Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
09/12/2019

Face à une Russie plus agressive, l'Europe a besoin de l'Otan

Face à une Russie plus agressive, l'Europe a besoin de l'Otan
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

L'Europe souveraine en matière de défense n'est pas pour demain. Plus que jamais, face à la menace russe et au défi chinois, les Européens ont besoin de l'Alliance Atlantique.

Les anniversaires se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a juste un mois on commémorait avec nostalgie le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin. La proclamation de la fin de l'Histoire n'avait-elle pas cédé la place aux avertissements sur la fin de la démocratie ?

Il y a quelques jours à Londres, on célébrait dans l'acrimonie et la division, le soixante-dixième anniversaire de la création d'une institution, l'Otan, qui demeurait pourtant aux yeux de ses membres comme un modèle de réussite. Il y a un lien étroit entre ces deux commémorations.

Au lendemain de la chute du mur de Berlin et de la dissolution de l'URSS, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, orpheline de sa raison d'être, à savoir la menace soviétique, se demandait si elle avait encore un avenir. Sa mission était accomplie : elle avait contribué à contenir "l'empire du mal" pour reprendre les termes utilisés par Ronald Reagan pour qualifier l'URSS. N'était-il pas sage, tout simplement, de la dissoudre, pour passer à autre chose ?

Le sens retrouvé de l'Alliance

Trente ans plus tard, on peut dénoncer les contradictions et les divisions au sein de l'Otan - Emmanuel Macron ne manque pas de le faire, de manière légitime sur le fond, malheureuse sur la forme - mais l'Alliance a indéniablement retrouvé du sens. On peut même dire que sa raison d'être s'est démultipliée. Tous ceux qui proclament qu'il n'existe pas de menace russe, souffrent soit de problème oculaire aigu, soit poursuivent un agenda qui n'a rien à voir avec l'analyse objective de la réalité.

La militarisation de la diplomatie russe, accompagnée de l'usage systématique de pratiques agressives - y compris des assassinats ciblés comme récemment en Grande-Bretagne ou en Allemagne - et de la volonté de Moscou de déstabiliser nos systèmes démocratiques, sont des réalités incontournables. De fait tout se passe comme si la Russie de Poutine s'était fixée comme objectif principal de rendre sa raison d'être à l'Otan. De la même manière et au même moment, l'Amérique de Donald Trump semble elle aussi s'attacher à démontrer - en creux cette fois - à quel point l'Alliance est plus indispensable que jamais.

De manière provocatrice, absurde, erratique, prévisiblement imprévisible, Donald Trump fait la démonstration du caractère toujours indispensable de la protection américaine. Indispensable mais insuffisante, car non garantie à terme. "Le Vatican combien de divisions", proclamait Staline avec un mélange d'ironie et de mépris. En 2019, on sent bien que Poutine serait tout prêt à reprendre à son compte, la formule de Staline : "L'Union européenne combien de divisions". L'Histoire lui donnera sans doute tort à lui aussi, mais pas tout de suite, pas maintenant.

Diversification des menaces

De fait, face à la multiplication et à la diversification des menaces et des défis, de la Russie à la Chine, l'Europe démocratique a plus que jamais besoin de l'Otan. En dénoncer les dysfonctionnements est une chose, contribuer par ses critiques à l'affaiblir plutôt qu'à la renforcer en est une autre. Les États-Unis et la Turquie en effet ne se résument pas à Trump et Erdogan. Il y a de la vie et de l'espoir au-delà de ces deux dirigeants toujours plus critiqués sinon isolés à l'intérieur de leurs pays respectifs.

Face à la multiplication et à la diversification des menaces et des défis, de la Russie à la Chine, l'Europe démocratique a plus que jamais besoin de l'Otan.

ll est essentiel de ne pas ignorer les enseignements du passé, au nom d'un présent problématique et d'un avenir idéal. Les chars soviétiques auraient-ils envahi l'Europe de l'Ouest sans l'existence de l'Otan ? Il est impossible de l'affirmer, tout comme il est impossible d'affirmer son contraire. Ce qui est certain, c'est que l'Alliance a constitué, pour la plus grande partie des soixante-dix dernières années, une forme d'assurance vie rassurante, un peu castratrice aussi, pour de nombreux pays d'Europe trop contents de déléguer leur sécurité à une sorte de grand frère lointain et proche à la fois.

L'Otan compte tenu des tentations de repli sur soi de l'Amérique - qui ont commencé avant Trump et risquent de se poursuivre après lui - n'est plus suffisante. Mais elle est redevenue nécessaire du fait de la multiplication des incertitudes et s'impose à nous au nom du bon sens historique et du principe de précaution.

Assurance-vie rassurante

Dans les années à venir, la relation franco-allemande restera pour le moins, complexe. Dans la période de transition qui s'est ouverte en Allemagne, Paris n'entraînera pas Berlin sur la voie d'une Europe plus souveraine et autonome en matière de défense et de sécurité. De la même manière, Londres restera le partenaire principal de Paris sur les questions militaires. Mais la Grande-Bretagne, empêtrée par le processus du Brexit, ne pourra pas faire plus et mieux.

La bonne volonté néerlandaise et scandinave est bienvenue mais demeure insuffisante. Entre Washington et Bruxelles, Varsovie choisira toujours "le grand large". Et rien de décisif ne viendra du sud de l'Europe compte tenu de l'extrême fragilité politique qui règne à Madrid comme à Rome. Dans ce contexte, l'idée d'une Europe plus autonome et souveraine en matière de sécurité et de défense n'est pas sur le point de voir le jour. Elle demeure un idéal souhaitable, mais en attendant, l'Otan demeure, soixante dix ans après sa création, indispensable autant qu'incontournable.

La dignité, la légitimité de l'Alliance sont menacées au plus haut niveau par le clown rusé, parfaitement cynique et dangereux au pouvoir à Washington.

La plus grande menace qui pèse sur l'Otan ne vient ni des actions d'Ankara, ni des propos de Paris, mais de la rhétorique et des actes de Washington. En d'autres temps, l'élection de Volodymyr Zelensky en Ukraine aurait constitué un signe d'espoir, la preuve que Washington et Kiev mettaient conjointement l'accent sur la démocratie. Si tel n'a pas été le cas, c'est que l'agenda du président du pays clef de l'Alliance était tout autre.

La dignité, la légitimité de l'Alliance sont menacées au plus haut niveau par le clown rusé, parfaitement cynique et dangereux au pouvoir à Washington.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 09/12/2019)

 

Copyright : NATO

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne