AccueilExpressions par MontaigneÉlections en Moldavie et Géorgie : qui a perdu le Partenariat oriental ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.31/10/2024Élections en Moldavie et Géorgie : qui a perdu le Partenariat oriental ? EuropeImprimerPARTAGERAuteur Florent Parmentier Secrétaire général du CEVIPOF La Moldavie et la Géorgie, pays officiellement candidats d’une adhésion à l’Union européenne, traversent une période d’élections importante et révélatrice : la Moldavie se trouve en plein entre-deux tours d’une élection présidentielle où Maia Sandu, pro-européenne, est candidate à sa réélection, et après un référendum décevant sur la constitutionnalisation de l’intégration européenne. En Géorgie, les scores contestés de l’élection législatives du 26 octobre ont donné gagnant Rêve géorgien, parti qui ne répugne pas au rapprochement avec Moscou. Ces résultats signent-ils l’échec de la politique de Partenariat oriental ? Comment l’UE peut-elle réagir pour réaffirmer sa capacité d’attraction, alors que Kajas Kallas, originaire des Pays baltes où l’influence russe est particulièrement sensible, s’apprête à endosser le rôle de Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ?"Qui a perdu la Chine ?" : en 1949, la chute inattendue des nationalistes chinois au bénéfice des communistes est perçue comme un revers géopolitique majeur pour les États-Unis pendant la Guerre froide. Cet échec à soutenir Pékin avait débouché à Washington sur des accusations de faiblesses ou de trahison politique, conduisant à une réévaluation profonde de la stratégie américaine et à un interventionnisme accru en Asie. En 2024, à la lumière des élections en Géorgie et en Moldavie, peut-on dire que les Européens ont perdu de la même manière les pays du Partenariat oriental ?Pour mémoire, cette politique à destination du voisinage oriental de l’UE (Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) résulte d’une initiative polono-suédoise de 2009, faisant pendant à l’Union pour la Méditerranée dans le voisinage Sud. Elle devait permettre la promotion des valeurs européennes (démocratie, État de droit, droits de l’Homme), fournir le cadre d’une coopération économique renforcée (accord de libre-échange approfondi et complet), affirmer un soutien institutionnel et contribuer à renforcer la sécurité énergétique des États concernés. À la lumière de la guerre en Ukraine, qui a profondément renouvelé les problématiques régionales, la situation actuelle ne peut que susciter la perplexité.Pendant longtemps, on a pu reprocher au Partenariat oriental de ne pas offrir de perspectives concrètes d’adhésion à l’UE. Pourquoi des élites politiques accepteraient-elles de contraindre leur action en l’absence de perspective d’élargissement ? À l’origine conçue comme une alternative à l’élargissement, la guerre en Ukraine a poussé les Européens à envisager le Partenariat oriental comme un prélude à celui-ci : symbole de cette accélération de l’histoire, la Moldavie a déposé sa candidature le 3 mars 2022, a vu son statut de candidat à l’adhésion accordé le 23 juin 2022 et l’ouverture des négociations le 14 décembre 2023. Fort de ces succès diplomatiques sur le front européen, la présidente moldave Maia Sandu a voulu inscrire dans le marbre la dynamique à l’occasion d’un référendum sur la constitutionnalisation de l’intégration européenne comme objectif politique, qu’elle a convoqué le 20 octobre dernier, le même jour que le premier tour de l’élection présidentielle. Loin du score attendu (55-60 %), le résultat a donné un succès extrêmement étriqué (50,39 %), suscitant des polémiques sur l’ampleur de la désinformation russe et des achats de vote. De fait, il a fallu attendre les résultats des votes de la diaspora, favorable à plus de 77 % au oui, pour compenser la défaite au sein du territoire moldave. Dans la région autonome de Gagaouzie, le référendum a même été rejeté par 95 % des votants, et Maia Sandu n’a pas dépassé 2 % des suffrages localement, contre 42 % à l’échelle nationale. Incontestablement, le référendum n’a pas contribué au renforcement de la cohésion nationale comme espéré.À l’origine conçue comme une alternative à l’élargissement, la guerre en Ukraine a poussé les Européens à envisager le Partenariat oriental comme un prélude à celui-ci.De manière intéressante, l’adversaire de la présidente Maia Sandu, Alexandre Stoianoglo, ne se présente pas comme un candidat anti-européen, ni même "pro-russe", mais comme un partisan d’une politique étrangère équilibrée. Lors du débat d’entre-deux-tours du dimanche 27 octobre (pendant lequel chacun a posé dix questions à l’autre candidat), bien qu’ayant boycotté le vote du référendum, il affirme être "un partisan de l’intégration européenne" et se dit convaincu que la majorité de la population moldave est favorable à l’intégration européenne.Il prétend, en revanche, développer les relations avec l’ensemble des partenaires, y compris la Russie ; cela conduit l’actuelle présidente à le considérer comme un "cheval de Troie" de Moscou. Alors que Maia Sandu avait facilement dominé le second tour de la présidentielle en 2020, avec plus de 57 % des voix, le second tour de cette année promet d’être beaucoup plus serré et de devenir un référendum sur la personne même de la présidente sortante. Si Maia Sandu devait malgré tout l’emporter ce dimanche, les difficultés ne seraient pas pour autant terminées, puisque des élections législatives se présentent au plus tard en juillet 2025. C’est à cette occasion que l’on pourra voir la consistance politique du rapprochement européen : car inscrire dans la Constitution l’intégration européenne ne suffit pas, encore faut-il que le gouvernement s’y tienne comme cap politique, y compris face à de forts courants, comme le montre le cas géorgien.En effet, c’est face à une véritable tempête que la Géorgie se trouve actuellement. Alors que la guerre d’août 2008 reste vive dans les mémoires à Tbilissi, le désir d’Union européenne y est très élevé mais, paradoxalement, le gouvernement du "Rêve géorgien" semble s’éloigner des partenaires européens. Le parti au pouvoir, fondé par le milliardaire Bidzina Ivanishvili, mène selon ses opposants une politique faisant dérailler l’intégration européenne, avec l’affirmation d’une dynamique autoritaire sur le plan interne et un souci de rapprochement de Moscou. À ce titre, l’élection législative du 26 octobre a constitué un test de résistance pour l’UE en Géorgie, puisqu’il s’agit de la première élection depuis la guerre en Ukraine. Or, les résultats officiels annoncent la victoire du "Rêve géorgien" avec près de 54 % des suffrages, face à la Coalition pour le changement centrée autour du parti Akhala (11 %), la coalition Unité basée sur le Mouvement national uni (10,2 %), la coalition Géorgie forte (8,8 %) et le parti Pour la Géorgie (7,8 %). Le contexte politique à Tbilissi est marqué par une forte polarisation de l’opinion ; le gouvernement en place a mis en garde contre un risque de "Maïdan", en référence aux manifestations pro-européennes en Ukraine qui avaient conduit à un changement de régime. Cette polarisation est exacerbée par les tensions entre les aspirations pro-européennes de la population et les actions du gouvernement qui semblent favoriser un rapprochement avec la Russie, au grand dam de la présidente Zourabichvili, qui a pris fait et cause pour les partis d’opposition et dénoncé une "opération spéciale russe de guerre hybride". Aucune de ces forces mentionnées n’a reconnu les résultats, puisqu’elles affirment que des fraudes de grande ampleur ont eu lieu (achat de votes, votes répétés, etc.), et ce alors même que l’UE a fait dépendre le sort de la Géorgie comme candidat à l’UE de la bonne tenue de ces élections. En tout état de cause, si les sondages pré-électoraux prédisaient une victoire pour le Rêve géorgien et le plus grand nombre de voix, son ampleur peut susciter des doutes. Ajoutant à la confusion présente, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui assure la présidence tournante de l’UE, a choisi de se rendre à Tbilissi afin de soutenir le gouvernement sortant, félicitant une population qui a voulu "voter pour la paix" en évitant ainsi de "devenir une seconde Ukraine". Il légitime ainsi le discours du Premier ministre Irakli Kobakhidze, qui avait par le passé utilisé la rhétorique du "parti de la guerre mondiale" aux contours mal dessinés pour désigner ses adversaires politiques.Cette polarisation est exacerbée par les tensions entre les aspirations pro-européennes de la population et les actions du gouvernement qui semblent favoriser un rapprochement avec la Russie.La reconnaissance des résultats par Viktor Orbán contraste avec de nombreux observateurs internationaux (mission d’observation conjointe du BIDDH de l’OSCE, des Assemblées parlementaires de l’OSCE, du Conseil de l’Europe et de l’OTAN et du Parlement européen) qui ont certes reconnu la compétitivité et l’organisation efficace des élections, mais tout en attirant également l’attention sur le degré élevé de polarisation et les grandes différences dans les capacités financières du parti au pouvoir et des groupes d’opposition. Par ailleurs, les craintes concernant l’absence de secret du vote, des intimidations et l’utilisation abusives de la "ressource administrative" n’ont pu être dissipées. Cela pourrait conduire à de très larges manifestations comme cela avait été le cas au printemps dernier lors de la mobilisation contre la loi "Sur la transparence des influences étrangères". Fort du soutien d’une partie de la population et du contrôle sur les forces de sécurité, il est peu probable que le Rêve géorgien renonce de lui-même au pouvoir, quitte à réprimer les potentielles manifestations.Dans ce contexte, comme le souligne l’analyste Dionis Cenusa, en cas d’aggravation de la situation, l’Union européenne pourrait être placée devant un dilemme qu’elle a connu face à un autre pays du Partenariat oriental en 2020, à savoir la Biélorussie. Dans ce cas, faudrait-il adopter des sanctions et ne pas reconnaître les résultats électoraux ? Deux possibilités apparaissent. Soit l’UE prend des sanctions, afin de sauver sa propre crédibilité, en allant jusqu’à envisager l’organisation de nouvelles élections ; toutefois, le danger de cette approche est que si l’UE ne dialogue plus avec les autorités géorgiennes, elle risque de se voir marginalisée par d’autres acteurs, de la Russie à l’Iran en passant par la Chine. Soit l’UE ne fait rien à ce sujet, et elle encourra alors très probablement des coûts de réputation et donnera l’impression de laisser tomber une opposition mobilisée en faveur du rapprochement européen. Au cœur de ces développements se trouve donc la question essentielle de la capacité de l’UE à influencer le comportement des élites dirigeantes dans un contexte où d’autres ressources financières et sources de légitimité extérieure existent, permettant ainsi d’échapper aux effets d’éventuelles sanctions européennes ciblées sur les personnes. Les deux élections entremêlées en Moldavie et en Géorgie nous permettent de mesurer à quel point les résultats du Partenariat oriental restent fragiles.Les deux élections entremêlées en Moldavie et en Géorgie nous permettent de mesurer à quel point les résultats du Partenariat oriental restent fragiles, alors même que l’Ukraine peine militairement dans le Donbass, que la Biélorussie dispose de peu d’autonomie vis-à-vis de la Russie et que tout divise encore l’Arménie et l’Azerbaïdjan à part la reconnaissance de la victoire du Rêve géorgien.Si la partie n’est pas perdue, le spectre de la Russie, dont on pensait que la capacité d’influence (ou de nuisance) s’était effondrée dans l’ensemble de la région, semble continuer de hanter les pays du Partenariat oriental. C’est sans doute un premier défi pour l’Estonienne Kaja Kallas, amenée à prendre les rennes de la diplomatie européenne très prochainement : retrouver les fondements d’une force d’attraction géopolitique européenne dans un monde qui n’est plus celui des années 1990. La tâche, qui supposera une remise à plat de la vision, des approches et des méthodes, est immense et doit être entreprise sans attendre. Copyright image : Elena COVALENCO / AFP Maia Sandu et Ursula von der Leyen à Chisinau, en Moldavie, le 10 octobre 2024ImprimerPARTAGERcontenus associés 25/09/2024 [Le monde vu d’ailleurs] - Espace Schengen : le début de la fin ? Bernard Chappedelaine 10/09/2024 Mer Noire : comment l’Ukraine a-t-elle gagné la bataille ? Laurent Célérier