AccueilExpressions par Montaigne[En chiffres] Un monde de classes moyennesL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.17/07/2019[En chiffres] Un monde de classes moyennes Régulation Coopérations internationalesImprimerPARTAGERAuteur Julien Damon Professeur associé à Sciences Po Sur une idée originale de Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Rueil.Alors que le sommet du G7, qui se tiendra à Biarritz du 24 au 26 août prochains, aura pour thème les inégalités, celles-ci sont un enjeu de préoccupation mondiale - et française - constante. Dans un monde irrigué de fausses informations, où l’émotion l’emporte souvent sur la raison, il convient de dépassionner le débat public sur ce sujet, en particulier en France où les perceptions sont souvent éloignées de la réalité, dans un pays particulièrement passionné par l’égalité. C’est dans cette perspective que Julien Damon, sociologue et professeur associé à Sciences Po, nous livre son analyse de l’état de la pauvreté, des classes moyennes et des inégalités en France et dans le monde. "Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d'être riches et redoutant d'être pauvres !" Si ces propos attribués à Mazarin dans Le Diable Rouge relèvent de la fiction, ils n’en sont pas moins instructifs sur l’image que l’on se fait traditionnellement des classes moyennes. Ni riches, ni pauvres, elles sont par définition un ensemble à l’amplitude parfois mal définie et au volume très variable selon les lieux et les époques. De manière globale, la transformation essentielle des dernières années a trait à l'évolution des classes moyennes. Celles-ci s’affirment dans le monde en développement, et s’effritent relativement dans le monde développé. L'aube des classes moyennes émergentes contraste avec le déclin, plus ou moins prononcé selon les pays, des classes moyennes occidentales.Quatre modèles théoriques de classes moyennes L’image de la pyramide représente une élite très réduite, des populations pauvres très larges, et une classe moyenne qui, pour être centrale dans la pyramide, n’est pas forcément de grande taille. On trouve là typiquement les pays émergents, avec des classes moyennes naissantes. Le graphique en forme de montgolfière dessine une classe moyenne centrale et ascendante, avec une classe aisée peu importante et des catégories pauvres réduites. L’image est celle d’un progrès commun, entraîné par le dynamisme des classes moyennes. L’illustration typique est celle des sociétés occidentales "moyennisées" au cours des Trente Glorieuses. La plupart des pays de l’OCDE ressemble à cette montgolfière, même si elle monte aujourd’hui moins vite, et que dans certains pays, la nacelle risque de se détacher. Le sablier est une métaphore de l’érosion des classes moyennes, disloquées par l’enrichissement de sa strate supérieure et l’appauvrissement de sa classe inférieure. Cela serait dû à la nouvelle révolution industrielle, l’écrasement des hiérarchies, et l’éclatement de la production entre haut et bas de gamme. Si l’image de la montgolfière signale une élévation collective, celle du sablier annonce une progressive décrépitude, associée à une dualisation. C’est la promesse d’ascension sociale qui vient faire défaut. Le schéma du diamant est davantage un projet qu’une réalité. Celui d’une société équilibrée, avec une classe moyenne très garnie, et une élite et une population pauvre très réduites. C’est la France du projet rêvé des Trente Glorieuses.Mutations des classes moyennes : extension dans le monde en développement, crise dans le monde développéLa tendance au niveau mondial est incontestablement à une "moyennisation" des pays émergents et une relative "démoyennisation" des pays riches. Parmi les nombreux intervalles employés pour définir la classe moyenne, c’est celui entre 10 et 100 dollars par jour (en parité de pouvoir d’achat) qui a été utilisé par l’OCDE dans ses travaux de 2010. Ceux-ci révèlent une classe moyenne mondiale qui représentait un quart de la population mondiale en 2009, projetée à 59 % en 2030. L’Europe, qui en rassemblait le tiers en 2009, ne devrait plus en réunir que 14 % en 2030, tandis que 66 % de la classe moyenne mondiale devrait être asiatique à cet horizon. Sources : OCDE Une étude récente de la Brookings Institution souligne que depuis 2018, pour la première fois dans l’histoire du monde, plus de la moitié de la population mondiale appartiendrait désormais à la classe moyenne ou à la classe favorisée. En effet, avec un intervalle de 10 à 110 $ pour délimiter les classes moyennes, 200 millions d’individus sont riches, 3,6 milliards appartiennent à la classe moyenne, 3,2 milliards sont en situation fragile et 600 millions sont pauvres. Ainsi, 3,8 milliards d’individus sont pauvres ou proches encore de la pauvreté tandis que 3,8 milliards en sont éloignés. Source : Brookings Institution Selon cette même étude, les bouleversements seraient considérables à l’horizon 2030 : 150 millions de pauvres en moins, 900 millions de personnes "fragiles" en moins, et 100 millions de riches en plus. La classe moyenne, elle, gagnerait près de 2 milliards de personnes. Si cela traduit l’enrichissement des classes moyennes émergentes, cette évolution tient également à des classes moyennes occidentales qui, pour certaines d’entre elles, s’appauvrissent. Source : Brookings InstitutionExceptionnel, le cas français ? Source : Alternatives économiques Les dépenses sociales françaises - qui, à 31,2 % du PIB, sont les plus élevées de l’OCDE rapportées au PIB - présentent une spécificité française et sont à l’origine de la courbe en "U" qui matérialise les effets du système socio-fiscal français. Dans ce contexte, les classes moyennes sont les ménages qui ne sont ni assez défavorisés pour bénéficier des aides sociales, ni assez favorisés pour bénéficier des réductions d’impôt. Réside dans cet intervalle la plus grande partie de la population, dans un pays où, traditionnellement, les deux tiers des gens déclarent penser appartenir à la classe moyenne. Ce sentiment d’être "ni-ni", ni riche ni pauvre, ni dirigeant ni forcément exécutant, vivant dans un quartier qui s’avère ni aisé ni totalement défavorisé, a été largement mis en avant dans l’épisode des Gilets jaunes. Accentué par l’augmentation de certaines dépenses contraintes, il s’avère particulièrement problématique. Les données sur les revenus ne montrent pas d’écrasement véritable des classes moyennes en France, comme dans d’autres pays développés. Mais une polarisation est en cours sur plusieurs plans :géographiquement, même si l’expression appelle des nuances, il y a bien une France qui se voit comme périphérique, éloignée des aménités et du dynamisme des grandes métropoles ; professionnellement, le marché de l’emploi ne se caractérise certainement pas par la disparition du travail, mais par sa polarisation croissante, les fonctions intermédiaires (typiques des classes moyennes) enregistrant les plus forts déclins ;socialement, les "premiers et derniers de cordée" semblent capter la majorité de l’attention, entre "startup nation" et stratégie pauvreté, alors que les classes moyennes, majoritaires en perception, se sentent oubliées. Dans le monde, l’évolution des classes moyennes constitue la transformation majeure des dernières années. Si aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale appartiendrait à la classe moyenne ou à la classe favorisée, on assiste à deux phénomènes inverses : l’affirmation des classes moyennes des pays en développement, d’une part, et le relatif déclin des classes moyennes occidentales. Si la France se distingue de la plupart des pays développés sur ce point, elle fait néanmoins l’objet d’une polarisation, sur les plans géographique, professionnel et social.ImprimerPARTAGERcontenus associés 16/07/2019 [En chiffres] Pauvreté dans le monde : où en est-on ? Julien Damon 18/07/2019 [En chiffres] Inégalités : la France fait mieux que la plupart des pays de ... Julien Damon 19/07/2019 [En chiffres] Sommet du G7 sur les inégalités : dépassionnons le débat ! Julien Damon