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31/05/2023

Espagne : Élections anticipées, quels enjeux pour l’Europe ?

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Espagne : Élections anticipées, quels enjeux pour l’Europe ?
 Cecilia Vidotto Labastie
Auteur
Ancienne Responsable de projets - Programme Europe
 Georgina Wright
Auteur
Directrice adjointe des Études internationales, Experte résidente

Le Parti populaire conservateur est sorti vainqueur des élections municipales et régionales de dimanche dernier en Espagne, devançant le Parti socialiste ouvrier (PSOE) du Premier ministre Pedro Sanchez. Suite à cette défaite, le Premier ministre a annoncé la tenue d’élections législatives anticipées le 23 juillet 2023. Un pari risqué, mais indispensable si Sanchez souhaite gouverner sans entrave et assurer la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, qui aura lieu entre le 1er juillet et le 31 décembre 2023. Une défaite pourrait compliquer la mise en œuvre de la présidence espagnole, ce que le gouvernement cherche à éviter. Que révèlent ces résultats sur la politique intérieure espagnole ? Décryptage de Cécilia Vidotto Labastie, responsable de projets Union européenne à l’Institut Montaigne, et Georgina Wright, Directrice du programme Europe et Expert résident principal.

Les élections municipales et régionales de mi-mandat font régulièrement office de référendum pour ou contre le gouvernement en place. En Espagne, la sentence des électeurs envers le PSOE est claire : au-delà des six régions perdues (où il gouvernait seul ou en coalition), le parti de Pedro Sanchez a essuyé de lourdes défaites dans plusieurs villes. De son côté, le grand vainqueur des élections, le Parti populaire de centre-droite, n’a pas seulement remporté des sièges régionaux, il a également renforcé sa popularité dans des bastions qu’il détenait déjà tels que Madrid et Murcie. Dimanche soir, le Premier ministre a annoncé la dissolution du parlement espagnol en vue d’élections législatives qui se tiendront le 23 juillet 2023, pendant la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne.

Les dernières élections ont marqué un virage vers la droite, mais l’incertitude persiste pour les législatives de juillet

Les résultats des élections municipales et régionales de ce weekend marquent un tournant vers la droite pour la vie politique espagnole. Le Parti populaire conservateur, de centre-droit, a obtenu une avance significative de 7 points de pourcentage sur le parti socialiste de Pedro Sánchez, avec 2 millions de voix supplémentaires par rapport aux élections précédentes il y a 4 ans. Vox, le parti d'extrême droite, a recueilli 7,2 % des voix, plus du double de son score aux municipales de 2019.

Il est trop tôt pour signer la défaite de la gauche. Le Parti socialiste compte sur une mobilisation des militants du parti d'extrême gauche Podemos mais également de ceux du parti centriste Ciudadanos, deux partis ayant pratiquement disparu de l’échiquier politique espagnol. Ciudadanos a d’ailleurs annoncé qu’il ne se représentera pas aux élections législatives de juillet. Le parti socialiste mise sur un report en sa faveur des voix obtenues par Ciudadanos (1,34 % des voix) et Podemos dont le vote se répartit entre différentes alliances (0,60 % pour Podemos plus IU, 1,20 % pour la coalition Con Andalucía et 0,28 % pour Elkarrekin Podemos). Cette stratégie vise à combler l'écart étroit entre le Parti populaire conservateur et le PSOE, et pourrait s'avérer victorieuse.

Le parti socialiste espère également attirer le soutien des centristes et créer une alliance pour contrer la montée de l’extrême-droite. Le calendrier des élections régionales pourrait lui être utile : à la suite du scrutin de dimanche dernier, plusieurs gouvernements régionaux devront être représentés par une coalition du Parti populaire et de Vox, le parti d’extrême droite. Ces négociations pourraient nuire à la crédibilité du Parti populaire qui cherche à se positionner comme une force politique modérée, surtout si elles signalent un virage plus à droite, à l’image de la région de Léon-et-Castille, seule région qui, depuis 2019, est dirigée par une coalition Parti populaire-Vox. Les mesures anti-avortement prises par le gouvernement de Léon-et-Castille en janvier 2023 ont été fortement critiquées en Espagne et à l’international, avec le Parti populaire comme cible des critiques.

La droite, en revanche, espère se renforcer sur l’impopularité de Sanchez. Bien que l’Espagne ait enregistré une croissance de son produit intérieur brut à un rythme supérieur à la moyenne de l'UE, que le taux de chômage ait atteint son niveau le plus bas depuis 2008, et que le gouvernement II de Sanchez ait été salué pour sa bonne gestion du Covid, le Premier ministre continue à diviser, et ce même au sein de son propre parti. Des mesures récentes telles que les concessions aux indépendantistes catalans dans une réforme du code pénal, ou encore les nouvelles mesures qui facilitent le changement de sexe par la loi, ont fortement entaché la réputation du gouvernement. Si ces mesures étaient principalement poussées par les partenaires de coalitions de Sanchez, le Parti des socialistes de Catalogne et Podemos, c’est le parti socialiste qui en a pâti. Vox a déposé une motion de censure contre le gouvernement espagnol - vote auquel le gouvernement a survécu en mars dernier.

Les élections anticipées pourraient avoir des répercussions sur l’agenda européen

La tenue d'élections nationales en même temps que la présidence espagnole du Conseil de l’UE, qui se tiendra du 1er juillet au 31 décembre 2023, suscite des préoccupations au sein de l'Union européenne. Les ministres devront diviser leur temps entre campagne électorale et animation des différentes formations du Conseil, traitant de sujets allant du commerce à la pêche, aussi bien à Bruxelles qu’au Luxembourg. La recherche de consensus pourrait reposer sur les diplomates espagnols à Bruxelles, plutôt qu’être dans les mains des ministres.

En effet, la présidence de l'UE implique un ensemble de tâches complexes : définir les priorités du Conseil de l'UE, le groupement des ministres et des diplomates des 27 États membres ; gérer les réunions et les présider ; représenter le Conseil de l’UE auprès de la Commission européenne et du Parlement européen lors de négociation tripartite ; et faciliter l'adoption de nouvelles directives et de stratégies européennes. Un travail d'envergure qui nécessite une préparation minutieuse, comme l'illustre l'exemple de la présidence française de 2022 et ses plus de 2 000 réunions organisées.

Le gouvernement espagnol se verra doté de responsabilités majeures. D’importantes discussions sont sur la table à Bruxelles, sur l’élargissement, la reconstruction de l’Ukraine, la réforme du marché de l'électricité ou les nouvelles mesures du pacte de stabilité et de croissance. Les priorités et le plan de travail d'une présidence sont préparés à l'avance. En cas de victoire de Sanchez, une continuité est à prévoir, mais en cas de défaite, les priorités pourraient évoluer, bien que la marge de manœuvre d'un potentiel nouveau gouvernement soit limitée. En effet, le travail d’une présidence s’inscrit dans le processus continu de l’Union européenne, ainsi que dans le programme du "Trio", c’est-à-dire de trois présidences successives (l’Espagne forme un trio avec la Belgique et la Hongrie). Il ne peut donc pas être totalement transformé.

Si les risques de blocage de la présidence espagnole restent faibles, le travail de construction de consensus pourrait se complexifier. Contrairement à la France, où les élections présidentielle et législatives se sont également tenues pendant la présidence française du Conseil de l’UE, l’Espagne n’a pas anticipé cette concomitance.

Une leçon importante pour l’UE

L'efficacité de l'Union européenne dépend en partie des présidences tournantes du Conseil de l’UE qui coordonnent les affaires européennes pour les 27 États membres. Bien que l’influence des présidences ait diminué depuis le Traité de Lisbonne, qui a vu la création du Conseil européen avec un président à sa tête, un service européen pour l’Action extérieure et un parlement plus influent, les tâches qui incombent à l’État membre qui tient la présidence tournante sont importantes : dans un premier temps pour trouver un consensus au sein des 27 sur différentes directives en cours de négociation, et ensuite pour trouver un consensus, au nom des 27, avec les autres institutions européennes. Il faut des diplomates, mais aussi des ministres compétents, qui suivent avec minutie les dossiers européens et qui sont pleinement investis dans leurs négociations.

Le contexte fait que l’UE doit apprendre à naviguer malgré des présidences imprévisibles. Après l’Espagne, ce sera au tour de la Belgique de prendre la tête du Conseil de l’UE pour la 13e fois, égalant ainsi l'Allemagne et la France. En dépit de son expérience avérée dans le "consensus building" bruxellois, sa présidence sera inévitablement influencée par les élections européennes de juin. Une présidence pourtant ambitieuse et bien gérée ne serait pas à l’abri des dynamiques politiques de cette période électorale.

Tous les gouvernements européens ne sont pas favorables à une UE plus intégrée et plus politique. Par exemple, le gouvernement de coalition suédois, dans les mains duquel repose la présidence actuelle, est formé d’un parti d’extrême droite, les Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD). Les gouvernements polonais, hongrois et italiens ne sont pas non plus avares de critiques envers l’UE, et appelent à un retour de pouvoirs au niveau national. Trouver un consensus au sein des 27 pourrait s’avérer plus difficile.

Conclusion

Les élections législatives du 23 juillet 2023 révèleront si le Parti populaire conservateur peut maintenir sa longueur d’avance. Indépendamment du résultat du scrutin de cet été, ces élections auront des conséquences pour l'Espagne, ainsi que sur son pilotage de la présidence du Conseil de l'Union européenne. De l’exemple espagnol il est possible de tirer des enseignements essentiels pour l’UE, comme le rôle des présidences tournantes et leur efficacité en cas de chamboulement électoral ou encore les enjeux d’une gouvernance assurée par un gouvernement ouvertement hostile à l’UE.

 

Les auteurs remercient Blanche Leridon et Mélissa Westphal pour leur aide dans la rédaction de cette analyse.

 

Copyright Image : JAVIER SORIANO / AFP

Des partisans du Parti Populaire (PP) agitent des drapeaux pour fêter les résultats du scrutin devant le siège du parti à Madrid, le 28 mai 2023, au terme des élections locales et régionales espagnoles.

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