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25/03/2021

En Italie, un nouveau souffle pour le Parti Démocrate ? 

Trois questions à Marc Lazar

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En Italie, un nouveau souffle pour le Parti Démocrate ? 
 Marc Lazar
Expert Associé - Italie, Démocratie et Populisme

Enrico Letta, ancien président du Conseil italien entre 2013 à 2014, et évincé du pouvoir par Matteo Renzi, a été rappelé à la tête du Parti Démocrate sept ans plus tard. Le parti de centre-gauche, secoué par des divisions internes et des luttes entre différentes factions, connaît une profonde crise de popularité qui a mené à la démission de son secrétaire, Nicola Zingaretti. Le nouveau leader pourrait-il changer la donne et insuffler un nouvel élan au parti ? Quel soutien pourrait-il apporter au jeune gouvernement de Mario Draghi ? Marc Lazar, spécialiste de la politique italienne, répond à nos questions.

Le Parti démocrate (PD) italien, face à la démission de son ancien leader, a plébiscité Enrico Letta, président du Conseil de 2013 à 2014, à la tête du parti. Quelles circonstances ont mené à sa réélection, après 7 ans d'"exil politique" en France ?

Enrico Letta n’a jamais été en exil politique à Paris. Il est arrivé en 2014 après avoir été contraint à la démission de la Présidence du Conseil des ministres sous la pression de son rival au sein de son parti, Matteo Renzi. Cet échec assez cinglant l’avait même amené à renoncer à son mandat de député. Il a été accueilli à Sciences Po pour une période de réflexion et d’échanges avec des chercheurs, puis il a été nommé doyen de Paris School of International Affairs en 2015. Tout en développant cette école à l’international, il est resté membre du Parti démocrate et n’a cessé d’intervenir dans le débat public italien par l’intermédiaire des médias et des réseaux sociaux. Et surtout il a créé et animé une École de la politique qui s’adressait à des jeunes afin de favoriser leur engagement citoyen. Le 4 mars de cette année, le secrétaire du Parti démocrate, Nicola Zingaretti, a démissionné, dégoûté par les luttes de factions à l’intérieur de son parti. Celui-ci était par ailleurs en situation critique. Très rapidement, le nom d’Enrico Letta a surgi. Il apparaît comme un homme compétent et changé par son expérience parisienne. Letta bénéficie d’un consensus dans son parti, y compris des courants qui lui étaient hostiles, à commencer par les amis de Matteo Renzi qui ne l’ont pas suivi dans le parti qu’il a fondé et qui s’appelle Italia viva. Reste à savoir combien de temps durera ce consensus. Le PD a usé pas moins de huit secrétaires en 14 ans, un record ! 

Le Parti démocrate connaît une baisse importante de son soutien électoral depuis quelques années, passant d'un pic qui dépassait les 40 % en 2014 à seulement 18,7 % lors des élections législatives de 2018. Comment expliquer cette crise de popularité ?

Le Parti démocrate est en crise à l’image de presque tous les partis de gauche ou de centre gauche dans l’Union européenne.

Le spectaculaire score de 40 % est celui obtenu aux élections européennes par le PD à l’époque où Renzi était président du Conseil et bénéficiait d’un état de grâce. Mais oui, le PD est en crise à l’image de presque tous les partis de gauche ou de centre gauche dans l’Union européenne. Il a perdu une large partie de son électorat populaire qui se sent trahi par lui et qui, ces derniers temps, s’est montré fort sensible aux argumentaires anti-migrants de la Ligue de Matteo Salvini. 

Nombre de ses électeurs ont été attirés par la radicalité du Mouvement 5 étoiles qui se présentait comme un parti neuf et innovant. Le PD est un parti vieillissant, peu attractif, souffrant d’un déficit de leadership depuis que Renzi n’en est plus le chef, secoué par des divisions et des conflits incompréhensibles pour ses électeurs. Pire, dans un pays qui bat des records de défiance envers les institutions et la classe politique, il en est venu à symboliser celles-ci. Enfin, le PD, fortement pro-européen, devenait la cible des critiques d’une grande partie de l’opinion italienne euro-dubitative et eurosceptique.

Quelles perspectives ce nouveau dirigeant apporte-t-il pour le parti démocrate et pour le gouvernement de Mario Draghi ? Avec deux pro-européens convaincus, le pays entame-t-il un nouveau virage, plus optimiste, avec l’Union ?

D’abord, Enrico Letta dit avoir changé. En 2014, Renzi jouait la carte de la personnalisation de la politique et adoptait un style populiste de centre pour tenter de prendre des électeurs au Mouvement 5 étoiles et être en phase avec la démocratie de l’opinion. Au contraire, Letta défendait une conception de la politique différente, issue de sa formation démocrate chrétienne. Il recherchait la médiation et prônait un travail collectif qui primait sur la personnalité du chef. Il dit avoir changé et a théorisé ce changement dans l’un de ses livres.

Dorénavant, explique-t-il, le leader doit engager le débat, écouter, se confronter avec d’autres opinions que la sienne mais ensuite décider et imposer sa décision. C’est ce qu’il met en application depuis sa désignation comme secrétaire du PD. Il entend remobiliser les militants en impulsant dans toutes les sections et les territoires des discussions sur le programme du parti. Il a recomposé la direction qui l’entoure en prenant soin néanmoins de ne pas relancer la guerre des courants. Il a nommé des femmes comme chefs des groupes parlementaires du PD à la Chambre des députés et au Sénat qui remplacent deux hommes.

Il entend remobiliser les militants en impulsant dans toutes les sections et les territoires des discussions sur le programme du parti.

Il s’efforce aussi de donner une identité claire à son parti, pour bien se différencier des autres formations qui sont associées au gouvernement de Mario Draghi, en particulier la Ligue mais aussi le Mouvement 5 étoiles. Il insiste donc sur le pro-européisme du PD, donne la priorité aux questions de green economy, propose d’abaisser la majorité électorale à 16 ans et se prononce en faveur du droit du sol pour accéder à la citoyenneté. Parallèlement, il entend déployer une stratégie d’alliance compétitive avec le Mouvement 5 étoiles en s’efforçant d’être la force dominante de cette entente. Il soutient totalement les priorités immédiates du gouvernement de Mario Draghi, à savoir, résorber la pandémie par la vaccination généralisée et finaliser le contenu du plan de relance économique. 

Letta connaît toutes les faiblesses de son parti, n’ignore pas qu’il souffre d’un déficit de notoriété et sait parfaitement que la droite (Ligue de Matteo Salvini, Frères d’Italie de Giorgia Meloni et Forza Italia de Silvio Berlusconi) rassemble bien plus d’intentions de vote que les forces de centre gauche. Mais il fait un pari. Il pense que la victoire de Biden aux États-Unis, l’épidémie du Covid-19 qui a durement frappé l’Italie et les 209 milliards mis sur la table par l’Union européenne ont changé non seulement l’opinion italienne mais aussi la donne politique. Les Italiens sont moins hostiles à l’Union européenne et recherchent de la protection pour leur santé et leur travail ; de ce fait ils s’avèrent un peu moins à l’écoute des sirènes démagogiques des populistes. Lesquels sont à la croisée des chemins et doivent choisir entre leur tentation protestataire et le sens de la responsabilité. C’est un pari risqué car un échec de la campagne de vaccination et la dégradation de la situation sociale profiteraient aux populistes. Mais il le tente en sachant qu’il est sur un siège éjectable. Surtout s’il perd les prochaines élections, municipales à l’automne, puis politiques en 2022 ou en 2023, terme de la législature. 


Copyright : FILIPPO MONTEFORTE / AFP

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