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18/07/2019

[En chiffres] Inégalités : la France fait mieux que la plupart des pays de l'OCDE

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[En chiffres] Inégalités : la France fait mieux que la plupart des pays de l'OCDE
 Julien Damon
Auteur
Professeur associé à Sciences Po

Sur une idée originale de Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Rueil.

Alors que le sommet du G7, qui se tiendra à Biarritz du 24 au 26 août prochains, aura pour thème les inégalités, celles-ci sont un enjeu de préoccupation mondiale - et française - constante. Dans un monde irrigué de fausses informations, où l’émotion l’emporte souvent sur la raison, il convient de dépassionner le débat public sur ce sujet, en particulier en France où les perceptions sont souvent éloignées de la réalité, dans un pays particulièrement passionné par l’égalité. C’est dans cette perspective que Julien Damon, sociologue et professeur associé à Sciences Po, nous livre son analyse de l’état de la pauvreté, des classes moyennes et des inégalités en France et dans le monde. 

 

Traiter les inégalités à l’échelle globale est une chose, dans le cas de la France, c’en est une autre, tant les passions qui entourent le sujet peuvent enflammer le débat public. Voltaire déjà, à la lecture du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes de Rousseau, écrivait "J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain […] On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes". Si les seuils de pauvreté évoqués dans le premier opus de cette série sont significatifs à l’échelle globale, ils le sont moins en France. S’il faut comprendre le contexte global des inégalités et le contexte dans lequel la France s’inscrit, il convient également de prendre en compte les particularités hexagonales. Il est nécessaire de détacher les perceptions des inégalités de la réalité, sans pour autant minimiser les faits.

Quelle évolution des inégalités au niveau mondial ?

L’économiste Branko Milanovic dresse un constat clair : depuis le début du millénaire, tandis que les inégalités nationales - tirées par les très hauts revenus - augmentent, les inégalités internationales ont tendance à diminuer. Outre un enrichissement des plus riches, la mondialisation a également permis aux plus pauvres (en dehors du monde "riche") d’améliorer leur situation économique. Milankovic met en évidence le phénomène exploré dans le précédent billet : la hausse des revenus dans les pays émergents alimente la croissance des classes moyennes nationales et le déclin des classes moyennes des pays développés. S’il est très prononcé aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens, ce déclin n’est pas encore très puissant en France. Pourtant, cette préoccupation se fait de plus en plus forte dans l’Hexagone.

 

Source : Branko Milanović

 

La courbe de l’éléphant met en évidence la croissance du revenu moyen (en ordonnée) en fonction de la distribution mondiale des revenus (en abscisse), entre 1988 et 2008 dans 120 pays. Il apparaît que, si le revenu des 5 % les plus pauvres s’est accru, le handicap de ces personnes ne s’est pas réduit car l’augmentation de leur revenu a été moins rapide que celle du revenu global moyen. Un deuxième groupe de perdants, très différent, se dessine : celui des personnes dont les revenus sont situés entre le 80ème et le 95ème percentile –  des revenus donc plutôt élevés à l’échelle mondiale mais pas forcément à l’échelle des pays riches – qui ont également progressé moins vite que le revenu global ; ils se sont relativement appauvris. Il s’agit là du déclin des classes moyennes des pays développés.

Une situation plutôt favorable pour la France

Côté français, la situation relative est plutôt favorable si l’on en croit certains indicateurs. L’indice de Gini (il varie entre 0 et 1, plus il est proche de zéro, plus le pays est égalitaire) place la France (0,29) en dessous de la moyenne OCDE (0,3), loin derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou encore la Chine ou l’Afrique du Sud, pays le plus inégalitaire au monde.
 

Source : OCDE

 

Si l’on prend un autre indicateur courant, le rapport interdécile S90/S10 comparant ce que touchent en moyenne les 10 % les plus favorisés et les 10 % les moins favorisés, la France est encore mieux placée. Les premiers y touchent environ 7 fois plus que les seconds, contre 21 fois au Mexique, 19 fois aux Etats-Unis, 10 fois au Royaume-Uni. A noter néanmoins une croissance des inégalités : le rapport interdécile était de 6 au début des années 2000.

Outre les indicateurs généraux, des chiffres concernant les conditions de vie, l’accès à des services et équipements de base (logement, nourriture, internet, etc.) peuvent permettre de mesurer les inégalités. L’accès aux technologies de l'information et de la communication, dans un monde où le téléphone portable est bien plus répandu que l’accès à l’eau potable, fait l’objet de suivis précis. Aujourd’hui, plus de 3,5 milliards d’individus ont, sur terre, accès à Internet, dont 70 % des jeunes de 15 à 24 ans.

 

Source : ITU

 

En France, ce chiffre est de 90 % pour la population totale, ce qui fait toutefois que la fracture numérique est l’une des formes d’inégalités les plus préoccupantes. En effet, si elle n’a jamais été aussi réduite, en France, elle n’a jamais été aussi problématique pour ceux qui se trouvent du mauvais côté de la fracture.
 

Source : Credoc

 

Pour l’ONU, le monde est, depuis 2008, majoritairement urbain. L’urbanisation en cours se caractérise par deux phénomènes : la métropolisation - la concentration des richesses, des talents, des investissements dans les grandes villes - et la "bidonvillisation" - la croissance des quartiers les plus dégradés. Les statistiques ne sont pas d’une grande fiabilité, mais l’ONU estime à près d’un milliard (un huitième de l’humanité, un quart des urbains) le nombre de personnes vivant en bidonvilles.
 

Source : UN habitat

 

Il est néanmoins difficile de comparer les méga-bidonvilles des pays en développement aux campements contemporains dans l’Hexagone. Si la France connaît toujours de l’insalubrité et un retour de ces bidonvilles, qui avaient été éradiqués au début des année 1980, la situation globale du logement hexagonal connaît une constante amélioration. Au début des années 1970, 40 % n’avaient ni WC ni installation sanitaire. C’est aujourd’hui le cas de moins de 1 % du parc. Même si elles sont très rares, il demeure des situations inadmissibles, souvent très visibles et très fortement dénoncées.
 

 

L’importance des dépenses sociales : une singularité française

 

Source : OCDE

 

Une singularité française demeure, celle des dépenses sociales, dont l’importance explique en partie la stabilité de la pauvreté et des inégalités en France. Nous sommes le seul pays de l’OCDE dont le montant des dépenses sociales - plus de 714,5 milliards d’euros en 2016 - dépasse la barre des 30 % du PIB. À titre de comparaison, la moyenne européenne est à 29 %, celle de l’OCDE à 22 %, et la moyenne mondiale à 10 %. Avec moins de 1 % de la population mondiale, la France représente plus de 10 % de la dépense sociale mondiale. L’effort de 33 % du PIB aujourd’hui était, à la fin des années 1950, de 15 %. Ce sont principalement les dépenses liées aux retraites et à l’assurance maladie qui ont augmenté sur la période. La particularité française tient en effet de l’importance de son système de retraite qui représente lui-même presque la moitié des dépenses sociales. Il s’ensuit d’ailleurs un taux de pauvreté des retraités très faible (8 % environ), mais des taux de pauvreté élevés pour les familles avec enfants (20 %).

 

Source : DREES

 

Les Français font preuve d’un certain défaitisme...

Ainsi, du côté des inégalités et de la pauvreté, la France se porte plutôt bien comparée au monde entier, mais surtout comparée aux nations qui lui sont “comparables”. Pour autant, le défaitisme est élevé, tant sur les inégalités dans le passé que sur leurs évolutions à l’avenir.
 

Source : Eurobaromètre
 
Source : Eurobaromètre

 

Ce niveau d’inquiétude s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, certaines franges de la population ont de bonnes raisons de s’inquiéter. Il en va ainsi des jeunes et, par construction, de leurs parents lorsqu’ils s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants. Ensuite, peut-être existe-t-il une forme particulière de lamento à la française. Surtout, les Français peuvent craindre de perdre ou de voir s’éroder des institutions et positions auxquelles ils pouvaient traditionnellement accéder. En un mot, les Français sont inquiets car ils estiment, à tort ou à raison, avoir des choses à perdre. Ce n’est pas le cas dans beaucoup d’autres Etats membres de l’UE, où les populations peuvent estimer d’abord avoir des choses à gagner.
 

Source : DREES

 

Interrogés depuis plus de 15 ans pour savoir s’ils pensent que les inégalités ont augmenté, ont diminué ou sont restées stables au cours des cinq dernières années, les Français sont systématiquement plus de 60 % (90 % en 2011) à répondre qu’elles ont augmenté.
 

Source : DRESS

 

Les scores sont à peu près équivalents concernant une éventuelle évolution des inégalités à l’avenir. Là encore, jamais moins de 60 % des Français estiment que les inégalités vont plutôt augmenter. Selon le Baromètre des Territoires de l’Institut Montaigne et Elabe, 78 % des Français même jugent la société actuelle injuste (dont 28 % très injuste).Invités à qualifier quelles inégalités leur semblent les plus répandues, les Français citent prioritairement les inégalités de revenus. Viennent ensuite, assez loin derrière, les inégalités d’emploi, les inégalités liées à l’origine ethnique, de logement, d’accès aux soins, dans les études et, en dernier, celles liées à l’héritage familial.

… qui ne correspond pas à la réalité de l’évolution des inégalités

Pourtant, si l’on revient à l’indice de Gini, les inégalités ont clairement diminué depuis 1970 : l’indice est ainsi passé de plus de 0,33 en 1970 à moins de 0,29 en 2015. A noter néanmoins des évolutions au sein de cette tendance longue : une diminution claire jusqu’au début des années 1990, suivie d’une stabilisation puis d’une augmentation entre 1998 et 2011, et enfin une diminution jusqu’en 2015,  sous le double effet de la crise financière et d’une augmentation des impôts sur les plus aisés.
 

 

La même tendance est révélée par le rapport interdécile D9/D1 (niveau de vie minimum des 10 % les plus riches divisé par le niveau de vie maximum des 10 % les plus pauvres) : baisse très nette des inégalités dans les années 1970, puis stabilisation à partir des années 1980. En 1970, les plus modestes avaient un niveau de vie au maximum 4,6 fois moins élevé que les 10 % les plus riches. En 2016, ce rapport est de 3,4.
 

 

Le constat est donc simple et sans appel : les inégalités de niveau de vie n’explosent pas en France. La tendance est, comme pour la pauvreté, à la stabilisation.

Inégalités de revenus vs inégalités de patrimoine

Ces dernières années, l’accent a été mis sur la récente reprise à la hausse des inégalités de revenus et de la concentration du patrimoine. Mais sur le temps long, l’image est différente. La dynamique, sur deux siècles, est celle d’une affirmation des classes moyennes. Les 10 % les plus aisés possédaient, en 1800, 80 % du patrimoine, contre  60 % aujourd’hui. Parmi eux, les 1 % les plus aisés concentraient, en 1800, 45 % du patrimoine ; ils n’en possèdent qu’un peu plus de 20 % aujourd’hui. Tout est dans l’interprétation des mouvements les plus récents qui voient, en effet, une reprise à la hausse pour ce qui concerne les plus aisés, avec une stagnation pour les classes moyennes. On touche là certainement un élément clé du problème français : la déstabilisation récente des classes moyennes.
 

concentration du patrimoine
Source : World Inequality Database, Thomas Piketty
concentration du patrimoine
Source : World Inequality Database, Thomas Piketty

 

Les inégalités de patrimoine, qui sont un stock, sont bien plus importantes que les inégalités de revenus, qui sont un flux.
 

Source : Insee
Source : World Inequality Database, Thomas Piketty

 

En 2015, le patrimoine moyen des ménages était de 270 000 €, et le patrimoine médian de 158 000 €. La moitié la mieux dotée possède 92 % du patrimoine total, les 10 % les mieux dotés 47 %, les 1 % les mieux dotés 16 %. Alors que pour les revenus, le rapport interdécile D9/D1 est, en 2015, de 3,5, il est pour le patrimoine de 822. L’indicateur de Gini est de 0,29 pour les revenus, contre 0,65 pour le patrimoine. Si sur le long terme, notamment en cours du 20ème siècle, la tendance aura bien été à une baisse substantielle de ces inégalités de patrimoine, la reprise à la hausse est claire depuis les années 1990. Moins accentuée que dans la plupart des autres pays de l’OCDE, cette nouvelle croissance des inégalités de patrimoine traduit en France, comme partout, les conséquences des transformations du capitalisme et de l’économie numérique, mais également du vieillissement et des évolutions des systèmes socio-fiscaux.

Des territoires plus ou moins inégaux

Enfin, fait plus marquant et ancré dans l’actualité, les territoires sont inégaux. Ils le sont entre eux, et en leur sein. 

Le Commissariat général à l’égalité des territoires apprécie les inégalités de niveau de vie d’un territoire à l’autre à partir de la médiane du revenu disponible par unité de consommation. Il s’ensuit une carte assez classique de la métropolisation et de la richesse. Sur une dizaine d’années, les disparités entre zones d’emploi ont eu tendance à se réduire légèrement
 

Inégalités de revenu selon la taille de l'agglomération
Source : Cepremap

 

En ce qui concerne les inégalités au sein des territoires, un indicateur de Gini a été calculé, pour 2015, par l’Observatoire du bien-être (Cepremap), dans différentes zones. Les résultats sont clairs : Paris est l’agglomération la plus inégalitaire, avec un Gini correspondant à celui du Brésil ; les communes rurales présentent un Gini de l’ordre de celui de la Suède. De fait, comme dans de nombreux de pays occidentaux, les inégalités et la pauvreté sont plus élevées dans les zones les plus urbanisées.

Ainsi, s’agissant des inégalités, la France bénéficie d’une situation plutôt favorable dans le monde, avec un indice de Gini (0,29) inférieur à la moyenne de l’OCDE (0,3). Par ailleurs, elles ont clairement diminué depuis 1970 (de 0,33 à 0,29). Cela s’explique en partie par l’importance des dépenses sociales, qui dépassent la barre des 30 % du PIB et font ainsi la singularité de la France. Pourtant, le défaitisme des Français est élevé quant aux inégalités, tant sur leur évolution dans le passé qu’à venir. Pour certaines franges de la population - les jeunes en particulier - cette inquiétude est justifiée. Cela est également caractéristique d’une forme de lamento à la française, les Français ayant davantage à perdre que certains de leurs voisins européens par exemple.

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