au début du XXe siècle, c’est-à-dire à l’ère d’une prise en charge du patient par une équipe réduite, typiquement composée d’un médecin et d’une infirmière. Or, le modèle actuel de prise en charge implique généralement une trentaine de personnes : du médecin aux infirmières, en passant par les aides-soignantes, les secrétaires médicaux, manipulateurs radio, brancardiers, hygiénistes, biologistes, sans mentionner les fonctions de supports et administratives... Les effectifs du système de santé ont crû de façon fulgurante (passant de 1,2 à 1,4 million de salariés dans le secteur hospitalier entre 2003 et 2017), ce qui explique que la formation des soignants ne reflète pas encore cette nouvelle échelle d’action.

Le manque de communication et de coordination engendre des risques pour les patients.

Sans module de formation destiné à renforcer le travail d’équipe, le manque de communication et de coordination actuellement observé entre ces nombreux soignants continuera d’engendrer des risques pour les patients, notamment la possibilité d’erreurs médicales. Selon une enquête nationale menée par la DGOS, en 2019, entre 93 000 et 197 000 événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) évitables ont causé une hospitalisation, et entre 55 000 et 130 000 EIGS évitables surviennent en cours d’hospitalisation.

En outre, il est impératif d’inclure des ateliers de développement de compétences non-techniques dans la formation des soignants. Depuis les années 2000, l’importance des compétences non-techniques a été mise en lumière à la suite d’incidents graves qui auraient pu être évités-ou dont les dommages auraient pu être limités-si celles-ci avaient été davantage développées. Plusieurs études, dont celle de Tom Reader (London School of Economics) et de Paul O’Connor (University of Galway), ont démontré l’importance de cette "culture de la sécurité" en analysant l’explosion de la plateforme pétrolière BP dans le Golfe du Mexique le 20 avril 2010, qui avait fait 11 morts et qui avait déversé 5 000 barils (soit 795 000 litres) dans l’océan. L'analyse de plusieurs accidents industriels comme ce dernier nous éclaire, dans une autre échelle, sur l'importance de développer la culture de sécurité des acteurs de première ligne, les professionnels de santé en l'occurrence pour le secteur de la santé. Concrètement, les études de santé devraient permettre aux soignants d’accroître leurs capacités de perception, de compréhension et ainsi d’anticipation de situations potentiellement dangereuses.

Enfin, la connaissance de soi est une notion actuellement inexistante dans la formation des soignants. Cette absence est fortement regrettable tandis que le monde des professionnels de santé est imprégné d’une "culture du super-héros", qui ne permet pas aux soignants d’analyser correctement leur charge de travail, leur état de stress ou de fatigue.

Pour garantir les meilleurs résultats possibles, il est indispensable d’inclure des formations visant le renforcement de compétences non-techniques dès la formation initiale, afin d’anticiper les obstacles érigés par la "culture du sachant super-héros". Ceci étant, le programme d’enseignement initial est d’ores et déjà très chargé, et le ministère de la Santé, dont il dépend, dispose d’une enveloppe budgétaire trop faible pour le modifier.

La connaissance de soi est une notion actuellement inexistante dans la formation des soignants.

Au vu de ces contraintes, le format le plus adapté pour ce type d’ateliers semble être celui de la formation continue, au travers d’actions dans le cadre du développement professionnel continu (DPC), mis en place en juillet 2009 puis réformé en profondeur par la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016. Cette modalité de formation constitue le levier principal pour maintenir et actualiser les connaissances, bonnes pratiques et compétences des soignants tout au long de leur carrière.

Il est indispensable d’inclure des formations visant le renforcement de compétences non-techniques dès la formation initiale.

Tirant parti de l’évolution croissante de la culture de la sécurité, des formations interactives sont développées pour et avec les soignants, via des modules de vidéo-simulation par exemple. On peut notamment citer certains modules déjà existants, dont l'objectif consiste à former les soignants à la communication et au dialogue parfois difficiles avec les familles de patients, ou encore, à réagir en cas de comportements agressifs.

En somme, il s'agit de favoriser une évolution de la culture du monde médical sur le temps long, en attirant l'attention sur les difficultés qui interviennent pour les soignants au-delà de la pure prise en charge des patients au sens technique et médical du terme.

Copyright : PHILIPPE HUGUEN / AFP